Lundi, c’était la dernière fois que je me retrouvais face à nos VIP, à l’occasion d’une réunion générale. L’occasion pour moi - et j'y tenais - de dire au revoir à quelques-uns de mes « chouchous », généralement quinquas ou au-delà, la nouvelle génération étant beaucoup moins sympa, je dois le dire. Sans doute cela est dû au fait que leurs pères sont de véritables hommes d’affaires qui ont gravi les marches de la réussite, alors que les fistons n’ont fait qu’hériter.
Quand je suis arrivée ici, mon ex-boss m’a prévenue « Tu vas voir, ILS sont pas faciles ».
Ca ne me faisait pas peur, habituée que je suis, depuis plus de 15 ans, à désamorcer des situations délicates. Finalement, je me suis vite rendu compte qu’ILS sont juste exigeants. J’aime bien les gens exigeants, et apprivoiser les bougons est un défi qui m’amuse. Au fil des années passées ici, j'ai eu l'occasion de me rendre compte que ces hommes d'affaires, pour la plupart autodidactes, sont bien moins puants que beaucoup de cadres dits supérieurs.
Lundi donc, je me suis mise sur mon 31 pour la dernière, tailleur pantalon clair, top chocolat, écharpe Kenzo, talons hauts.
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Ca m'a fait plaisir qu'il soit le premier à arriver, mon "roi des chouchous". C'est simple, je l'adore.
Sans doute parce que M. B. est le premier des VIP de la boîte à m’avoir véritablement parlé, il y a 6 ans, un soir qu’il attendait son taxi. Il m’avait complimentée sur le travail de mon équipe et comme c’est une pointure dans la boîte, j’avais été flattée.
Il doit approcher la soixantaine, un bel homme et surtout un beau sourire, les tempes grisonnantes, je lui trouve un faux air de Sardou. Depuis quelques mois, il s'est amaigri, j’espère qu’il va bien.
M.B. est aussi jovial et sympathique que sa femme est revêche. Au début, je me suis demandé pourquoi elle était aussi glaciale mais ensuite, une collègue m’a dit qu’elle était comme ça avec toutes les femmes, et sans doute très jalouse. Ca me fait toujours bizarre qu’une femme puisse se sentir menacée par moi, à fortiori si son mari a l’âge de mon père.
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Et puis, elle, la seule femme dans cette meute de loups, sèche comme un coup de trique, un regard perçant et dénué d’émotion, aux remarques acerbes sur la tenue des hôtesses ou la gueule des plantes, toujours pendue au téléphone à invectiver sa pauvre assistante. Colette, si tu me lis, sache que j’ai souvent compati.
Lundi, énervée de devoir attendre 30 secondes, elle a lancé « Et celles-là, elles peuvent pas aider au lieu de discuter ? » à l’attention de la chargée de com’, la tronche de l’autre, elle a failli s’étrangler de fureur contenue, et moi je riais sous cape.
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Bien après tout le monde, quand la réunion était déjà commencée, y'a un autre célèbre râleur qui s’est pointé. Je l’aime bien, cet alsacien rondouillard aux yeux bleus, qui pique systématiquement le taxi des copains, à l'accent traînant. Je l’ai envoyé chier une ou deux fois, au début, quand il oubliait de dire bonjour avant de commencer à gueuler, et depuis, il m’adore. M’a invitée à passer boire un café à Colmar, ça tombe bien, paraît que le marché de Noël est superbe là-bas.
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Et puis, il y a aussi M. R., un brun aux yeux bleus, discret, d’origine italienne. Il m’a souhaité bonne chance et a expliqué à son copain « Elle connaît I., sa maman est de là-bas ».
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M.L., la terreur de tous, m’a demandé si je pouvais contacter quelqu’un pour lui commander un taxi. J’ai sorti mon portable et ce fut fait en 30 secondes. Impitoyable, paraît-il, il est pourtant le seul à se présenter systématiquement lorsqu’il appelle mon plateau. La politesse est une vertu à laquelle je suis particulièrement sensible, surtout quand elle s’adresse à des « petites gens » que beaucoup méprisent généralement. M.L. a le charisme naturel des hommes de pouvoir. De sa belle voix chaude, il dit "qu’on va me regretter".
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Ah et puis, voilà M. P., un autre grand ponte. Notre rencontre fut renversante, surtout pour moi. J’avais déboulé au 6ème étage, à sa recherche, et au détour d’un couloir, je m’étais étalée, sous ses yeux, sur une p*** de table basse en verre. Je m’étais niqué les jambes, c’est pas peu de le dire, mais son extrême sollicitude avait instantanément effacé les hématomes faits à mon orgueil.
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Il jette sa cigarette juste avant de franchir la porte, le voilà mon camé à la nicotine. Les dents pourries, les doigts jaunis, pas spécialement affable, je ne sais pas pourquoi je me suis prise de sympathie pour lui, mais ça a au moins rapporté quelques boîtes de chocolat à mon équipe. Il a l'air ailleurs, comme d'hab, et répond poliment « bonne chance ».
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Vers midi (2 heures de retard), une silhouette de boucher-charcutier rougeaud se découpe sur le parvis. « Chuis à la bourre, et je me suis même salement engueulé avec le mec du parking ». Je souris, ça ne m’étonne pas, c’est un sanguin le G. Pendant longtemps, je l’ai détesté, d’ailleurs, et encore plus quand j’ai appris qu’il appelait les membres de son équipe par leur nom de famille. Ca donne : les pieds sur le bureau, un bouledogue qui aboie « Dupont !!!!!!! Ramenez-moi le dossier Untel ! ».
Pionnier de la première heure, il a aidé à la construction de l'empire. C'est un vrai gueulard, un pitbull matîné bouledogue, mais tous ses salariés l’adorent, y’a sûrement une raison, je me suis dit. "C’est un vrai tendre", m’a encore confié l’autre jour son assistante qui ne se remet pas du départ prochain de son patron.
Lundi, je lui glisse timidement (enfin, presque) "Moi aussi, je m'en vais", et là, il a un mot gentil, le premier !
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Et puis, M.R. reconnaissable entre mille avec son épaule droite plus haute que l’autre et ses yeux bleus, aussi. Un queutard de première, paraît-il. Mon ex-boss flashait sur lui, ou plutôt sur sa carte bleue, les yachts à l’année sur une île de la Méditerranée, ça fait rêver les petites arrivistes comme elle. Toujours été très correct avec moi, une seule fois, il m’a confié qu’il était grand-père, j’ai répondu « C’est pas possible, vous faîtes surper jeune », il a ri et a répondu qu’il avait eu sa fille à 18 ans, et elle de même, donc oui, il était jeune. Et lundi il a dit « Vous allez nous manquer, enfin, à moi vous allez me manquer, en tout cas ».
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Il en manquait quand même quelques-uns, de mes chouchous.
Le blond qui a une tête d’adolescent, président d’une équipe de foot. Un soir, il avait appris que j’étais cycliste et m’avait raconté un périple à vélo avec son fils, de France jusqu’aux confins de l’Asie, et d’autres rêves de voyages, j’avais rêvé, les yeux pleins d’étoiles.
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Pas vu non plus, le petit nerveux de Brive, qui arrive la tête dans le cul à ses rdv, le mardi matin, après avoir passé une nuit arrosée à faire la fête avec ses potes.
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Ni le landais qui m’avait hurlé un jour au téléphone « Mais vous savez qui je suis ??? Je suis le directeur de … » et j’avais répondu très calmement, en savourant l’écho de ma voix en « mains-libres » : « Si vous vous présentiez poliment, comme tout le monde, au lieu d’hurler, je le saurais, M.B et nous perdrions moins de temps ».
Un brouhaha avait suivi, j’étais pas mécontente d’avoir renvoyé ce fanfaron dans ses buts devant ses petits copains.
Et la fois d’après, je lui en avait remis une couche « Ben, alors, M.B, qu’est ce qui vous est arrivé, l’autre jour ? »
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Et puis, le plus séduisant de tous mais certainement pas le plus sympa, impeccable dans des costumes italiens taillés au cordeau, cheveux poivre et sel, ondulés et gominés, regard azur (encore !), un vrai petit bonheur pour les yeux.
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Dans l’après-midi, j’ai encore croisé M.A., beau brun proche de la cinquantaine, une poigne franche et chaleureuse. Paraît que c’est un vrai connard dans son service, avec moi, toujours très sympa, on a discuté, m’a demandé ce que j’allais faire et chez qui, justement il est client :"Si vous passez en Normandie, venez me dire bonjour, ça me fera plaisir, hein ?"
Je ne suis pas vraiment triste, d'abord parce que faut pas se leurrer, ils en vu d'autres, ensuite parce que je suis sûre que je vais effectivement en recroiser quelques-uns, dans le cadre de ma nouvelle activité.
Mes vrais patrons, ils sont durs, souvent détestés, toujours craints, mais leur parcours force le respect.
Concarneau, Mont de Marsan, Saint-Nazaire, Niort, Bourg-en-Bresse, Orléans, Colmar, je fais faire mon tour de France, moi ...
Commentaires
"je me suis mise sur mon 31 pour la dernière, tailleur pantalon clair, top chocolat, écharpe Kenzo, talons hauts"
Et le décolleté ?
Nicolas,
Bien sûr ! Fiso sans son décolleté, c'est comme le Verdon sans ses gorges !
Mais léger, le décolleté, fallait quand même qu'ils bossent :)
On parle beaucoup de tes seins en ce moment...
J'étais déjà très jalouse de la générosité de ton décolleté, vais l'être plus encore...
;-)
Visiblement une sacrée équipe dirigeante, et le respect c'est important. Tu ne parles très bien je trouve, sans complaisance et avec lucidité.
M.,
On en parle, on en parle, et à part ça? :(
Ouais, je sais pas ce qui se passe ... c'est Nicolas qui a commencé et tout le monde rebondit dessus ;)
Boug',
C'était long, ce billet, et c'était purement égoïste, une manière pour moi de ne pas les oublier et de me souvenir de ces quelques visages qui donnaient du sens à mes journées, quand je serai partie d'ici :)
Kan tu t'es vautrée sur la table basse... tu courrais en arrière ?
WajDi,
T'es vraiment un p'tit con ...
(mais, mais, mais ... t'as tout lu? j'en reviens pas !)
Tu bossais pas quai B..?
Parce que mes collègues ont vu Julie Lescaut, en tournage ce midi...et y a d'autres éléments qui se recoupent ...
Ton "tour de France", il sera bien nordiste, je trouve... LOL
Lancelot,
Hé, on se refait pas ! J'aime bien le feu sous la glace ;)
(au cas où t'aurais raté mes échanges avec M., une descente dans le Sud prévue fin ocotbre ... et le plongeon dans la piscine à cette époque de l'année ne me fait pas peur ;))
@ Fiso : "Ocotbre ? Connais pas ce mois-là... ;-))
Tu seras toujours la bienvenue ici, que ce soit en "ocotbre", en nevombre ou en cedembre... la piscine risque d'être bâchée à l'époque dont tu parles... Bah... il te restera notre (bonne ?) cuisine à tester.... sur celle-là, on ne referme jamais les couvercles...