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Un café avec Ginette et ses copines

Le jour de mon arrivée en terres euréliennes, fin septembre 2020, j'apprends que la petite mamie qui sera ma nouvelle voisine a quitté la région le jour-même. L'ancien propriétaire m'avait dit " Votre voisine ne vous dérangera pas, elle part chaque année passer l'hiver chez sa fille". 

Je suppose alors - à tort - que mon arrivée a précipité son départ, la précédente propriétaire de ma maison, décédée 3 ans plus tôt, étant son amie. 

Au printemps suivant, je la guette et un matin de juin, en ouvrant mes fenêtres, je remarque que les volets de la maison d'en face sont ouverts. Dans son jardin, un grand escogriffe m'a repérée et me hèle.

Quelques minutes plus tard, une petite mémé toute ratatinée (elle doit faire 1m40) se présente à mon portail, avec sa fille et son gendre (le grand escogriffe). Nous faisons connaissance et très vite, Ginette me glisse fièrement "Je vivais à Saint-Cloud, j'étais couturière chez Balmain". Et en effet, Ginette, à 90 printemps bien sonnés, est d'une élégance rare, elle porte des bijoux, des foulards, toujours tirée à quatre épingles !

Quelques jours plus tard, je les invite à l'apéro dans mon salon en travaux et découvre que Ginette a perdu le goût et l'odorat depuis des années, à la suite d'une angine. Je n'ose imaginer comme ma vie serait insipide, si l'épicurienne que je suis ne sentais plus ni la saveur des plats ni le parfum des fleurs de mon jardin (que je hume chaque matin). 

Ginette, qui m'a visiblement prise en amitié, m'introduit dans son cercle d'amies, toutes très curieuses de rencontrer "la parisienne" qui a racheté la maison de leur amie. Contrairement à ce que je pensais, Ginette est ravie que la maison voisine soit enfin habitée : " C'était déprimant de voir ces volets fermés". 

Tout l'été 2021, à 13h30 sonnantes, je retrouve la bande des 5, comme je l'appelle, pour boire le café chez l'une ou chez l'autre. En dehors de Ginette, je les vouvoie toutes mais les appelle par leur prénom, ce qui en bouche un coin à mon voisin qui leur donne du Madame depuis toujours.

Ces dames sont toutes veuves et depuis fort longtemps, sauf la plus jeune, septuagénaire et rescapée d'une leucémie, dont le mari porte une belle moustache et me prête ses Canard Enchainé chaque jeudi. Jocelyne, très dévouée, s'occupe des ses aînées et leur apporte médicaments et courses, les aide parfois dans des démarches administratives et veille au grain lorsque des installateurs et autres inconnus interviennent chez ces dames.

Presqu'en face de chez moi il y a Hélène, octogénaire et 2 fois veuve.  Je lui trouve du charme, peut-être à cause de ses cheveux blancs. Simple, trop ? gentille, souvent grossière, elle parle fort et beaucoup, principalement de sa ribambelle d'enfants et petits-enfants, son unique sujet de conversation.

Sa voisine, Ghislaine, est la tante du propriétaire qui m'a vendu la maison. Très discrète, elle parle peu et sillonne la rue avec son déambulateur. Je me rends rapidement compte que les autres ne l'aiment pas beaucoup. Et de fait, je la prends rapidement en amitié, sans doute parce que, comme elle, je n'ai pas eu d'enfants et aussi parce que j'aime son franc-parler. Elle me fait parfois franchement rire. Alors, certains dimanches, je débarque chez elle pour le café, même s'il est soluble, avec des pâtisseries au café parce qu'elle aime ça.

Le 24 décembre, j'amène même le dîner et nous sifflons ensemble une bouteille de crémant.

Il y a quelques semaines, Ghislaine m'appelle, catastrophée "Dis, tu pourrais venir 5 minutes là ? J'ai voulu photocopier ma déclaration d'impôts et j'ai coincé l'imprimante"

"Pas tout de suite Ghislaine car je travaille. Je viendrai vers 19h mais je ne suis pas sûre de pouvoir faire quelque chose ..."

A 19 heures, je suis là et je comprends vite que Ghislaine s'est trompé et a glissé sa déclaration dans le réceptacle où l'on met les feuilles vierges. Je tire délicatement sur la feuille coincée et la débloque. "T'es un amour !" postillonne-t-elle, avant de me claquer la joue d'une bise humide. 

La semaine dernière, Ghislaine a eu 94 ans. Le matin, à 7h30, j'ai préparé des brownies au chocolat et vers 11h, j'ai fait un bouquet des magnifiques pivoines roses de mon jardin et le lui ai apporté. 

Au bout de la rue, il y a la doyenne qui fût un temps ma préférée, avec la douce Ginette : Jacqueline. Un peu guérisseuse, un peu mauvaise langue, élégante, elle a beaucoup de caractère et porte souvent du rouge. Comme elle ne conduit plus, je l'appelle souvent le weekend avant de partir en courses et lui ramène du pain et des croissants. N'empêche, la doyenne est la seule des 3 nonagénaires qui ait encore toute sa tête. 

En septembre dernier, quand sa fille l'a appelée pour venir la chercher, Ginette a répondu "Non, c'est bientôt l'anniversaire de Sophie, venez en novembre". En novembre, sa fille me raconte, moitié amusée, moitié agacée "Elle ne voulait pas partir !". 

Cette année, Ginette est arrivée en avance, à Pâques. Elle perd un peu la boule, ma petite Ginette. Elle m'a déjà appelée 3 jours de suite pour la lumière du plafonnier de sa voiture qui ne s'éteint pas et malgré mes explications, ne mémorise pas qu'il y a une temporisation et qu'il faut qu'elle arrête de tripoter tous les boutons. Car elle conduit encore sa Clio, dame Ginette, oh juste pour aller à l'Intermarché. Son dernier passager m'a d'ailleurs avoué avoir fait de l'huile et fermé les yeux en arrivant sur le rond-point ... 

Elle m'a aussi appelée 2 fois parce que son téléphone portable ne marchait plus. En fait, elle appuyait sur le bouton vert pour l'allumer et pas sur le bouton rouge. C'est là que je me suis rendu compte que cette histoire de bouton rouge n'était effectivement pas intuitive ... 

Mais je l'aime bien, dame Ginette, et je redoute le jour où je perdrai ma petite voisine si discrète. 

 

 

Commentaires

  • C'est absolument charmant! Je t'envie presque ton voisinage.

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