Note à "une passante" : Ne lis pas ce qui suit, je ne veux pas te foutre le cafard. Vraiment pas.
Il fait beau. C'est une belle journée d'été, une brise légère la rend plaisante. Une de ces journées où je pourrais regarder par la fenêtre, suivre du regard les mouvements chaloupés des passants, les vélos qui roulent, rutilants, et me dire que la vie est belle.
Je pense à elle, au frais sous plusieurs mètres de terre, seule.
A son regard brun et chaud, son sourire humble, sa légèreté aérienne, ses longs cheveux qui s'envolaient quand elle dansait avec son dégingandé de mari. Aujourd'hui, il ne danse plus, il passe ses soirées à écrire à l'absente. Si elle le voyait, là, elle qui se plaignait qu"il ne soit jamais à la maison.
Il pleure, les bras levés vers le ciel, il regrette, il a froid. Il crie "Aimez-vous" mais personne n'entend, persuadés qu'ils sont d'avoir le temps.
Ses journées sont rythmées par ses visites au cimetière, deux fois par jour. Quelle absurdité que cette vie.
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Je pense à elle, enfermée, seule.
A ses yeux de féline devenue biche aux abois, ses mains jointes comme une prière, tordues de douleur.
Je la regardais, en silence, et je ne disais rien. Je suis comme un chat qui témoigne son attachement en clignant des yeux. Ne pas la prendre dans mes bras, pour ne pas pleurer ou pire la faire pleurer, être juste là, avec elle, une présence bienveillante.
Je l'aime, elle me manque déjà tellement. Hier soir, j'ai bu un peu de framboise, à sa santé, comme elle me l'avait demandé, mais j'avais envie de pleurer, à la savoir seule entre quatre murs, face à des gens pour lesquels elle n'est qu'une patiente de plus.
Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs. Elle se cogne, affolée, aux vitres, illusions de liberté, et à chaque bruit sourd, j'ai mal. Quelqu'un va-t-il enfin lui ouvrir la fenêtre ?
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Je pense à elle, envolée, seule.
A son sourire trop rare, ses lèvres minces, sèches comme un horizon fermé, ses yeux sans émotion, son ton coupant, souvent.
Des années de désamour ont érigé autour d'elle une barrière que peu s'avisent de franchir. Elle essaie de ne plus y croire mais elle est jeune, encore.
Elle dit « Tu te rends compte, je m'offre des massages pour qu'on me touche. Ca fait des mois qu'on ne m'a pas touchée, caressée. Personne ne me touche jamais. » On en rit mais elle sait que je sais.
Je pense à la solitude de ces corps vieillissants et flétris, à ces visages de cire dont on embrassera peut-être le front, sur leur lit de mort, pour une dernière caresse qu'ils ne goûteront même pas. C'est ridicule.
Commentaires
Un blondinet chantait " Aimons-nous vivant ! "
C'est aussi valable pour les caresses ...
Tu sais c'est un peu ambiguë la tristesse est peut être parfois nécessaire, faut peut être s'y plonger sans trop d'appréhension, regarde comme les lendemains peuvent être beaux, et c'est à ça qu'il faut croire, fort, ce dire qu'il en faut un peu pour apprécier tout le reste sans restrictions, le cœur et l'âme ouverte en grand et je pense aussi fort, très, à notre absente adorée et qu'elle nous revienne.
Oui, c'est fragile une framboise, mais tu as vu comment c'est fabriqué ? Des centaines de petits morceaux assemblés pour ne faire au final, qu'une globalité. Des centaines de petits grains charnus, insignifiants pris un à un, mais dont l'explosion de saveur est à la hauteur de l'intensité de son extrême fragilité. Une construction de la nature particulière, comme un échafaudage miraculeux, la fragilité des grains, mais la force d'une liqueur... J'aime les framboises, mais j'aime surtout sa liqueur. Alors, j'en boirai, encore, longtemps, à nouveau.
P_o_L,
Ça se mérite, une framboise ...
Ce petit grelot rouge et parfumé ne s’offre pas, il faut le débusquer car il se cache le long des fossés, au milieu des ronces ou sous l'ombre protectrice d'un tendre feuillage.
On la trouve toujours par grappes mais je la soupçonne d'être une solitaire. D'ailleurs au contact de ses congénères, elle se froisse vite.
Sa peau veloutée s’effleure ou se caresse mais elle ne supporte pas de trop fortes pressions. Et pour la cueillir sans la blesser, il faut modérer la pression de la pulpe des doigts sur sa peau si fine.
De la framboise, j’aime la saison, celle où sa robe rouge grenat libère des effluves musqués.
Je pars à sa recherche en fin de journée, à l’heure de l’apéro, quand nos peaux chaudes sont gorgées de soleil et que les sous-bois exhalent leurs parfums suaves de mousse.
D'un pas nonchalant, je guette ces coeurs palpitants au hasard des chemins oubliés.
Pour ces mêmes raisons, j’aime aussi sa cousine, la fraise des bois.
De la framboise, j’aime la rondeur givrée et derrière l'apparente douceur, la puissance du jus qui explose sous le palais. Ensuite, le moelleux libère des grains facétieux qui se collent sur les gencives. Quand on a mangé une framboise, on garde longtemps le souvenir de sa saveur à nulle autre pareille.
C’est dingue comme cet humble petit fruit marque les souvenirs ! Et ses bienfaits sont innombrables : elle prévient des maladies liées au vieillissement et notamment les problèmes cardio-vasculaires. J’en témoigne : à chaque fois que je bois une gorgée de ce nectar sucré, mon cœur se réchauffe instantanément et mon visage s’éclaire du sourire d’une gamine insouciante qui joue dans la cour d’école avec ses meilleures copines.
Jusqu'ici, j'aimais la framboise sous sa forme glacée ou gélifiée. Depuis quelques mois, c'est sa liqueur que je goûte, presque religieusement, comme un instant d'éternité. J'admire ses reflets moirés, les larmes miellées qu'elle laisse sur le verre et je me laisse envahir par sa chaleur bienfaisante.
La liqueur de framboise restera à jamais le symbole élégant de ce fruit charnu, délicat et surprenant, et son parfum dans ma bouche aura celui du des étreintes fraternelles, les yeux dans les yeux, de ces promesses muettes, dans le soir tombant, sous des cieux tantôt limpides, tantôt pluvieux.
... *
* gros soupir.
Quel morceau d'anthologie ! Tout ça pour une framboise... ^^
Les framboises sont comme le printemps et l'été, éphémères. C'est pour ça qu'il faut les croquer à pleine bouche ou sur chaque doigt de la main, comme Amélie Poulain. Des framboises, des yeux de félin, une biche aux abois et un oiseau qui se cogne contre les vitres... Que tout ça est bucolique ! Mais vite qu'on ouvre la fenêtre. Mais vite que l'été s'achève. Vite que les yeux de la biche effrayée redeviennent ceux du tigre. Et tant pis pour les framboises, car comme tu le dis si joliment, il y aura toujours de petits grains facétieux qui rappelleront l'intensité de son gout, quand au fond du cœur elle laissait glisser sa saveur.