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On a les salariés qu'on mérite

Vendredi, je retrouve mon conducteur Blablacar à la station Total de la porte d’Italie. Dans les embouteillages, nous faisons connaissance et parlons notamment de nos métiers. 

M. est un jeune espagnol, infirmier dans l’hôpital situé à une quinzaine de kilomètres de chez ma mère. Il déplore son salaire de 1600€, bien inférieur à son équivalent espagnol, notamment en raison du refus de ses employeurs français de tenir compte de ses années d’expérience en Espagne.

Dans l'hôpital de M., ils sont plusieurs, espagnols, polonais, à travailler pour un salaire jugé médiocre. Je connais ces pratiques : un ami médecin – alors algérien – m’avait raconté, il y a 20 ans, comment on justifiait son bas salaire par la non-reconnaissance de son diplôme algérien.

La copine de M., espagnole et infirmière comme lui, travaille en région parisienne et touche 2000€ par mois. Il y a quelques mois, elle a appris que son collègue français touchait 1500€ de plus qu’elle et que le jeune diplômé tout juste recruté l’avait été à un salaire double du sien.

« Il y a une discrimination envers les étrangers, en France, me dit-il ».

 « Tu sais, M., il n’y pas que dans les hôpitaux ni envers les étrangers que la discrimination salariale s’exerce. En France et dans la situation déséquilibrée du marché de l’emploi, tout est prétexte à mal payer les salariés.

A Tours, nous prenons en charge une jeune femme qui est livreuse de pizzas. Elle raconte les brimades, les heures supplémentaires non payées, les temps de repos non respectés, les « managers » dociles ou virés. Quand je pose des questions, elle est incapable de me dire quels sont les termes de son contrat. Je fulmine devant son ignorance et sa résignation.

Jeunesse, handicap, inexpérience, reconversion - donc inexpérience -, femme, manque de diplômes : beaucoup d’employeurs sont passés maîtres dans l’art de brader, avec plus ou moins de courtoisie, le professionnel que vous êtes. Sur leur site internet, ils revendiquent pourtant souvent de belles valeurs : solidarité, ouverture d’esprit, innovation et j’en passe. C’est beau, ça fait rêver, comme la lessive qui lave plus blanc que blanc.

Et puis, il y a la réalité. Quand je suis arrivée chez mon nouvel employeur, un cabinet de conseil en gestion des ressources humaines, j’ai été frappée par l’apparent manque de diversité de ses propres ressources humaines, que l’on m’a vite confirmé, et avec une pointe de fierté : 90% de femmes, 29 ans de moyenne d’âge. Découvrir qu’à 46 ans, j’étais la doyenne des consultants a été un petit choc : pour la première fois, j’ai eu l’impression d’être passée « de l’autre côté ». Ça fait drôle, à 20 longues années d’une hypothétique retraite. Et ça en dit long sur les conseils en gestion des RH qu’ils peuvent prodiguer à leurs clients.

Après quelques jours d’observation, j’avais compris. Mon cabinet innovateur et hors-cadre était une bonne boîte paternaliste à la française : à la direction, un bataillon d’hommes quinquagénaires et sur le terrain, de très jeunes femmes. Papa aux manettes, Fifille au boulot. Une courte enquête m’a permis de connaitre le salaire d’embauche des jeunes recrues inexpérimentées qui satisfont aux 2 critères de recrutement (Master + Anglais) du cabinet : 31K€ en moyenne, soit presque 2000€ nets mensuel. Ce salaire, qui peut paraître correct en début de carrière, doit être évalué à la lumière de son contexte. Dans le conseil, le client paie une prestation journalière, de l’ordre de 600€/jour pour ces jeunes consultantes, ce qui donne une bonne idée de la marge employeur. Et puis comment se loge-t-on avec un tel salaire à Paris, où le moindre studio coûte 800€ par mois ?

Une de mes copines de classe, maman de 38 ans et forte de 10 ans d'expérience comme Responsable des Ressources Humaines a manifesté de la curiosité pour le monde du conseil. Comme j’aime mon métier, je l’ai encouragée à tenter l’aventure et lui ai même transmis quelques offres d’emploi. Elle a passé 2 entretiens de recrutement qui l'ont convaincue de rester dans sa branche. L'un des recruteurs lui a dit, d'un air méprisant, que son expérience en service RH « n'était qu'un socle » et n’avait aucune valeur dans une candidature à un poste de consultante RH. L'autre lui a proposé un salaire inférieur de 800€ par mois à celui qu'elle touchait auparavant au motif qu'elle était débutante dans ce métier.

Mauvaise nouvelle pour les plus de 40 ans : quoi qu’ils en disent, les employeurs raffolent des jeunes diplômés inexpérimentés. Ils se plaignent pourtant de leur manque d’implication et de leur intransigeance. Foutaises. Ordinateurs et téléphones portables ont rendu ces jeunes générations aussi corvéables que l’étaient nos parents. La seule différence, c’est que ça dure moins longtemps.  Le papillonnage de ces jeunes travailleurs, officiellement déploré, assure en réalité la fraîcheur des troupes et la maîtrise de la masse salariale.  

Ma confiance dans l’entreprise décroît au même rythme que mon expérience augmente. Je m’interroge de plus en plus sur la place, dans cette société cruelle, de la professionnelle que je suis aujourd’hui.

Commentaires

  • Oh ma Fiso, je suis (malheureusement) tellement d'accord avec toi :(

  • Malheureusement, c'est le visage actuel du capitalisme. Ça se voit dans tous les secteurs d'emploi; ici, même dans l'éducation supérieure. On cherche à éliminer le plus rapidement possible les employés qui pourraient causer des vagues et pérenniser la précarité.

  • Eh oui. Nous n'avons plus qu'une bande de pseudos intellectuels breloquants et sur-médiatisés pour nous déclarer que la lutte des classes n'est qu'une vieille rengaine ; et que les utopies sont mortes.
    Il faut se résigner.

    Bonne bises, en guise de retour ente des 2 yeux et tes 2 oreilles.
    (j'aurais plein de trucs à te dire, si tu le permets)

  • Quine,
    Ma "vieille" amie, toujours un plaisir d'entendre ta voix, autant que de te lire ici.
    Doréus,
    Hélas !
    Fabien,
    Se résigner, jamais ! (en tout cas, pas tout de suite) ;)
    Et déterrer les cadavres, non plus ...

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