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Dans la peau d'un homme (2)

chausson.jpgIl a eu 5 ans en juin.

Je ne l’ai même pas vu faire ses premiers pas, mon fils.

15 bougies, déjà, qu'il a soufflées sans moi. Tout ce qu’il me reste de lui, c’est une photo dans un cadre qui trône sur le meuble de mon salon, sa blondeur, son sourire qui me déchire le cœur à chaque fois que je le regarde. Et une paire de chaussons, oubliée. C’était encore un bébé quand elle est partie.

 

Quel con j’ai été ! Je n’ai pas vu les signes avant-coureurs de la catastrophe, le chèque de sa part du loyer qu’elle n’avait pas fait, le dernier mois, les cartons qui s’entassaient petit à petit dans l’appartement. Elle avait prétexté des affaires à renvoyer chez son frère, comment aurais-je pu imaginer qu’elle préparait son départ ? Ce n’est que le soir où un couple d’amis est venu dîner et s’est étonné : « Vous déménagez ou quoi ? » que j’ai compris. Trop tard.

Un soir je suis rentré du travail, l’appartement était silencieux et vide. Disparus, le berceau, la poussette, le lit de sa fille, les vêtements. Je n’y croyais pas. J’ai appelé, elle était chez une amie, j’ai pensé qu’elle avait besoin de réfléchir et qu’elle allait revenir. Mais elle a sifflé entre ses dents « Tu ne reverras jamais ton fils, je te préviens. Si tu tentes quoi que ce soit pour le voir, je dirai que tu bosses au noir, je dirai même que tu me frappais ! » J’ai pleuré, j’étais abasourdi, anéanti, j’ai demandé « mais pourquoi ? », elle a raccroché.  

Les semaines suivantes, j’ai vécu comme un zombie. Je passais mes soirées à regarder les photos de ce bonheur perdu, n'y croyant pas encore, et mes nuits à pleurer, recroquevillé sur moi-même. J'ai cru crever de ne plus sentir leur odeur, la douceur de la peau de mon fils, celle de ses cheveux à elle sous mes doigts. J’avais froid en plein été, le silence me rendait fou. Et la journée, j'affrontais la suspicion des autres, les questions auxquelles je n’avais aucune réponse, les accusations silencieuses « Quand même, si elle est partie, y’a une raison, non ? » Moi aussi, je me disais que c'était de ma faute, j'étais un mauvais père alors je n’ai plus vu personne, j’ai pensé me foutre en l’air, j’avais tout raté, un boulot de merde, 2 histoires d’amour, 2 enfants, 2 échecs.

chagrin d'amour.jpg

Avec Alice, ça avait été un coup de foudre, un vrai. J’étais en vacances et l’avais rencontrée dans un parc. Elle était assise sur un banc, discutant avec une amie, et me jetait des coups d’œil appuyés. J’avais pris mon courage à deux mains, les avait abordées, elle m’avait tout de suite demandé si j’étais marié, on ne s’était plus quittés. Un mois plus tard, elle emménageait  chez moi avec sa fille.

Au début, elle ne travaillait pas mais avec mon petit salaire, je ne pouvais pas assumer le loyer et subvenir aux besoins de mon premier fils, sa fille, et nous deux. Alors, je l’avais fait embaucher dans la boîte où je travaillais.

Elle était si menue, une vraie poupée, toute fragile. Elle en avait bavé dans la vie, ne parlait plus à sa mère ni à son père. Transplantée, elle avait failli y passer à son premier accouchement. Elle voulait tout, très vite : se marier, acheter une maison, faire des enfants. Elle disait qu’elle avait peur de mourir. Moi, j’avais tellement souffert de ma première séparation que j’étais plus prudent et puis, une grossesse était risquée, je ne m’en serais jamais remis s’il lui était arrivé quelque chose.

J'avais tellement souffert de devoir me battre pour la garde de mon premier fils, je me souvenais le bureau de la juge et elles deux qui semblaient liguées contre moi, j’avais eu l’impression de passer en jugement, c’est le cas de le dire. C’est dingue, des gens qui ne connaissent rien à ta vie et décident de t’autoriser à voir le fruit de tes entrailles 1 week-end sur 2, du samedi 13 heures au dimanche 20 heures. Et mon ex qui déposait une main courante dès que j’avais 5 minutes de retard !

Mais je l’aimais tellement, Alice. Je lui avais tout raconté, la violence de mon ex, la seule fille avec laquelle j’en étais venu aux mains, elle piquait régulièrement des crises d’hystérie, m’insultait, me sautait dessus. Un soir, excédé, je lui avait collé une paire de baffes, pour la calmer. Bien sûr, elle avait déposé une main courante, j’avais eu beau expliquer qu’elle m’avait frappé, non, monsieur, vous devez garder votre sang-froid. J’étais resté pour mon fils, je me suis dit « T’as fait un gamin, tu assumes, mon vieux » et puis, je ne voulais pas faire comme mon père.

Je ne l’avais pas connu, il avait abandonné ma mère alors qu’elle était enceinte de moi,  juste un mot sous la porte. Mais au bout de 6 ans, j’en avais eu marre des scènes devant le petit, il pleurait de plus en plus souvent, j’avais cessé de l’aimer, commencé à la tromper, elle aussi d’ailleurs, et je l’avais quittée.

Ma mère avait accueilli la nouvelle de ma séparation d’un « Tu ne vas pas faire comme ton père, quand même ? », j’avais serré les dents, m’étais juré que la prochaine fois serait la bonne.

Je n'avais rien caché à Alice mais après, en y repensant, j'aurais peut-être dû. Elle avait eu une drôle de réaction, m’avait dit « Si tu l’as trompée, elle, ça veut dire que tu me tromperas aussi ».

Elle était très possessive, jalouse, soupçonneuse, avait sans cesse besoin que je la rassure. Elle me reprochait de ne pas vouloir m’engager avec elle, de ne pas lui donner de preuves d’amour. J’ai tenu trois ans, arguant qu’on avait le temps, et que c’était risqué pour elle, puis j'ai cédé et lui ai offert la plus belle des déclarations : un enfant.

C’était dur, je bossais comme un dingue, trois boulots à la fois, je ne sortais plus, j’étais claqué, mais le soir, lorsqu’elle se réfugiait entre mes bras et posait sa tête contre mon torse, lorsque je caressais son corps gracile d’adolescente, j’étais le plus heureux des hommes.

Et puis ce soir terrible où ma vie s’est écroulée, comme un château de cartes.

Nous devions partir en vacances ensemble deux mois plus tard, j’avais insisté, viens, on va tout reprendre à zéro, mais elle avait refusé, il y avait de la haine dans sa voix, j’étais parti seul, ce furent les pires vacances de ma vie, partout des familles, des enfants insouciants, de l’amour, de la joie. Derrière mes lunettes de soleil, sur la plage, je pleurais en regardant les enfants faire des châteux de sable.

Un soir, j’avais croisé un ancien copain de l’école, il faisait du sport à côté de chez moi, je m’étais inscrit avec lui, et le sport m’avait sorti du gouffre dans lequel je m’enfonçais. Je rencontrais de nouvelles têtes, commençait à peine à me faire à l’idée que je l’avais perdue pour de bon. A Noël, j’avais acheté des cadeaux pour les enfants et laissé un message sur son répondeur « J’ai acheté des cadeaux pour le petit, tu peux venir les chercher si tu veux ». Silence.

Et puis, 3 semaines plus tard, elle est en larmes au bout du fil, veut qu’on recommence, qu’on quitte Paris. Dans quel état j’étais ce soir-là ! Cette voix que j’avais tant espérée entendre, elle prononçait de nouveau mon prénom, disait « nous ». J’avais tellement souffert, j’étais à la fois fou de joie et de peur, j’avais quand même trouvé la force de dire « Ok, je veux bien qu’on se revoie  mais je veux des réponses à mes questions ». Elle s’était braquée, m’avait répondu « Je vois bien que ça sert à rien » et m’avait raccroché au nez, de nouveau. Et je n’avais plus jamais eu de nouvelles.

Rares sont les personnes qui comprennent pourquoi je ne me bats pas pour ce fils qui est mien. Je ne veux pas me retrouver sur le banc des accusés, de nouveau. Je ne le supporterai pas. Et puis, ce gamin, je ne suis rien pour lui. J’ai tout raté, ses premiers pas, ses premiers mots, je ne l’ai pas vu grandir. Il paraît qu’elle me fait passer pour mort. Et je débarquerais, du jour au lendemain, en lui demandant de m'appeler Papa ?

Alors j’attends. Qu’il grandisse, qu’il essaie un jour, peut-être, de me retrouver. En espérant qu’il ne fasse pas comme moi qui n’ai jamais cherché la trace de mon propre père, acceptant la version de ma mère comme étant la vérité.  

Il y a 3 ans, j’ai rencontré une fille. On était bien ensemble mais elle voulait un enfant, bien sûr. Elle avait prévenu "Si tu ne changes pas d'avis, je te quitterai", et elle est partie. Qu’on ne me parle plus d’enfant. A chaque fois, leur arrivée a signé la fin de mes histoires d'amour.

Putain, si j’avais su, à 25 ans, que j’aurais cette vie-là, qu'à 35 ans je serais seul, et père de deux garçons que je ne vois pas, ou à peine ! Et dire qu’ado, j’ai critiqué ma mère qui avait eu 3 enfants de 3 hommes différents ! Je ne méritais pas ça. Je n’aspirais qu’à la stabilité, j'étais un homme loyal, bosseur. J’aurais tellement voulu être comme ma sœur. Elle a toujours été mon modèle, a tout réussi, ses études, sa vie amoureuse. Ca fait 15 ans qu'elle est avec son mec. Moi, j’ai tout foiré, les études, et ma vie.

Alors aujourd’hui, quand on me demande si j’ai des enfants, je répond « Oui, un fils ». Personne ne remarque, à l'instant où je prononce ces mots, que mes yeux se mouillent.   

Le petit ange blond sur la commode, c’est une épine que personne ne voit, plantée si profond dans ma chair qu’elle me fait saigner à chaque pas.  

Père et fils.jpg

 

 (jé réitère l'expérience déjà tentée )

 

Commentaires

  • ...

    ...

    ...

    ... ... ... bravo!

  • Ah mais non, il faut que tu arrêtes, hein ?
    La vache, il est touchant ce texte et ce type.
    Ca ne m'empêche pas de penser qu'il se rend malheureux en n'acceptant pas le réel ou en ne se batttant pas justement. Mais il est touchant...
    Pffffffffff... Emotions, émotions, ...
    :-)

    [En même temps, ce serait bien que les mères aient un peu plus de considération pour les pères...].

  • Bravo !

  • quel écho...
    tu t'es bien fondu dans sa peau :)

  • C'est complètement bouleversant.....
    Merci de ce moment d'émotion....

  • C'est à la fois surprenant et bien que tu écrives sur ce sujet. Combien de femmes réfléchissent aux liens de paternité ? Je l'ignore.
    Beaucoup de familles monoprentales, de nos jours, où les enfants sont confiés à la mère.
    Je ne peux pas trop causer de ça, parce que l'émotion monte fort, ça fout les boules, en boules de feu.
    Deux gamines que j'avais adopté par le coeur, pas avec des papiers ; une séparation brutale. Un truc qui saigne encore, régulièrement, au delà d'une liaison treminée. Et traverser une rue sans les retenir doucement du bras (mes princesses) pour qu'elles n'avancent pas sur la chaussée, attendre le feu rouge avec deux petits fantômes, c'est parfois me sentir moi-même un fantôme.

  • @ Tous,
    Si vous avez été touchés, je l'ai été aussi par vos commentaires. Que puis-je ajouter de plus ?
    Ah si, Alex, en te lisant, j'ai regretté de l'avoir écrit. Je me sens conne, d'un coup.
    Je t'embrasse fort.

  • Intéressante et curieuse expérience.

  • Je ne peux parler pour Alex Fiso mais je crois qu'il n'y a rien a regretter, si tu l'as écrit ainsi et déposer ici c'est que tu avais tes propres raisons.
    Pour ma part j'ai été fortement touchée, mais à l'inverse, au regard de ma propre histoire et ça fait du bien d'être touchée ainsi parfois au delà de certaines barrières ou de silences conventionnels. Merci, merci Sophie.

  • Je retiens ce qui n'est pas l'essentiel : les pires vacances de sa vie, une famille et un entourage devenus désuets dans le contexte du bonheur perdu... Mais j'ai lu aussi tout le reste. Le deuil de la paternité est terrible, il l'est sans doute d'avantage encore lorsque la paternité a été vraiment éprouvée. C'est troublant que tu aies écrit ça, que tu aies pu l'écrire... Combien d'histoires, de rencontres, et quelle sensibilité ont pu nourrir tout ça ?... Chapeau.

  • Après avoir séché mes larmes à la lecture de ce billet, je finis par admettre que la mère de mon enfant n'est finalement pas si mauvaise que ça. Même quand j'arrive en retard pour récupérer mon fils, je n'ai finalement droit qu'à une réflexion désagréable, ça pourrait être largement pire.
    La venue d'un enfant semble développer chez certain(e)s une sensation de pouvoir et de toute puissance envers l'autre parent. L'enfant devient l'outil de chantage parfait. Pas étonnant que les journaux soient remplis de faits divers relatant des règlements de compte à ce sujet.

    Rien de plus naturel que de protéger son enfant, mais pas au prix de la destruction de l'autre parent. Dans un échec familial (ruture, divorce, choix unilatéral de procréation), chaque parent a sa part de responsabilité, et en aucun cas l'enfant ne doit servir de tampon. Il n'y est pour rien.

    L'instinct animal de l'être humain est mis à rude épreuve quand les deux parents sont en guerre. Le plus faible des deux se fait bouffer tout cru. Rien à attendre des tribunaux qui considèrent encore à ce jour qu'un père est incapable d'élever son enfant.

    Elle existe encore la famille unie et heureuse ? Ou l'individualisme exacerbé actuel est-il en train de détruire définitivement toute tentative ?

  • Monsieur Poireau,
    Je bondis ce matin en relisant ton commentaire ...
    Accepter le réel ? Et pusi quoi, encore ? Tendre l'autre joue, en plus ?
    Niet ! Se battre, comme pour d'autres causes, pour faire cesser les injustices et donner aux enfants toutes les atouts pour avancer dans la vie.
    Bougrenette,
    Ton commentaire me fait plaisir. Y'a pas beaucoup de femmes, et encore moins de mères, qui s'expriment jusqu'ici ...
    Olivier,
    P'tain, t'as failli me faire chialer à peine arrivée au boulot, toi !
    Hervé,
    Tu arrives en retard pour récupérer ton fils ??? Père indigne !
    ;)

  • Si j'arrive en avance, elle ne répond pas à l'interphone... pour se permettre de gueuler après parce que j'arrive en retard. Jeu malsain qui n'a d'autre issue que de prendre sur soi pour éviter suicide, meurtre, abandon ou soumission.
    Elle est pas belle la vie ?

  • Fiso je ne pouvais que m'exprimer, je suis une mère qui a fait le choix de laisser son fils à son père, car leur amour était au dessus de tout, forcément ça laisse des traces, je ne peux que réagir aux émotions d'Alex, d'Hervé, ou Mr Poireau, les enfants sont une priorité au delà du réel, et l'on doit tout faire pour les rendre heureux.

  • Fiso : je n'ai pas dit tendre l'autre joue !
    C'est trop long à expliquer par écrit et cela donnera lieu à une conversation si on se croise un jour !
    :-))

  • Bourgrenette, ça m'interpelle ton dernier com'. Au moment de ma séparation avec le papa de mon fils , lorsque la garde partagée n'était plus possible, j'ai hésité aussi, tant leur complicité et le besoin de se voir semblaient immense... je n'ai pas eu le coeur, on a laissé un juge trancher et je l'ai gardé prés de moi. C'était il y a 3 ans. Je ne le regrette pas mais j'admire réellement celle qui laisse partir leurs petits loin du cocon qu'on a cru leur fabriquer.

  • Mona, mon fils était grand, et l'histoire est un peu particulière, nous n'avons pas permis qu'un juge mette son nez dans nos affaires, j'ai même l'impression que souvent la justice n'arrange rien, au contraire. J'ai fait le choix de les laisser ensemble et de les garder près de moi, pas loin :-) je ne crois qu'on puisse admirer, c'est pas évident, on fait au mieux en pensant au meilleur. Mon fils est heureux et c'est la plus belle récompense.
    Tu as certainement bien fait Mona, chacun fait selon son coeur et ses moyens, selon sa propre histoire aussi.

  • Oui, Hervé, elle existe encore la famille heureuse et unie et elle ne se rend compte de son bonheur qu'en voyant le malheur des autres ...
    C'est bien de nous le rappeler de temps en temps !!! ... Merci Fiso !

  • Mon reup ne saurait même pas dire combien il a d'enfants. Pourtant, on est tous là, sous son nez.

  • très joli texte où vous avez su cueillir les émotions masculines que beaucoup d'entre nous s'efforcent de masquer.
    Je reviendrai lire le 1er opus.

    :)

  • Kris,
    Bienvenue et merci :)
    J'ai la chance d'avoir des amis qui me font assez confiance pour me les offrir, leurs émotions, et du coup en provoquer de fortes, chez moi. Enfin, bref, on s'échange des émotions, quoi ... ;)
    :)
    (à bientôt)

  • Triste réalité fiso, de cette souffrance masculine MUETTE!
    Après cette lecture, je n'ai qu'une seule envie: rentrer chez moi, pour embrasser mes trois grands et mon pti'bout.

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