Il y a quelques semaines, j’avais reçu de mon asssoc’ une proposition de balade avec une Colombienne. Tiens, ma première en espagnol ! Et avec une personne originaire DU pays que j’aimerais découvrir en Amérique du Sud, je n’allais pas refuser !
Après quelques échanges de mails, Paola avait préféré le triangle Concorde-Opéra-Palais Royal à la butte Montmartre. Le rendez-vous initial, fixé à 15h, fut décalé à 16h puis 16h30. Finalement, c’est à 17h qu’à l’angle des rues Royales et Rivoli, j’ai levé les yeux de l’essai « Tchao la France, 40 raisons de quitter votre pays » pour héler une jolie jeune fille au teint hâlé et aux cheveux ondulés.
Chemin faisant, Paola m’explique pourquoi elle a un n° de téléphone portable national : elle est jeune fille au pair pour un an et habite une ville qui m’est inconnue, dans le 77. Arrivée en France il y a un mois, elle s’est inscrite à cette balade « pour rencontrer des gens ». Sur la rue de Rivoli, Paola me confie le chagrin récent qui trouble ses nuits. Elle a besoin de se changer les idées, j’ai bon espoir de réussir à la divertir.
Après un arrêt sur la place Vendôme où je la prends en photo, un autre place de l’Opéra, la demoiselle, très légèrement vêtue (pour que je dise ça, c’est qu’elle l’était vraiment !) d’une robe courte et de collants résille à grosses mailles, a froid et rêve d’un chocolat chaud. Je propose ma deuxième maison, l’Oustaou, où elle trouvera, à défaut de chocolat, la chaleur humaine qui lui fait défaut depuis son arrivée ici. La nuit déjà tombée m’a trompée : il n’est que 17 heures et le rideau de fer de la devanture rouge est encore baissé. Nous entrons dans les jardins du Palais Royal et au hasard à Muscade, un salon de thé sous les arcades. A la carte, un chocolat maison à l’ancienne. Pas donné (6€50), moins généreux que chez Angelina mais épais et parfumé, il tient ses promesses.
Paola me livre ses premiers étonnements : l’ignorance de mes concitoyens, prompts aux préjugés et aux raccourcis faciles. Au cimetière du Père Lachaise où elle demandait à un passant l’emplacement de la tombe d’Edith Piaf, elle s’entendit répondre, après avoir divulgué l’origine de son accent : « Juste après celle de Pablo Escobar ». Celui-ci, sans doute très fier de sa bonne blague, n’avait sans doute pas soupçonné à quel point Pablo Escobar est un fantôme douloureux dans la mémoire colombienne.
Au moment de régler, j’entre dans une discussion passionnée sur les précieuses fèves avec un homme derrière le comptoir, qui me présente la pâtissière. Celle-ci commande des cacaos de différentes origines, selon les saisons. Paola, qui ne me connaît pas encore, s’amuse de ma faculté à papoter avec le premier venu.
Un petit détour par la Comédie Française puis nous entrons à l’Oustaou, encore désert. Au gré des confidences, Paola m’apprend qu’elle est chanteuse ; ce soir il est trop tôt mais je promets de l’emmener un jour prochain dans mon karaoké à Pigalle. Pour l’heure, elle est au téléphone avec une amie colombienne que nous allons chercher au métro.
Carol est une belle jeune femme douce et plutôt réservée, aux yeux en amande, emmitouflée dans une épaisse écharpe en laine. Professeur d’espagnol dans un lycée, elle supporte mal les 2 mois déjà passé ici. Les gamins auxquels elle tente d’enseigner sa langue l’ignorent totalement et vaquent à leurs occupations. Quand à ses collègues, auprès desquels elle a cru pouvoir trouver réconfort et compréhension, ils se sont gentiment moqués d’elle, l’enjoignant à débiter son cours sans se soucier de sa portée. Elle est choquée par le laxisme qui l’entoure. Et aussi par la goujaterie des Parisiens auxquels, parfois égarée, elle s’adresse, et qui passent leur chemin en l’ignorant. Elles m'apprennent un nouveau mot typiquement sud-américain, « chevere ». D’après ce que j’ai compris, ça veut dire quelque chose comme « super ».
L’Oustaou bourdonne maintenant joyeusement. Après quelques habitués, Kamel est arrivé, puis « Jackie Chan » et enfin Chichi, le roi du dance floor, que je serre dans mes bras. Je note, surprise, que depuis un bon moment déjà, la musique est étrangement latine « et même très colombienne », dit Paola. Le mystère est bientôt levé ; un habitué, originaire de Puerto Rico, a identifié l’accent de mes compagnes et orienté la playlist. Chichi nous invite à une dégustation d’huîtres sur le comptoir, à laquelle Paola – et moi, bien sûr - se prête avec gourmandise. Au moment de partir, accoudées au comptoir, Chichi dégaine l’arme fatale pour nous retenir : un shot de tequila. Nous voilà toutes parties dans de grandes discussions, mes 2 colombiennes avec leur voisin carribéen, un homme timide et charmant qui nous offre 3 roses, moi avec un jeune homme au doux prénom.
Il est presque 22 heures. « Et si on allait au karaoké ? » lancé-je. Devant le Moulin Rouge, elles prennent la pose et je me joins à elles, pour un cliché joyeux et plus ou moins bien cadré.
A la porte du karaoké, Bibiche m’étreint chaleureusement « Je ne t’attendais plus ». Paola met bientôt le feu à la salle sur un morceau de Shakira, moi je me fais piquer « The scientist » de Coldplay et me rabat sur « When doves cry » du kid de Mineapolis. Le type de la table d’à côté, un habitué qui essaie chaque semaine de se faire des amis, nous offre tous nos verres et même un bouquet de roses.Entre deux chansons, je joue les gardes du corps pour les protéger des mains baladeuses de quelques relous bien éméchés.
« Tu bosses dans la sécurité ? » demande un homme qui m’observe, amusé, depuis le comptoir.
Un séduisant jeune homme anglais s'approche de moi et essaie de m’emmener danser dans un club voisin. Son français est parfait. « Il y a eu une femme », avoue-t-il en riant. J’ai des échanges moins courtois avec d’autres et Bibiche, qui veille au grain, évacue manu militari un opportun. Dans la rue adjacente, une bagarre éclate. Au moment de partir, j’offre quelques roses aux femmes de la table voisine.
A 5h30, je suis en train d’attendre le premier métro avec Paola et Carol et ça me rend mes 25 ans (au moins !). Je n’ai pas voulu que Paola prenne le RER D seule à 6h du matin, et puisqu’elle doit aller visiter le château de Versailles le lendemain avec une amie, elle dormira chez moi. Dans le wagon, nous nous endormons l’une contre l’autre.
Le lendemain, Paola m’envoie un sms. « Muchas gracias por el sabado tan chevere que pasamos juntas ! No hablamos esta semana para mirar que hay para hacer. »
Et ben, si les weekends de l'année 2013 ressemblent à celui que je viens de passer, je sens que je vais rajeunir, moi…