Lundi, j'avais rendez-vous avec une belle brune au métro Pyramides à 19h30. J'avais prévenu que je serais vraisemblablement là à 19h40. A 19h37 très précisément, alors que, mon métro s'engouffrant dans le tunnel entre Opéra et Pyramides, je me félicite déjà de ma perspicacité, la chenille de métal s'immobilise. "Bla bla bla, merci de votre patience". J'envoie un sms à la belle brune "J'ai failli être là à 19h40 !"
Les minutes s’écoulent. Le conducteur réitère son annonce. Ça commence à faire long quand même 5 minutes d'attente dans un tunnel, surtout que j'ai une faim de loup. Après un moment, il annonce qu'il va couper le courant et que nous risquons d'être plongés dans le noir. Mon espoir d'un retard à peine perceptible s'éteint en même temps que les loupiotes.
A 19h54 (croyez-pas que j'ai une mémoire aussi précise, j'ai les sms sous les yeux), coup de théâtre : "Nous allons devoir évacuer, ne vous inquiétez pas, le courant est coupé, je vais venir évacuer chaque wagon avec une échelle et je vous demande de marcher le long du mur jusqu'à la station Pyramides".
Je me marre. Ça c'est une première ! Tout en coulant un regard compatissant vers les touristes à valise, je me félicite d'avoir choisi, le matin même, un pantalon en toile et des baskets. Comme ça fait déjà 30 minutes qu'on est bloqués dans ce wagon, un homme ouvre les portes et nous sautons tous du wagon sur le sol (un bon mètre de hauteur quand même). Une jeune femme se plaint derrière moi de son infortune. "Oh moi, tant qu'il n'y a pas un rat pour me grimper le long de la jambe, tout va bien !" dis-je. Un homme réplique "Oui, par contre, s'ils rebranchent le courant, on passe tous dans Le Parisien demain matin !"
Finalement, on se marre bien dans cette longue procession qui s'achemine lentement sur le sol caillouteux du tunnel. Tout le monde sort son appareil photo et les flashes éclairent le boyau métallique. A défaut d'être dans Le Parisien, je vais me retrouver sur Facebook ou Twitter, pas de doute. La station Pyramides est quand même assez loin et on marche bien sur 200 mètres. A 20h15 je retrouve la belle brune devant Naniwa-Ya et après les nouilles, raviolis et boulettes de poulpe, on va se prendre le dessert au Stube, juste en face de l'Oustaou (je vous jure que c'est un pur hasard que je me retrouve dans ce bar toutes les semaines).
Peu avant 22h, la belle brune me quitte et moi je vais juste faire une bise à Chichi. Sauf que comme je passe souvent à l'Oustaou, je commence à connaitre les habitués et du coup, maintenant, je trouve toujours quelqu'un pour me donner une bonne raison de boire un verre. A 23 heures, je prends le bus avenue de l'Opéra : ce soir, je devrais me coucher avant minuit.
Au coin de ma rue, un homme d'une soixantaine d'années me fait des signes. Je m'approche, sur mes gardes, prête à lui décoller un jump-kick entre les gencives (après 22 heures dans une rue déserte, je ne suis plus une dame). Il ne parle visiblement pas un mot de français et me tend une carte magnétique d'hôtel en répétant "Campanile, Artistide Briand". Je suis perplexe. Il y a plein d'hôtels dans mon quartier mais un Campanile, ça ne me dit rien. Je tape sur un moteur de recherche pour trouver l'adresse, car il ne l'a pas (ah ces touristes !) et lui montre le numéro sur l'écran en lui indiquant la direction à prendre. Il rejoint une femme qui l'attend au coin de la rue et je me dirige vers chez moi avant de ralentir. Non vraiment, un Campanile dans ce coin, je ne vois pas. Ça m'embêterait de leur avoir indiqué une mauvaise direction, surtout qu'ils ne parlent pas français et sont complètement paumés. Je fais demi-tour et rattrape mes deux touristes qui sont plantés devant le numéro indiqué où comme je m'en doutais, il n'y a aucun hôtel. Je devine qu'ils sont russes. Dada : ils confirment. Je lance de nouveau ma recherche et cette fois, j'appelle l'hôtel qui valide l'adresse. "Vous êtes dans quelle ville ?" demande-t-il avant de me fournir le pourquoi du comment "Ah mais non, c'est à Arcueil !". J'ai envie de lui dire "Campanile porte d'Orléans, mon cul oui !" mais il n'y est pour rien dans la publicité mensongère faite aux touristes.
Au moins, je me serai couchée moins conne ce soir-là : j'ai appris que lorsqu'une rue traverse plusieurs villes, sa numérotation redémarre dans chacune. En l'occurrence il n'y a pas un seul n°73 avenue Aristide Briand. Devant la mine de mes touristes, je me résigne : je ne me coucherai pas avant minuit ce soir. J'essaie de leur expliquer pourquoi leur hôtel n'est pas là où il devrait être puis leur fais signe de me suivre. En avant, toute !
J'ai vérifié : il y a 1,3 km entre l'endroit où je les ai récupérés et leur hôtel. Nous avons marché une bonne demi-heure. De plus, la conversation était très limitée, la dame ne parlant que peu le français et pas du tout l'anglais. Elle n'arrêtait pas de dire "Merci beaucoup madame". A minuit, je les lâche devant leur hôtel et j'attends le bus qui me ramènera chez moi car j'ai la flemme de refaire le trajet à pied. A 0h25, je me couche.
Le lendemain, mon frère auquel je raconte toutes les aventures vécues en l'espace de 4 heures me dit : "C'est bon pour ton karma, Fiso, tes bonnes actions vont te revenir".
Et avoir la tête dans le cul, c'est bon pour mon karma, Léon ?