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On va aux champignons ?

c2d89cac4241f52dea9550d1e8bd3e1b.jpgCe matin, remplissant mes poumons d’autant d’oxygène que je pouvais en trouver sur le boulevard des Maréchaux, avant d’attaquer la côte de la poterne des Peupliers, je fus titillée par une odeur familière. Une odeur de feuilles mortes mouillées et de sous-bois moussu.

Je me souviens.

Sur une route de Charente, quelque part aux alentours de la Chapelle des Pots, par une belle journée d’automne. Mon grand-père gare sa voiture sur le bas-côté de la route, le long du fossé.

On sort les paniers en osier du coffre et on s’enfonce dans le sous-bois. Il y a ma mère et  mon frère. « On va aux champignons ? », c’était son expression, une question ressemblant à un ordre. Les jours de pluie, la question variait de peu : « On va aux escargots ? »

Bon gré, mal gré, encouragés par ma mère « Allez, ça lui fait plaisir … », mon frère et moi montions dans la voiture, n’osant lui refuser le plaisir de nous montrer la beauté de la nature. J’étais rarement enthousiaste, je me sentais cruche, ne sachant pas distinguer les bons champignons des mauvais. Je crois aussi que ma réticence venait du fait que les bois, sombres et touffus, peuplés de bêtes imaginaires ou réelles, me foutaient la trouille. J’imaginais quelque dangereux psychopathe, tapi derrière un arbre, prêt à bondir, ou une main en décomposition dépassant d’un tapis de feuilles. Le moindre craquement d’une branche me faisait tressaillir et je ne m’éloignais jamais de la rassurante présence humaine, guidée par le sifflotement serein de mon grand-père.  

Pourtant j’aimais la délicatesse des champignons, si fragiles sous le pied du promeneur. Je caressais du bout du doigt le velouté de leur chapeau et effleurais le joli plissé des lamelles. J’admirais la blancheur de vesses de loup perlées, dont je m’amusais à presser la chair molle pour en laisser échapper une petite fumée, et de coprins chevelus qui m’évoquaient une joyeuse bande de hippies.

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Quand au détour d’un arbre, l’œil connaisseur de mon grand-père découvrait une colonie de quelque espèce savoureuse, cèpes ou girolles, il nous rameutait. Gare à celui qui arracherait le champignon et ses racines, en condamnant la repousse ! Il se ferait sérieusement sermonner, malheureux !   

Le soir, après la corvée de nettoyage, mon grand-père accommodait notre cueillette en une savoureuse poêlée parsemée d’ail et de persil ou une omelette baveuse, que nous mangions en regardant les infos, ne pipant mot.

La dernière fois que mon grand-père m’a emmenée dans un sous-bois, il y a plus de 10 ans, il était malade et je ne le savais pas. Il ne lui restait que quelque mois à vivre. Dans le sous-bois baigné d’un soleil printanier, nous avons cueilli des jonquilles qu’il voulait que je ramène à sa fille, restée à Paris. A un moment, alors que j’étais à quelques pas de lui, il s’est mis à m’appeler, d’une voix que je ne lui connaissais pas, angoissée, presque chevrotante. Je me suis demandée ce qu’il avait à paniquer ainsi ; j’avais dû disparaître de sa vue pendant un court instant, dissimulée par un arbre, sans doute.

Sur le chemin du retour, dans le soir tombant, nul joyeux sifflotement ne vint troubler le silence. Je m'en fis la réflexion. Ce fut notre dernière après-midi ensemble dans les bois.        

 

Commentaires

  • Fiso,
    C'est très joli ton texte mais on en revient, hélas, une fois de plus à l'analyse psychanalytique du sujet.

    Par rapport à ton grand-père, je m'abstiendrais vu que je n'ai pas connu cet excellent homme.
    Mais pour les champignons je remarque :
    - première photo : on dirait des testicules, certes menus,
    - deuxième photo : on dirait des pénis jumeaux, certes menus,
    et tout cela, je cite : "dans des bois sombres et touffus où tu caressais du bout du doigt le velouté de leur chapeau et effleurais le joli plissé des lamelles."

    Par ailleurs et, certes, en toute innocence vu ton âge à l'époque, tu t'amusais à presser la chair molle pour en laisser échapper une petite fumée.
    Nicolas qui me dicte ce commentaire me questionne ainsi : à son époque, c'était de la fumée ?
    Donc, elle a eu précocement l'expérience de la pipe ( voir ligne 55) ?

    Je préfère arrêter avant que ça dégénère.

  • En tout cas pour moi ce texte est beau, rempli de tendresse et de nostalgie... Belle plume Fiso
    Amicalement

  • Tonnégrande,
    Un champignon s'appelle d'ailleurs "phallus impudicus" ou "morille du diable" ou encore "satyre puant".
    http://tachenon.com/Html/evolution.html
    Rony,
    Merci de ton passage :)

  • Oui il est beau ce texte, l'évocation de ton grand-père est touchante. Je connais ce coin de Charente dont tu parles, et figure-toi que moi aussi j'ai la trouille dans les bois, et à la campagne !
    Bises Fiso.

  • On n'est pas obligé de rester dans le registre de Tonne, si ? Bon, moi, ton texte, c'est trop de réminiscence, ce sont les forêts du Quercy avec ma grand-mère, avec mon père aussi qui adorait ça, ce sont des paniers pleins de girole qui me rendaient fier... Cette odeur m'est précieuse, je n'en reviens pas que tu l'aie rencontrée en plein Maréchaux, au milieu de l'hiver. Mais je conçois que tu en aies ressenti pareille évocation... Ah ! les odeurs, quelle puissance !

  • Chez moi aussi on dit "on va aux champignons". Et moi, aux champignons, ma spécialité c'était le squat de la voiture, bouquin et walkman en renfort. Non pas que je n'aime pas la nature, bien au contraire, mais tu l'as dit : les bois sont plein de bêtes, et moi les bêtes...brrrr (expression d'un frisson d'horreur)
    Elle est jolie ton histoire, j'aime la façon dont tu nous l'as racontée, merci Fiso ;-)

  • ah les champignons, les sous-bois odorants et moussus, les orties, les branches qui craquent et le fantôme du loup tapi derrière un arbre...
    très joli texte Fiso, j'ai moi aussi en mémoire un grand-père dont je tenais la main pour ne pas me perdre dans le bois profond

  • Fauvette,
    Les routes de campagne désertes ... brrr !
    Oh!,
    Ce type d'émotion m'assaille souvent.
    D'ailleurs, je sens une bonne odeur de chocolat chaud ... ?
    M.,
    J'aurais pas eu intêrêt à rester dans la voiture avec walkman ;)
    Céleste,
    Les orties, c'est bon en soupe, mais pas sur les fesses !

  • C'est marrant moi aussi je voulais parler de champignons et d'un grand-père.
    La façon dont tu évoques cette dernière promenade est bouleversante...

  • Zoridae,
    Oui, marrant comme coïncidence ...

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