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La femme-pansement

Elle recontacte un collègue, perdu de vue depuis des années. Seule depuis quelques mois, déprimée, elle a besoin de se refaire un cercle d'amis avec lesquels sortir. Les siens ont tous fondé famille. Il répond à son mail d'un ton enjoué, visiblement enchanté de cette réapparition. Il est seul depuis quelques mois et déprimé, lui aussi.

Ils se retrouvent dans un café, un soir de janvier. Il est moins séduisant que dans son souvenir. Tout à fait quelconque, même.

Quelques soirées plus tard, elle se laisse embrasser, sans conviction. Les sens font le reste.
Au petit matin, son regard brun est plein de gratitude. D'autres matins viennent jusqu'à celui où il la pique, une première fois. Elle encaisse le coup, espère que la lueur de ses yeux ne s'est pas ternie, ne dit rien. Il lui écrit des mails où il dit tout le bien qu'elle lui fait : "Tu m'as permis de rester un homme quand je me voyais comme une serpillère."

Un autre matin vient où il ressent le besoin d'exprimer l'inutile, le superflu, le tacite : "Le jour où je rencontrerai quelqu'un, je te le dirai tout de suite."   
Cette fois c'est trop. Quelques jours plus tard, elle met fin à leur relation. Reçoit un mail assassin, puis d'autres, qu'elle parcourt, sans comprendre. Ils ne sont pas restés amis, il ne lui a jamais pardonné. Pardonné quoi ?

aime-toi et on t'aimera

Le hasard la remet en relation avec un ami très cher, perdu de vue depuis des années. Ils se sont connus au lycée et sont sortis ensemble, de façon épisodique. Seule depuis quelques années, apaisée, elle s'est constitué un cercle de connaissances et ami(e)s avec lesquels elle partage de nombreuses sorties. Il l'appelle un soir, elle est très émue d'entendre sa voix, il veut la voir tout de suite.

Le jeudi suivant, il s'avance vers elle devant la gare du Nord. Il est encore plus beau que dans son souvenir. Les boucles de ses cheveux noirs sont tissées de gris, les chagrins ont laissé sur son visage, autrefois poupon, de légères griffures, sa démarche est toujours aussi féline.

Il est seul depuis quelques mois et dans le restaurant où ils se racontent les joies et les blessures des dix années écoulées, l'émotion est palpable. De retour chez elle, où il l'a déposée, elle reçoit un sms de lui : "I'm so excited !" Elle sourit de sa spontanéité, s'interroge quelques instants sur l'ambiguité du message et s'endort, le sourire aux lèvres.

Quelques soirées plus tard, il la soulève enfin dans ses bras et l'embrasse. L'amour qu'ils se portent depuis si longtemps fait le reste.
Au petit matin, son regard brun est mâtiné de gêne. D'autres soirées et d'autres nuits se suivent, où ils refont le monde et l'amour. Ses amis s'étonnent de cette relation qui dure mais n'évolue pas. Elle invoque leur attachement à la liberté, leur peur de l'échec. Pourtant, certains soirs, elle est triste et il n'est pas là.

Un jour où le nombre de leurs nuits ensemble a atteint trois chiffres, il confie que sa solitude lui pèse. Il la câline, lui fait passionément et rageusement l'amour et elle pose enfin la question qui lui brûle les lèvres depuis plusieurs mois :"Pourquoi on n'a jamais essayé de faire un bout de chemin ensemble ?"
Elle connaissait la réponse à sa question. Elle avait compris, depuis longtemps. Elle voulait juste être rassurée. Il sera à jamais son ami, et peut-être même qu'au soir de leur vie, ils se retrouveront enfin, qui sait ?  

aime-toi et on t'aimera

Elle recontacte un copain avec lequel elle s'est brouillée, il y a quelques années. Ils ne sont jamais sortis ensemble. Seule depuis de longues années, stabilisée, elle n'a plus grand-chose à se prouver, si ce n'est qu'elle peut encore aimer et être aimée. Il lui écrit un soir, propose de partager des sardines grillées dans un troquet de Ménilmontant. Elle trouve la proposition pleine de fraîcheur et accepte, ravie.

Le vendredi suivant, il marche vers elle, sur un trottoir animé. Il est comme dans son souvenir, juste un peu plus cabossé.

Dans le bistrot bondé où des musiciens chantent, les sardines sont savoureuse et la soirée pleine de simplicité, comme par le passé. Il sort d'une énième rupture avec la même femme, qu'elle connaît, il est déprimé et noie sa solitude dans le vin, comme par le passé. De retour chez elle, il monte pour un dernier café. Au moment de la quitter, il l'attire contre son torse et elle se laisse aller dans la chaleur de ses bras. Sa main caresse la peau dénudée au bas du dos, sa bouche cherche la sienne. Leurs solitudes désormais subies font le reste.

Au petit matin, leurs regards débordent de tendresse. D'autres nuits se suivent, très vite, et des soirées collés l'un contre l'autre, à se câliner. Parfois l'ombre de l'autre femme voile le regard brun mais elle fait semblant de ne rien remarquer. Elle vit l'instant présent et le présent est bon dans ses bras.

Il lui écrit de jolis mails où il dit que leur rencontre est capitale pour lui, qu'elle l'éveille, qu'elle lui manque, qu'il retrouve "un paradis perdu qu'il n'a jamais connu". Pourtant, il mentionne aussi l'autre femme, qu'il n'arrive pas à chasser de ses pensées. Elle savoure les jolis mots mais ne se laisse pas griser. Elle devine qu'il se raconte des histoires, qu'il essaie d'y croire; elle ne lui manque pas, tout au plus c'est une présence qui lui manque, celle de l'autre ?

Un soir où elle est triste, elle lui écrit sa lassitude d'être celle qui console, reconstruit, répare. "Celle avec laquelle on aime passer un instant, une nuit, plusieurs, mais pas celle qu'on veut. Pas celle qu'on aime. Pas celle qui manque." Il ne relève pas. Qui ne dit mot consent.
Un jour où sa boîte mail s'entête à rester vide, elle pressent qu'il est avec elle, qu'ils sont en train de faire l'amour. Elle appelle, sans succès. Le lendemain matin, elle envoie un mail et reçoit une réponse qui confirme son pressentiment de la veille. Faisant fi de son souhait d'anonymat, il a jeté leur relation à la tête de l'autre femme "pour la rendre jalouse, pour lui mettre tous ses défauts et ses erreurs sous le nez." Il lui demande de l'en excuser puis poursuit en lui donnant tous les détails de leur réconciliation passionnée.

Elle ne l'a pas excusé. Elle déteste qu'un homme la fasse entrer en rivalité avec une autre femme. Pourtant elle souhaite qu'ils restent amis, mais plus jamais elle ne lui donnera l'occasion de l'utiliser.

A force de se brûler les ailes, même un peu à chaque fois, il ne va plus lui en rester.

Commentaires

  • La Femme passionnément, aurait pu être ton titre aussi. Certains hommes ne réalisent pas combien leur dite "franchise" est ridicule et blessante, combien cela peut faire mal parfois. Et évidemment pour se protéger on fait comme si, et pour ma part le fameux "restons amis" m'agace particulièrement et répondre "va te faire voir" est préférable je crois dans certains cas. J'ai particulièrement aimé la douce amertume de tes mots, et je t'embrasse. (ps : ras bien rentrée, tu te mouches et au lit !)

  • Oui chef ! ;)

  • Avec une telle expérience le quatrième sera le bon :-) Et puis surtout ne pas oublier de se protéger un petit peu soi-même (sans pour autant se barricader)...

  • En te lisant, je me dis qu'après tout un être humain ce n'est qu'un tas de blessures, et que l'amour c'est la seule chose qu'il a disposition pour à la fois apaiser et entretenir ses blessures...

  • Zoumpapa,
    Parfois on croit s'être protégé assez et finalement, non.
    Quand on est soi-même fragilisé, il vaut mieux éviter les névrosés, là est ma conclusion.
    Usclade,
    J'ai lu un jour que le couple idéal, c'est celui où les névroses de l'un s'accordent le mieux avec celles de l'autre...
    En tout cas, c'est certain, il faut que je fuie les hommes qui ne prennent leur plaisir qu'en appuyant sur leurs blessures et celles de l'autre.

  • Ouf ! Ce n'est pas un ouf de soulagement, c'est un ouf comme une soupage de décompression. Je suis à cran. A vous lire, chère Fiso, je me dis que la vie est une coquine qui resset le couvert, encore et encore, sur une table joliment dressée, si joliment que tous les mets, même les plus amers, paraissent appétissant. Tout est question de choix Fiso, et il s'agit pour vous d'apprendre maintenant à identifier tous les ingrédients d'un plat avant de plonger votre fourchette et votre coeur dedans ! Votre faim, si elle est sincère, n'est pas encore létale, laissez-la donc s'aiguiser jusqu'à choisir enfin le bon plat.

  • Mamz'elle Gigi,
    Vous m'écrivez parfois que je suis pleine de sagesse mais ici, c'est vous qui m'apportez les paroles qui font du bien. Les métaphores que vous employez ont titillé mon imagination, en plus de me faire sourire.
    Je m'en vais donc vous faire une réponse dédiée qui, je l'espère, aura autant d'humour que la votre. Sur ce, je vous embrasse, chère amie.

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