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C'était supportable alors je me suis tu

Je m'appelle Mabrouck Rachedi. A l'école déjà, la maîtresse m'appelle Rachid "parce que c'est plus facile que mon drôle de nom". Quand un  -vrai - Rachid squatte les bancs de ma classe, elle me rebaptise Marc. Deux années à s'entendre appeler d'un autre prénom à un si jeune âge, ça marque. C'était supportable et je me suis tu.

(...)

Pour sortir dans les boites branchées, j’ai essayé toutes les combinaisons : en costume, en vêtements de marque, en habits hype ; en petit comité ou à plusieurs ; seul avec une fille ou avec plusieurs filles. Aucune ne marchait si lesdites filles n’étaient pas blanches et si possible blondes. Devenu analyste financier dans une société de bourse, j’ai pu sortir avec un jean pourri, en bande de 20, et en compagnie uniquement masculine.  J’étais le seul « usual suspect » (encore mon allure indéfinissable) parmi des Blancs alors j’étais « au mieux » Blanc, « au pire » le bon Arabe. C’était supportable alors je me suis tu.

(...)

Pas facile de trouver un travail en France alors pour se donner du courage, un ami et moi démarchons ensemble cette grande banque qui a décidé de monter un grand rendez-vous de l’emploi. (...) De fait, nous sommes invités à déposer notre CV et on nous promet de nous rappeler plus tard. Mon ami aura droit à un entretien personnalisé, moi non. La grande différence de nos CV est que j’ai obtenu des mentions là ou il n’en a pas eu. Ah oui, j’oubliais qu’il s’appelle Sébastien. Mais bon, c’était supportable alors je me suis tu.

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Je cours plutôt pas mal quand je suis en forme. Ce jour-là j’étais en très grande forme, dévalant mon parcours habituel à toute berzingue. Les yeux ébahis des badauds témoignent que je suis en train de réaliser une belle performance quand je suis arrêté par la police montée. Qu’est-ce que je fais à courir dans un parcours… de jogging ? (...) Comme la plupart des gens autour de moi, j’ai la fantaisie de chasser la performance sans mes papiers car je suis à deux pas de mon domicile. Mais moi, on me plaque contre un mur et me demande mon identité. C'était supportable alors je me suis tu.

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On s’étonne que je ne boive pas d'alcools et que je ne mange pas de porc. Je peux comprendre l’ignorance alors j’essaie d’expliquer mon héritage culturel. Mais la surprise persiste : je suis cultivé (parait-il car je suis écrivain), je suis sociable, j’ai la blague facile. Allez Mabrouck, du mangera bien du sauciflard ou un coup de rouge pour être un bon camaraaadeuuh. C’est véniel, ce n’est pas méchant, c’est arrivé une bonne centaine de fois dans ma vie. C’était supportable alors je me suis tu.

(...)

Aujourd’hui je suis aux Etats-Unis pour un programme d’écriture internationale regroupant des écrivains de 36 nationalités. Aux yeux de tous, je suis le Français. On me renvoie toutes les caricatures, du béret à Edith Piaf, de la baguette de pain à l’intellectuel germanopratin… Et même au sauciflard et au vin. Je souris du sublime paradoxe de n’avoir jamais été aussi français, pays de ma naissance, qu’à l’étranger. Et là, tandis que j’écris ces lignes, j’ai le mal du pays. Mon pays. La France.

(...)

Me taire était une erreur. Bout à bout, la séquence des événements à un sens, celui d’une bête immonde dont le ventre est encore fécond. Ce n’est pas supportable alors parlons-en.

Retrouvez le billet complet sur le blog de Mabrouck Rachedi :

Commentaires

  • je voudrais t' envoyer un témoignage de racisme avérè que je vis au quotidien dans ce pays MABROUCK OU PUIS JE CONTACTER?

  • je voudrais témoigner du racisme au quotidien dans ce pays qui à 20 ans de retard !!!!!!

  • SI MOHAMMED,
    Bonjour:)
    Le lien en bas du billet était défaillant. C'est réparé et vous pouvez cliquer dessus pour retrouver le blog de Mabrouck.

  • Entre patronyme douteux et délit de sale gueule, pas facile de tracer sa route ...
    Cela me renvoie au journaliste du Monde, Mastapha Kessous, sans cesse obligé de prouver qu'il peut être en effet "journaliste" et de plus, au "Monde" ...
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/09/23/ca-fait-bien-longtemps-que-je-ne-prononce-plus-mon-prenom-quand-je-me-presente-au-telephone_1244095_3224.html

  • P'tain je commence par écorcher son nom ... Mustapha Kessous ... Pardon !

  • En 1995, je faisais une partie de mes études de commerce à Londres. J'étais dans une école très cosmopolite où beaucoup de nationalités se cotoyaient.
    Un jour, assis à la cafète, je discute avec une blonde. Elle me dit qu'elle est russe et me demande de quelle nationalité je suis.
    Je lui réponds : "French". Et elle de me dire en me dévisageant : "You don't look French". Depuis ce jour là j'ai compris.

    La semaine dernière, ma mère présente un projet. A la fin, une ne femme vient la féliciter pour lui dire : "vous parlez très le français". Ma mère a ri. Elle a bien fait.

  • Le mode vénèr' a cela de bon qu'il te permet de nous faire découvrir des perles, et si en plus les comm sont top c'est les cerises sur la pâtissière, enfin je me comprends.
    ps : je ne suis pas chiante ;-) juste en mode silence par accident, j'ai rectifié !

  • Merci d'avoir relayé cet excellent texte, que je suis allée lire in extenso.
    Le racisme est un horrible petit tueur quotidien. Vieux réflexe du temps des cavernes, ou "les autres" étaient potentiellement des rivaux. Mais heureusement beaucoup de personnes, dont je suis, n'ont jamais eu avec lui la moindre accointance et ne l'auront jamais.

  • Euh... Je n'avais pas suivi le lien vers le blog de Mabrouck avant de commenter !
    Il fait justement référence à Mustapha Kessous ...
    Chui un vrai boulet moi ! :)

  • Philo,
    Je n'avais pas eu le temps de te répondre ... et puis, le lien initial ne fonctionnait pas donc tu n'y es pour rien ;)
    PS : Merci pour le lien vers Mustapha Kessous, que j'ai lu.
    Deftones,
    Mouais ... si la bonne femme qui a félicité ta mère méritait plutôt des baffes, peut-on donner le bénéfice du doute, à la russe ?
    Moi, dans ma grande jeunesse (et ignorance), j'avais fait une bourde envers un Américain pas très maligne non plus ... je te raconterai à l'occasion ;)
    Boug',
    Les cerises sur la patissière : trop mignon ;)
    Sophie,
    Salut :)
    Racisme ou préjugés, la frontière est ténue. Qui peut affirmer être incapable de préjuger ? Pas moi, en tout cas ...

  • Génial, ce texte !!!

    Moua, j'ai de la chance avec un français à coté, avec ma peau blanche, avec mon frique modeste mais suffisant, avec mon éducation, avec mon meilleur français que le français de mandjuriens bellevillois... j'étais jeté dehors de chez quelqu'un SEULEMENT une fois car j'ai osé à dire qu'en Holland il y a aussi des bons fromages. Je suis déjà gagnant, non ? :)))

  • Igor le chanceux,
    Dis donc, toi, si tu veux augmenter tes chances de survie, tu ferais bien de me donner des nouvelles ! Grrr !

  • Igor le chanceux,
    Dis donc, toi, si tu veux augmenter tes chances de survie, tu ferais bien de me donner des nouvelles ! Grrr !

  • La Kulture n'est rien d'autre que le masque bourgeois de l'ignorance. Proust, madame Bovary, le bourgeois gentilhomme ou Adolf Hitler sont "cultivés". On ne saurait insinuer poison plus mortel dans l'oreille d'un gosse d'immigré que cette idée saugrenue de "culture française". La Kulture n'est utile que dans les dîners mondains, sur les plateaux de télé ou pour meubler un appartement avec goût ; la culture, c'est la binette du parvenu.

    Même le plus romain et discipliné des humanistes français -mettons Montaigne- ne manquerait pas assez d'esprit critique pour cautionner ce costard cartésien cousu de fil blanc, pour ne pas piger que la culture est nécessairement "à géométrie variable" comme les sophismes de l'atomiste Einstein, c'est-à-dire entièrement soumise au principe de la mode. Ainsi le moderne devient "antimoderne" lorsque le train de la modernité est passé, et retournera ainsi de suite sa veste en temps utile.

    N'est véritablement "cultivé" aujourd'hui qu'untel qui connaît les derniers avatars du cinéma hollywoodien et les dix plus gros tubes du Top 50. Ce que le bourgeois ne supporte pas dans la contre-culture, c'est qu'elle lui succède. Laissons les académiciens atteints de gâtisme, confits dans leur mémoire de collectionneurs, pleurer devant le vide-grenier de la culture française.

    Un conseil simple qu'on peut donner à un gosse d'immigré, puisque c'est la seule voie de l'intelligence qui lui permettra de s'affranchir du football et des corvées que les libéraux cyniques et fainéants lui infligent : se cantonner aux oeuvres de la Renaissance française et européenne (disponibles gratuitement sur Google). Gain de temps assuré lorsqu'on a autre chose à foutre que convertir le temps en argent ou lire des romans de Flaubert après Flaubert, ce qui revient pour une demoiselle à continuer de porter des robes à cerceaux.

    L.

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