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Dernier jour à Zaragoza

J’ai fait fort pour mon dernier jour à Zaragoza.

La journée de formation s’est terminée à 13h, dans une ambiance très détendue. Déjà, le matin, à la faveur d’une pause, j’avais papoté avec la jolie Gema et l’Andalou, leur expliquant que le lendemain, je partais en vacances en Irlande, ce qui serait un peu moins exotique. Pour une raison que j’ignore, voilà qu’en prononçant le mot exotico, je transforme le x en r, ce qui les fait éclater de rire, et moi avec. « Erotico es diferente » dit l’Andalou.

Du coup, nous partons dans une discussion sur la conjugaison espagnole, l’emploi du prétérit versus celui du passé composé, ser ou estar, qui me posent beaucoup moins de problèmes au bout de 2 semaines, et d’autres particularités espagnoles. Estar malo, dit l’Andalou, c’est être malade, ser malo, c’est être un fils de pute (en espagnol dans le texte). L’Andalou prend mon adresse mail pour m’envoyer les adresses de restos et bars à ne pas rater à Séville. Ils remplissent les évaluations de formation (super sympas les commentaires !) et m’embrassent en me souhaitant un bon voyage.

Je profite du réseau wifi de mon client pour envoyer quelques mails à ma boîte, passe un coup de fil à mon petit frère et à mon chef de projet et vers 14h, je quitte la plaza Beltran. Il fait un beau soleil, je passe à l’appartement récupérer ma valise, sonne en vain à la réception avant de laisser les clés dans la boîte aux lettres et file manger quelques pinchos et me siffler une bière au soleil.

J'immortalise la très jolie église mudéjar de la Magdalena qui étincèle au soleil. Dans le quartier du centre, je passe devant une devanture remplie de sujets en chocolat. Un "taller de choocolate", Capricho. J’entre et achète des barres de chocolat de diverses origines, ainsi qu’une boîte de fruits aragonais, confits et trempés dans le chocolat et des gâteaux qu’on mangera sur la plage. Ca devrait plaire à mon ami M’sieu Chic Chic, qui vient m’attendre à l’aéroport de Dublin demain soir. Après le jogging sur les rives des rivières espagnoles, je vais m’offrir, dimanche matin, un jogging sur la plage de Bray.

La vendeuse est très gentille, comme tout le monde dans ce pays, et j’en profite pour lui demander si elle connaît un endroit où je pourrais manger. « Tu sors d’ici, tout droit, tu arrives à une petite place, puis sur la place Santa Cruz , il y a un endroit caché mais très bon, la casa Juanico ». Au moment où je la salue, elle glisse une barre de chocolate negro de Santo Domingo à 70% dans mon sac: "Tu la mangeras en attendant ton avion à Madrid".

A l’entrée du restaurant, de jolies bouchées s’étalent derrière une vitre réfrigérée. Les murs sont peints de vert et orange et ornés de vues de Saragosse, dans des cadres tout de traviole. Je m’installe à une table et consulte mon dictionnaire, qui est une vraie daube, en tout cas en terme de vocabulaire culinaire. Chorrera, il ne connaît pas, carillera non plus. Tant pis, je me lance et commande quantité de pinchos : jamon con chorreras, cuesco de cabra, erizo de mar, mil hojas de carillera. Je m’apprête à continuer mais le serveur m’arrête « Je vous apporte déjà ça, vous commanderez la suite après si vous en voulez encore ». Pour un peu, je me vexerais …

Z’aiment bien la béchamel, les Espagnols … Ma croquette de jambon est fourrée de béchamel, mon hérisson de mer aka oursin, aussi. C’est très bon, en tout cas, tout comme le mille feuilles de joue de bœuf et le chèvre chaud. Mise en appétit, je continue (hé ! c’est ma dernière bouffe espagnole avant … 2 semaines !). Calabacín con chipirón, ravioli con rape y carpacio de buey con arroz meloso. Tout ça à 2€ la bouchée.

Last day in ZRZ.jpg

J’ai dû partir dans mes rêveries car quand je regarde l’heure, il est 16h07. Je hèle un taxi, direction la gare dont on m’a dit qu’elle était à 10 minutes maximum. Mon cul. J’y arrive, le cœur battant, à 16h26, soit 3 minutes avant le départ de mon train. Sauf que j’avais oublié 2 détails : 1) il y a un passage obligé par la machine à rayons X 2) L’accès aux voies est fermé 2 minutes avant le départ du train. La jeune femme m’oppose un refus désolé mais ferme. Hé merde !

Heureusement, il y a une agence de voyages « El Corte Inglès » dans la gare, celle-là même qui s’est occupé de tous mes déplacements dans le pays. « J’ai besoin de votre aide » dis-je en poussant la porte. Elles appellent leurs collègues de Madrid, ma cliente autorise le changement de train et d’avion, verdict, je vais arriver à Madrid à l’heure où j’aurais dû décoller et je serai à Roissy à 23h.

J’ai gagné un voyage en première classe. Ca ne rigole pas, la 1ère classe espagnole de la Refe. Télévision (à l’aller, j’avais eu droit à « L’attrape-cœurs » sous-titré en espagnol, marrant, là c’est un dessin animé de Walt), et des trolley-dollies qui servent des boissons et un plateau-repas, comme dans l’avion. Je vous rassure, j’ai juste bu un verre d’eau et un café.

Dans les trains espagnols, c’est comme dans les trains français, en revanche. Les téléphones sonnent allègrement, les gens discutent. Un peu plus en avant, près de la fenêtre, une femme passe 3 coups de fil consécutifs. Elle commence en français, mais avec un léger accent. Sa façon de commencer ses phrasses par « allez ! » me rappelle étrangement mes stagiaires belges. L’appel suivant se fait en espagnol, pour finir par une conversation en anglais. Je me demande bien quelle est son origine.

A ma gauche, il y a un homme assez élégant, en costard, cheveux gris rabattus en arrière. Il reçoit un coup de fil qui dure longtemps, très longtemps. Il parle vraiment très fort et il me semble capter des mots assez grossiers comme coño, cojones etc. Quand il raccroche, il se tourne vers le couple derrière moi et s’excuse s’ils les a dérangés, auquel ils répondent avec véhémence. Le ton monte et ils s’engueulent pendant de longues minutes. J’entends « No me interese Murcia », « No me interesa tu vida » et pour finir « Mal educado !”. Hé ben, me dis-je, y’a de l’ambiance. La jeune femme polyglotte me lance des clins d’œil amusés en haussant les sourcils genre « Oh la la, ça chie ! »

Je ne peux résister à ma curiosité légendaire, me lève et me penche sur elle « Excusez-moi, je peux vous poser une question ? Vous êtes de quelle origine, parce que je vous ai entendu passer des appels en français, anglais et espagnol, vous parlez au moins trois langues ?» Elle rit « Je suis anglo-belge et toi ? ». Elle m’invite à m’assoir et nous discutons. Elle travaille dans un cabiner d’avocats et recrute de jeunes diplômés directement sur les bancs des facs de droit. « C’est difficile aujourd’hui, de recruter des gens » dit-elle. Avant, l’excellence, c’était les diplômes, aujourd’hui ce n’est plus vrai. L’excellence, c’est la finesse d’esprit, l’intelligence, la capacité à s’adapter ». Elle a un parcours atypique, la polyglotte anglo-belge. Fille de diplomate, elle a vécu au Sénégal, au Sri Lanka, à Madagascar, a passé une année à Londres, une à Bruges et une à la fac de Sceaux, en France et vit à Madrid après son mariage avec un Espagnol, il y a 15 ans. Je lui raconte mon boulot et comment je sais dire boucherie et fruits & légumes en flamand. Elle rigole. Elle est vraiment sympa et nous discutons un long moment. « J’ai raté mon train à Saragosse, me confie-t-elle. J’étais en train de boire du vin avec des collègues dans un restaurant ». Tiens, moi aussi ! Quelques minutes plus tard, alors que j’entreprends l’écriture de ce billet, elle se lève et me tend sa carte de visite « Si tu reviens à Madrid, appelle-moi, on ira boire un verre ou déjeuner ensemble ». Je lui tends la mienne à mon tour « Si tu viens à Paris … et que j’y suis ».

La suite du voyage jusqu’à Paris me confortera dans ma conviction que finalement, ce n’était pas tant une catastrophe de rater train et avion ce soir. La lessive de culottes planifiée en vue de mon nouveau départ, demain, pour 15 jours sur les routes irlandaises, ce ne sera pas possible en arrivant à minuit chez moi mais tant pis. Au pire, M’sieu Chic Chic me fera une lessive, en qualité d’ex colocataire, ce ne sera pas la première …

Commentaires

  • C'est affolant cette capacité à ingurgiter de telles quantités de nourriture. On mange en même temps que toi, du coup une sieste digestive après lecture devient indispensable.
    Allez, bon voyage en Irlande :-)

  • Toujours un régal de lire tes billets !!! bisoussssssssss

  • Zoumpapa,
    Bonne sieste !
    Bédélia,
    Suis en Irlande, maintenant ma biche !

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