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Comme une image

Hier, j’ai passé une de ces journées qui te met du baume au cœur (même si, je vous rassure, mon cœur et mon moral se portent très bien).

Le midi, j’ai déjeuné avec celui qui a été mon manager direct pendant 2 ans, jusqu’en novembre 2016. Un homme que j’ai, je dois le dire, longtemps méprisé.

Je le trouvais sympathique mais mou, superficiel, plutôt inutile. Il sollicitait nos retours, organisait des ateliers, promettait de « changer les choses » et rien ne se passait.  Nos conditions de travail ne s’amélioraient pas et lorsqu’il venait discuter avec nous en réunion, il était souvent pris à partie et raillé.

 

En mai 2016, alors que je viens d’entamer, « juste pour voir », des démarches de demande de congé de formation (CIF), je reçois une convocation de ma N+2 à un entretien avec elle, le lendemain matin. Notre dernière entrevue remontait à juillet de l’année précédente, où elle m’avait convoquée dans son bureau, tenue pour principale responsable de l’échec d’un projet, et promis des sanctions qui n’étaient jamais arrivées. Quand je vois la convocation, je pense « Putain, qu’est ce qu’elle me veut encore, cette conne ? »

Je vais jusqu’au bureau de mon manager, lui demande s’il participera à la réunion. Il répond que non. Je demande : « Tu sais pourquoi elle veut me voir ? » Il dodeline de la tête. Je m’énerve « Tu es mon manager, elle me convoque à un entretien sans toi, et tu ne sais pas pourquoi ? ». Il confirme, avec un sourire gêné et m’invite à lui demander la raison de notre entrevue. Ce que je fais dans la foulée, et la seule information que j’obtiens, c’est qu’il s’agit d’un point sur mon activité.

Le lendemain matin, alors que je suis en route pour le bureau, un numéro de téléphone inconnu apparait sur mon téléphone. Je ne réponds pas, la personne insiste et je décroche. C’est mon manager, qui m’appelle de son téléphone personnel :

« Bonjour Sophie, ce n’est pas le manager qui te parle, c’est l’homme. Si tu parles de cette conversation à qui que ce soit, je nierai qu’elle a eu lieu. Quand tu arriveras au bureau, salue-moi comme d’habitude, monte au 6ème étage, je t’y rejoindrai pour te parler. »

Vous imaginez dans quel état me laisse cette conversation. Pourquoi tant de mystère ? Je m’imagine déjà, le soir même, raccompagnée vers la sortie.  

A mon arrivée au bureau, je fais le tour du plateau et monte l’attendre au 6ème étage, vide. Il me rejoint et me dit : « Sophie, le but de cette convocation, c’est de mettre fin à ton contrat. Elle ne peut pas te blairer, vous êtes 2 dans son collimateur. Je suis dans la même situation que toi, tel que tu me vois, j’attends ma lettre de licenciement. Elle me rencontre juste après toi. J’ai refusé d’appliquer ses méthodes de management et de m’occuper de votre cas, et je vais dégager. »

Il m’apprend que ma N+2 et sa copine passent une bonne partie de leur temps à se foutre de mes tenues et de mes chaussures argentées. Qu’elle ne supporte pas de me voir copiner avec les commerciaux, qu’elle déteste. « Elles n’ont vraiment que ça à foutre ? » je réponds. Il me conseille de ne rien signer, de ne pas parler pendant l’entretien. Je le remercie, sincèrement, car je suis consciente du risque qu’il prend en me parlant.

A 11h, en loucedé, j’enclenche le dictaphone de mon portable. Je refuse de signer le document qu’elle me tend et lui demande de me l’envoyer par recommandé. Cette fois, c'est décidé : j’enclenche la vitesse supérieure pour me barrer de cette boîte avec plus que je n’y suis entrée.

Quelques jours plus tard, je passe devant le jury d'une des écoles les plus prestigieuses de Paris, qui me sélectionne pour intégrer un de ses master 2. Le lendemain, je remets à mon manager ma demande d’absence pour partir en congé de formation en septembre. Il la signe, sans rien dire à ma N+2.

Une fois l’accord en poche, je me fends d’une réponse de 3 pages au recommandé de ma N°2, avec copie de mon courrier à la DRH et en pièces jointes, en illustration de ses qualités de manager, la copie du mail assassin qu’elle a adressé à notre équipe de consultants, quelques mois plus tôt. La guerre est déclarée.

Mon manager n’est pas viré. Le DRH le repêche et lui assure qu’il a mal compris, qu’il n’est pas question de le licencier. Mon manager demande à changer de service, ce qui reste lettre morte, enchaîne les arrêts maladie, ne dort plus puis, en août, saisit une opportunité extérieure et démissionne.

En août, l'accord de financement du FONGECIF tombe. Mon manager me félicite, autour d'un café : "Je suis content, tu vas sortir par le haut". En septembre, je commence mon master. A son départ en novembre, mon équipe tombe sous le management de la protégée de ma N+2. Je suis licenciée en avril. J'envoie un mail à mon ex-manager : « Hé chef, je ne t’ai pas survécu longtemps : 4 mois ! » Il répond qu’il est navré, mais pas surpris.

Alors hier, c’est avec un réel plaisir que je l’ai retrouvé à Monparnasse, devant le cinéma Gaumont. J’avais quitté un homme quasi-obèse, essoufflé, épuisé, je l’ai retrouvé avec 20 kilos et quelques années de moins. Nous nous sommes installés au Plomb du Cantal et avons pris des nouvelles l’un de l’autre, et aussi des autres, de ceux qui étaient partis, s’étaient fait virer ...

Avant de nous quitter, je lui ai dit que je tenais surtout à le voir pour le remercier. Qu’après son appel sur mon portable, un matin de mai 2016, j’avais compris beaucoup de choses.

J’avais réalisé que pendant ces 2 années, il avait fait de la véritable gestion de compétences, en me positionnant sur les missions que j’aimais le plus, en lien avec la gestion des ressources humaines. Qu’il nous avait protégés, sans rien dire, et souffert en silence. Et que si j’étais à quelques semaines d’obtenir mon master 2, c’était aussi grâce à lui, qui avait signé mon autorisation de départ en formation.

C’était important pour moi, et je suis contente de l’avoir fait. Et il était touché que je le fasse. J'ai réparé une injustice et je me suis sentie une meilleure personne après ça.

Avant de nous quitter, nous avons fait un selfie et l’avons envoyé à Sly, la coordinatrice plannings qui a tant pleuré à son départ, puis au mien. Sur la photo, il sourit, comme je ne l’ai jamais vu sourire en 2 ans.

Commentaires

  • Merci pour ce récit!
    Je suis actuellement sur un projet où le manager est sans cesse moqué, et je trouve ça bien de montrer que parfois on n'a pas la hauteur de vue pour comprendre ses actes et ses choix.

  • Salut Cha !
    Oui, c'est difficile, on est tous pris par le quotidien et on a tendance à ne voir que son nombril. Il a fait preuve de loyauté en gardant tout pour lui, ce qui est bien, mais aussi source de souffrance.
    Manager est difficile, peut-être encore plus aujourd'hui, où bon nombre de «managers» sont en fait des gestionnaires au service de la rentabilité. J'ai vécu cette situation où tu es pris en étau entre la direction et tes collaborateurs, parfois aussi ingrats les uns que les autres. Avec le sentiment de ne jamais bien faire.
    Bises, Cha ! ☺

  • C'est une histoire édifiante (comme souvent chez toi), mais je peux savoir pourquoi elle prend comme titre mon pseudo ?!?
    :)

  • Salut CUI !
    Le titre était une référence au selfie que nous avons fait avant de nous quitter et j'ai évidemment souri en postant le billet

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