Certains savent que j'ai changé d'employeur il y a presque 4 mois.
L'analyse et les leçons que j'ai tirées de ma dernière expérience m'ont permis de définir un projet professionnel et de savoir exactement pour quel genre d'entreprise je voulais travailler :
- française : question d'éthique, en temps de crise, j'ai choisi de participer à la croissance des entreprises françaises plutôt que d'aider des concurrents (américains, en particulier) à les enterrer. Mais franchement ... il y a des jours où je me demande pourquoi je persiste, tant les employeurs français sont à la ramasse en terme de management d'humains. Ca fait 10 ans que je ne bosse que pour des boîtes françaises et je suis aterrée par leur incapacité à détecter, rétribuer, exploiter (dans le bon sens du terme) et garder les pépites qu'ils ont la chance d'avoir embauchées.
- détenue par un entrepreneur : un vrai. Pas un financier, ni des actionnaires, ni des fonds de pension américains (cf. ceci)
- en bonne santé financière : en temps de crise, ça a son importance ! Et puis, pour moi qui fais de la formation et donc de la qualité, le CA et le taux de croissance d'une boîte en disent long sur l'efficacité de sa stratégie de développement (si elle en a une), la qualité de ses services et la satisfaction de ses clients.
- internationale : marre de ces annonces qui exigent l'anglais par pur snobisme. Après 2 ans à former en espagnol, je veux travailler dans les langues que je parle.
Peut-être que vous ricanez déjà : Ben dis donc, elle se la raconte la Fiso ! Elle croit qu'elle peut se payer le luxe de faire la fine bouche, en période de crise ?
Ben oui. Je prends ce droit. J'ai surtout décidé de choisir des employeurs qui me méritent. Et j'ai fait mienne, il y a déjà quelques années, cette provocation écrite sur le tee-shirt offert par mon ex-DG :
Pendant les fêtes de fin d'année 2012, j'ai répondu à une annonce pour un poste de consultante formatrice dans une boîte française, mais internationale, et pionnière du SaaS (Software As A Service). J'écrirai d'ailleurs très prochainement un billet sur le SaaS, ma révélation de l'année.
Leur domaine d'expertise n'était vraiment pas ma tasse de thé (la finance, un comble!) et encore moins ma compétence, mais j'ai obtenu un premier entretien. Ma future boss, une grande blonde aux yeux bleus perchée sur des échasses, était le contraire exact de ma boss. Et si je n'ai pas eu avec elle le feeling immédiat que j'avais pu avoir avec l'autre, tout concordait. Je correspondais à ce qu'elle cherchait : formatrice sénior sur logiciels, langues étrangères, mobilité. Mon futur poste était un calque de celui que j'avais dans ma boîte (collaboration avec des chefs de projets, audits d'intégration, formations au paramétrage et à l'utilisation).
Au fil des rencontres avec eux, mon intérêt est allé grandissant. J'ai eu un entretien de grande qualité avec mon futur N+2 qui m'a vraiment "vendu" la boîte : celle-ci appartenait à son fondateur, toujours aux commandes, la société n'avait aucune dette et une trésorerie telle qu'elle pouvait financer n'importe lequel de leurs projets. Ajoutez à ça des déploiements annoncés aux 4 coins de la terre, une vision à long terme, une stratégie de développement agressive et à titre personnel, des primes et participation ... j'ai dit banco ! De tiède, j'étais passée à chaude bouillante.
La dernière étape ne fut pourtant pas la plus facile : je devais former mes futurs responsables pendant 1 heure sur un sujet de mon choix (Word ou Powerpoint). Leurs retours n'ont pas fait de doute sur l'efficacité de ma prestation. Quand à moi, si l'exercice m'avait amusée, c'est surtout le sérieux de leur processus de recrutement qui m'avait définitivement séduite.
J'ai déchanté dès la première journée. Ma boss était au téléphone avec un client et a chargé un formateur de m'accueillir, ce qu'il fit, et très bien. Ce jeune et jovial batave m'a présentée à l'autre formatrice du trio, laquelle m'a consenti un bonjour du bout des lèvres et ne m'a plus calculée de la journée de la semaine. 30 minutes plus tard, ma boss se libère et sans même m'offrir un café, attaque ma formation interne. Sur un coin de table, elle m'offre une visite de l'intranet, du réseau (un beau bordel!), des outils internes. Quand je demande s'il y a un livret d'accueil, quelque chose qui m'éviterait de tout noter, elle répond non. Je note donc tout. A midi, elle part déjeuner. Heureusement mes futurs collègues me prennent en charge et m'emmenent déjeuner avec eux.
L'après-midi est tout aussi studieux. Le lendemain, elle me refourgue au gentil hollandais qui commence à me former sur le logiciel. Et chaque jour, elle arrive avec une tête de déterrée, comme si elle avait passé la nuit en boîte (ce dont je doute), dit bonjour les dents serrées, s'installe à son ordinateur et ne décroche quasi plus un mot de la journée.
Idem pour la porte de prison anorexique à ma droite, et même pire : elle arrive et s'installe à son bureau sans saluer qui que ce soit. Elle ne répond pas plus à ceux qui la saluent. Et puis, en fin de journée, elle disparait. Tu crois qu'elle est partie pisser ? Ah ben non, elle est rentrée chez elle. Jamais croisé une formatrice aussi éteinte et asociale. Je m'interroge : mais qui l'a embauchée ?? Droopy ? Gargamel ? Frankenstein ?
Heureusement le formateur hollandais est super sympa, ainsi que la chef de projet roumaine, fraîchement débarquée elle aussi. Pas une seule fois au cours de cette première semaine d'intégration ma boss n'a pris de mes nouvelles, demandé comment ça se passait ou si j'avais des questions. J'apprends qu'avant moi, un formateur est venu et reparti au bout d'un mois. L'ambiance est loin d'être aussi conviviale que ne l'avaient laissé supposer les entretiens d'embauche. Je repense avec nostalgie à mon ex-boss, une vraie mère poule, et regrette amèrement mon équipe de formateurs, si sympas et charismatiques.
Pendant le mois qui a suivi, j'ai été littéralement abandonnée devant mon ordinateur. Ca s'appelait "travail personnel" sur mon agenda. "Si tu as des questions, tu n'hésites pas, hein ?" m'avait lancé ma boss, le nez sur son PC. Tu parles.
Comme je m'ennuie un peu et que les supports que j'utilise pour me former sont obsolètes, je propose de les remettre à jour. Ma boss accepte. Quand je lui montre mon travail pour savoir si je suis sur la bonne voie, elle se contente de m'indiquer les infos à ajouter. Pas d'encouragements, pas de remerciements. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas expressive.
Après un mois, enfin un peu d'action : je participe, avec 7 autres nouvelles recrues, à un parcours d'intégration de 2 jours orchestré par mon PDG et les principaux responsables de la boîte. Mon PDG a une énergie et un charisme incroyables, les intervenants sont tous d'un très haut niveau de compétences. Je reprends espoir devant le punch planteur du pot de bienvenue, où il présente le plan d'actions 2013. Et de retour devant mon ordinateur, je replonge aussi vite. Ah ça, on ne peut pas dire que je sois fliquée ... C'est plus de l'autonomie, à ce stade, c'est un abandon pur et simple ! ...
Cernée par ma boss qui tire la gueule et l'anorexico-lunatique qui passe sa journée à pester, je me rapproche de la chef de projet roumaine, nouvelle comme moi, et nous partageons nos impressions, qui sont exactement les mêmes. L'idée de relancer sa recherche d'emploi et de profiter de la disponibilité qu'offre la période d'essai la chatouille sérieusement aussi.
Fin juin, un clash avec Droopy est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Ma décision est prise : je me casse. De retour chez moi, je réactualise mon CV et balance ma candidature à 5 sociétés. Je me promets aussi, pour la prochaine fois, de rester en veille même après avoir trouvé un poste. Cette fois, si je pars, je choisis un secteur qui me passionne et qui, à priori, m'évitera de telles déconvenues : le monde merveilleux des éditeurs de solutions de gestion des RH. Et je jette mon dévolu sur les spécialistes en gestion des talents. Faut dire qu'il y a visiblement urgence en France, et un sacré marché !
Période de congés d'été oblige, j'ai un entretien téléphonique avec un éditeur en gestion des talents qui oublie de me rappeler, comme promis, au bout de 7 jours (et ça se dit expert en gestion des RH, je ris doucement) et un autre que je vous raconterai bientôt. Entre temps, ma boss, en panique après la démission sur un coup de colère du gentil formateur hollandais, m'a invitée dans la foulée à un déjeuner et un entretien de fin de première période d'essai. Cette étape opportune mais à mes yeux inutile me gonfle; dans ma tête, je suis déjà partie. Pourtant, après réflexion, je fais le choix de jouer cartes sur table, sans lui laisser soupçonner que je cherche ailleurs. Come ça au moins, si je pose ma dém dans les semaines à venir, elle saura pourquoi et pourra en tirer des leçons pour les suivants, et si je reste (hélas), je lui donne au moins l'occasion de rectifier le tir.
J'ai noirci le formulaire préparatoire à l'entretien de mes doléances et assise face à elle, je suis prête. Elle balaie chaque critère d'évaluation et exprime sa satisfaction, même s'il est encore trop tôt pour juger de mes capacités. A mon tour.
"Comment tu te sens dans l'équipe ?" demande-t-elle.
- Ben ... comment te dire ... je n'ai pas l'impression de faire partie d'une équipe, en fait ... Je ne sens pas de solidarité, chacun bosse dans son coin, garde ses bonne idées pour lui. J'ai même parfois l'impression qu'on te met des peaux de bananes sur le chemin pour voir si tu vas te casser la gueule.
Elle tombe des nues, s'excuse, m'assure que ce n'est pas du tout l'esprit de la boîte.
De son côté, ma boss s'étonne que je reste dans mon coin.
"Est-ce que c'est parce que tu n'oses pas, ce qui m'étonnerait de toi, vu ton tempérament (NDLR : bien vu) ou alors c'est parce qu'on te parait peu disponibles ?
Je confirme : elle a l'air débordée et ça n'incite pas vraiment à la solliciter. Quand à la porte de prison anorexico-lunatique, elle m'a envoyée chier une fois et je n'y suis pas revenue.
"Elle a senti que tu avais pris de la distance et elle en souffre car contrairement aux apparences, elle aime qu'on la sollicite".
Ah oui ? En effet, c'était loin d'être une évidence ... J'en profite pour faire part de mon étonnement quand à sa manie de ne pas dire bonjour ni au revoir. Elle doit être lunatique ?
"Elle n'est pas lunatique, elle est bipolaire" répond ma boss. Je me retiens de rire. C'est plus grave que je ne le pensais !
Ma boss revient sur mon parcours d'intégration. Je dis à quelle point j'ai apprécié les 2 jours avec les responsables de service qui m'ont permis de comprendre très vite comment était organisée la boîte et les rôles de chacun. Mais qu'à la suite des formations sur le logiciel, j'aurais aimé des mises en situations pour vérifier mes acquis et identifier les progrès à faire. Elle invoque le manque de temps et des agendas surchargés.
De son côté, elle émet le souhait d'avoir plus de retours de ma part. Je lui oppose le fait que j'attendais des points réguliers avec elle sur mon avancée, au cours desquels j'aurais pu poser mes questions, mais que ça n'était pas arrivé. Je n'argumente pas sur le fait que lors de l'intégration d'un nouveau collaborateur, c'est au manager d'aller vers lui, pas l'inverse. Elle fait preuve d'une écoute qui me surprend. Elle comprend mon ressenti et s'en excuse. Et surtout, elle me donne enfin l'explication de cette ambiance délétère : je suis arrivée dans un contexte difficile qui s'éternise depuis plusieurs mois, ce qui explique qu'elle soit stressée et si peu disponible. Elle promet des jours meilleurs, bientôt. Elle m'apparaît humaine, pour la première fois depuis 3 mois.
J'ai envie de lui demander pourquoi elle ne m'a pas dit ça depuis le départ, au lieu de me laisser dans mon coin comme si je ne comptais pas. Que ça m'aurait permis, à défaut d'accepter, de comprendre pourquoi l'atmosphère était si pesante. J'ai failli lui dire que le ver était dans le fruit, qu'elle aurait pu et pouvait encore me perdre par négligence et manque de communication. J'ai envie de lui demander si elle a conscience de la perte de temps, de ressources compétentes (et d'argent, accessoirement) à investir sur des collaborateurs qui se cassent en cours de période d'essai . Mais je ne dis rien, bien sûr. Et en sortant de l'entretien, positivement surprise par la tournure qu'a pris notre échange, je me projette de nouveau parmi eux. Mais mes candidatures sont toujours en cours, alors ... on verra ...
Depuis cette entrevue il y a 2 semaines, les choses ont beaucoup changé. J'ai donné ma première formation et ça s'est bien passé. Il me semble que le plus dur est derrière moi et qu'en commencant à voler de mes propres ailes, je vais enfin pouvoir apprécier l'extraordinaire autonomie dont je jouis dans mon poste. La porte de prison est devenue charmante, comme quoi elle n'est pas si bipolaire que ça. Ma boss s'est beaucoup détendue et nous sommes même allées déjeuner entre filles cette semaine.
Je suis contente de moi. Je me rends compte que j'ai beaucoup appris ces dernières années, que ce soit par mes expériences ou mes lectures et auto-formations, en m'intéressant à la communication et au management. J'ai un regard différent sur le travail, beaucoup plus exigeant mais aussi plus constructif. J'ai acquis la capacité d'analyser des situations, d'en tirer des leçons et de les appliquer. Cet entretien salvateur avec ma boss et ses effets immédiats m'ont convaincue qu'il ne faut pas disqualifier mais dire les choses.
Après un dernier entretien d'embauche cette semaine, la découverte d'une belle prime sur mon bulletin de salaire de juillet et de 2 semaines de formation en Thailande (en novembre) sur mon planning, ma décision est prise : je reste ! Mais il s'en est fallu de peu que je mette fin, pour la première fois de ma vie, à une période d'essai...
Et quand je lis qu'une étude de Mercuri-Urval révèle qu'1 salarié sur 2 envisage de quitter son employeur pendant la période d'essai, je me dis que les entreprises françaises ont beaucoup à apprendre, ne leur en déplaise, de leurs homologues anglo-saxons en terme d'intégration des nouvelles recrues.
Je déplore surtout la situation du marché du travail en France, depuis 30 ans, qui a déséquilibré les relations entre employé et employeur, donnant à ce dernier une arrogance qui le prive d'une remise en question pourtant nécessaire, et désormais urgente. Car en temps de crise, investir temps et argent pour laisser partir à la concurrence des collaborateurs difficilement sélectionnés et compétents est-il signe d'intelligence ou de stupidité ?
Et vous, quelles sont vos bons et mauvais souvenirs d'intégration ? Et à quoi êtes-vous le plus sensible ?