Sentir au frémissement du visage, imperceptible à d’autres que soi, les émotions qui rapetissent, rétrécissent et tétanisent, la peur et la tristesse. Regarder en face les sentiments qui agrippent, entravent et recroquevillent, la jalousie et la frustration. Alourdir son ventre et sa tête de désir inassouvi, de rêves indécents et humides. Se réveiller seule et coupable aux côtés d’un corps innocent et endormi. Regarder les minutes défiler jusqu’à son réveil. Faire semblant de dormir.
Reconnaître qu’on est en train de perdre le contrôle de soi-même et qu’on commence à se mentir. Se souvenir de la promesse faite à soi-même. Renoncer aux simulacres et à la médiocrité. Choisir le repos d'un lit vide et froid plutôt que la chaleur du tien où je faiblis. Refuser le jeu et fuir pour ne pas nous perdre.
Retenir d'un mot la voiture qui s'éloigne déjà et remercier d'un sourire qui n'ose pas dire qu'on n’a pas envie d’être seule, pas tout de suite. Parler à une amie qui n’est pas la nôtre et découvrir beaucoup de courage derrière l'apparente dureté. Caresser le chat aux yeux bleus et au prénom de crooner. Accepter une bière pour retarder le moment de partir et parce qu’on est bien, là, avec l’homme au physique d’un autre siècle et au sourire si doux, qui nous écoute avec beaucoup d’attention, et sans feindre. Louer ensemble le plaisir à voyager seul et tellement présent aux autres. Penser, avec une pointe de tristesse mais sans pouvoir rien y faire, que d'autres s'enchaînent à des illusions pour ne pas être heureux.
Et sur l’asphalte, s’envoler vers la liberté de choisir, enfin. Défier l’horizon barré de la vallée encaissée, attaquer les cols à grands coups d’accélérateur, comme des bouffées d’oxygène qu'on avale pour revenir à soi. Frôler les ravins et se dire qu’on a plus d’adhérence qu’on ne l’imaginait. Goûter la fraîcheur de l’air qui augmente et vivifie. Admirer les cimes encapuchonnées d'un blanc virginal et se sentir purifiée. Humer l'odeur du fromage chaud, caresser le bois et le bruit du silence. Et dormir enfin, apaisée, indulgente, réconciliée.
Commentaires
wouahou! ...mais quel talent d'écriture! (juste une chose: un physique d'un autre siècle, c'est genre avec une barbe rectangulaire de 40 cm et des rouflaquettes ?) bises :-)
je n'ai pas tout compris mais ça fait tout le charme de tes mots, j'aime !
Zoum',
Merci, ton enthousiasme me ravit :)
Tu as tout juste ! A la barbe rectangulaire et rouflaquettes, tu ajoutes un regard mélancolique.
Boug',
J'aime brouiller les pistes, tu sais bien ;)
Grand moment de nostalgie libératoire ?
Joli texte, il me semble avoir reconnu quelqu'un qui lui est parti depuis longtemps (c'est toujours long quand on reste )...
N'avons nous pas tous et toutes vécu ces moments où l'on se promet à soi-même ceci et cela et nous ne nous y tenons pas, déclenchant des tempêtes dévastatrices sous notre calotte crânienne !! Seriez-vous en train de grandir enfin Fiso ?
Saravati,
Ce billet vous rappelle donc des souvenirs personnels ?
Mamz'elle Gigi,
Ouh que je n'aime pas le ton condescendant de votre question ! Vous avez de la chance que je vous connaisse assez pour ne pas me froisser ...
(en l’occurrence, je m'y suis tenue, à ma promesse ;))
M'enfin, aucun con ne descend ici, ni ne monte d'ailleurs ! Grandir veut ici dire : accepter d'abandonner nos vieux schémas de fonctionnement tellement rassurants mais aussi tellement dangereux pour notre bonheur ! Grandir c'est s'émanciper de nos chaînes invisibles mais bien réelles, c'est dire non à l'éternelle reproduction de scenari qui nous maintiennent dans les mauvais choix au profit d'une forme de lucidité vertueuse. C'est accepter l'inconnu, c'est accepter d'être pendant un instant sans repères sur lesquels s'appuyer pour avancer. C'est accepter d'ôter les petites roues sécurisantes et prendre le risque de tomber...
ouf !
Mamz'elle Gigi,
Vos sous-titres, que je devinais, me rassurent.
un beau voyage de mots.
Ma BN,
Je t'emmène ?