Longeant l’enceinte de l’ancienne médina, je me dirige vers le boulevard Félix Houphouet Boigny, hommage à la grande amitié qui unit jadis Mohammed V au président ivoirien. Un homme me croise, me salue, m’apostrophe : »Tu es française ? De Paris ? ». Nous discutons quelques instants. Mohammed connaît bien les français, il organise des excursions à cheval et des cours de kyte-surf dans la région d’Essaouira. Il propose de se promerner. Nous passerons toute l’après-midi ensemble. Il m’entraîne dans la médina, que je commence décidément à bien connaître, et me montre l’hôtel Central, construction française, puis un très ancien hammam construit par les juifs. « Tu veux aller à la place Mohammed V ? Plutôt à la place de la Wilaya. C’est la même chose ! La wilaya se trouve sur la place Mohammed V. Ah ben voilà … Dans les rues de la médina, des clameurs de joie s’échappent des cafés, où les hommes ont les yeux rivés sur un poste de télévision. « Aujourd’hui, il y a un match de foot de l’équipe de Casablanca contre Tetouan (score 2-1 pour Casa) ».
Nous traversons de nouveau en courant l’avenue des F.A.R. - ça y est, maintenant j’ai pris le pli - puis nous débouchons sur la place Mohammed V, et traversons le jardin central. Moahmmed tient à me montrer la statue du général Liautey, emprisonné derrière les grilles du consulat français. De nombreuses barrières bloquent les accès des rues adjacentes. "Avant on pouvait passer ici, dit Mohammed, mais à cause des menaces terroristes, c'est contrôlé", dit Moammed.
Sur l’avenue Hassan II, il m’entraîne dans le parc de la Ligue Arabe où j'ai quitté Joachim, la veille. Là, des joggeurs courent autour d’un stade. Merde, si j’avais su … J’ai amené mes baskets mais la perspective de devoir prendre un taxi pour aller courir sur la corniche m’a découragée. « C’est dommage que tu partes demain, dit Mohammed, on aurait couru ensemble le matin, je t’aurais entraînée, je fais beaucoup de sport.
Derrière le parc, l’avenue est bordée de cafés. « Les étudiants viennent là, le soir, pour boire un verre ». L'endroit est étrangement calme, comparé à l'agitaition de l'avenue.
« Ca te dit de visiter le quartier français ? Tu pourras prendre des photos. Je vais te montrer Casablanca, tu vas être très contente », dit Mohammed. Il regarde mes chaussures à talons d’un air dubitatif. Je le rassure : « Ne t'inquiète pas, je suis habituée, je peux même courir avec ».
Dans le centre de Casablanca, il reste de nombreuses constructions, aisément reconnaissable, de l’époque du protectorat français. Mohammed veut absolument me montrer les vitraux de l’église de Notre-Dame de Lourdes, où il vient parfois se détendre. A l’entrée, il y a une petite grotte. L’architecture de cette église est étonnante, elle est assez sombre.
Dans la chapelle où nous entrons, un homme est en train de prier. Nous ressortons pour ne pas l’importuner mais il nous invite à entrer et entame la conversation avec moi. C’est un congolais de Kinshasa, il est étudiant dans une université proche et repartira au pays dans un an. Une nouvelle occasion de parler de cette bouffe zaïroise qui me manque parfois. « Je m’appelle Emile Zola », dit-il. Dans la nuit, sur Skype, mon ami F. qui commence sa soirée au Mexique m’assure avoir, de son côté de l’océan, rencontré un Victor Hugo.
Nous voici de nouveau sur les trottoirs biscornus de Casa. Il faut toujours regarder ses pieds, car il y a plein de pièges. Les trottoirs font un bon vingt centimètres de hauteur et régulièrement, des tiges de métal en jaillissent. L’agitation a fat place à un quartier très résidentiel, bordé de villas cossues d’où s’échappent des bougainvillées. Enfin, je crois, car enfant de la jungle urbaine, je suis absolument nulle dans l’art de reconnaître fleurs, plantes ou arbres. Le quartier est très agréable et la balade fort plaisante. Nous arrivons devant devant une haute porte, c’est le palais royal, gardé par des hommes en uniforme. On ne voit absolument rien de ce qui se cache derrière la haute enceinte. « Viens de ce côté, dit Mohammed, on n’a pas le droit de longer les murs du palais, il faut marcher de l’autre côté de la route. C’est à cause des terroristes ».
Nous avons atteint le quartier des Habbous, où se trouve la médina construite par les français, à l’identique d’une typique médina marocaine, pour loger les travailleurs. Mohammed pénètre dans une pièce sombre, c’est là que l’on cuit les gâteaux fabriqués de l’autre coté de la ruelle et venus dans la pâtisserie Bennis Habbous. « Une des meilleurs pâtisseries de la ville, on envoie ces gâteaux en France », assure Mohammed, qui prend la pose de bon coeur. Dans la pâtisserie Bennis Habbous, ce sont les hommes qui officient et avec leur accord, je prends des photos de leur petit laboratoire. Dans une boulangerie voisine, deux jeunes garçons m’offrent un morceau de pain tout jute sorti du four. « Les gens font leur pain à la maison et viennent le cuire dans les fours communs » explique Mohammed. Tout comme les Crétois et leurs olives.
Nous voici de retour dans la foule et l’agitation d’un souk. Sur un étal, Mohammed entame au couteau l’écorce tendre de juteuses figues de barbarie, qu’il me tend. Miam. La voix d’al muezzin s’élève tandis que je bavarde et Mohammed m’explique qu’il faut éviter de bavarder ou faire du bruit à ce moment-là. Et c’est vrai qu'autour de nous, les postes de musique qui braillaient se sont tus, tout à coup.
« On a beaucoup marché, on va boire un petit thé. Je vais t’acheter des gâteaux pour manger avec le thé », dit Mohammed. Nous nous installons dans un café et j’observe l’agitation d’un souk. Il y a là des porteurs d’eau, coiffés de drôles de chapeaux rouges, des vendeurs qui frappent la semelle des babouches qu'ils vendent, comme pour attester de leur solidité, et d’autres qui haranguent la foule. "On a marché à peu près 5 kilomètres" dit Mohammed.
Je dois retourner à l'hôtel et nous nous plongeons de nouveau dans l'effervescence du marché. "Les gens commencent à préparer la fête du mouton, dit Mohammed. C'est jeudi prochain". Il m’aide à choisir des babouches pour Oh!91. Le ton monte soudain à côté de nous et j’assiste, médusée, à une engueulade fracassante entre un homme et une femme.
Il est 16h, nous hélons un petit taxi et le chauffeur est un sacré phénomène. Il me raconte que des Français lui ont donné de l'Immodium pour stopper ses problèmes de diarhée dûs à un abus de merguez. Puis il parle de Sheila qui aime les chiens et les chats, je me demande s'il ne confond pas avec Brigitte (Bardot). Ce type est incroyablement drôle, on dirait Khadafi en beaucoup plus jovial. Il essaie de me convaincre de me marier parce que "Le mariage, c'est bon, le mariage".
En chemin, il pointe du doigt un jeune qui titube, complètement bourré. Il raconte sa visite en France, en 1975 et éclate d’un rire franc quand je raconte que je veux revenir faire du cheval avec Mohammed. Je suis moi-même pliée. Je n’ai pas compris la raison de son hilarité mais j’étais ravie de le faire autant rire.
Arrivée à l'hôtel, j'enlève mes chaussures avec soulagement. Pas mal, mes chaussures de marche, non ?
Commentaires
Tes mots et photos sont très éloquents, ils nous (re)plongent dans l'inimitable atmosphère qui règne là-bas. Mais je coup du podcast, en plus, bravo, je n'y avais jamais pensé :))
Deef,
Je suis ravie de t'avoir permis de replonger dans cette atmosphère unique.
Oui, je pratique de plus en plus souvent le podcasting. Je trouve que ça retranscrit, mieux que n'importe quels mots, l'ambiance du moment.
Cette idée m'est venue en Martinique, en août dernier, alors que je cheminais, à la nuit tombée, dans les bruits incroyables de la vie nocturne, lorsqu'animaux et hommes célèbrent la tombée de la nuit.
Tu as entendu le coup de la diarhée et de l'Immodium ? J'étais pliée en quatre ! Ces petits désordres gastriques ne te rappellent rien ? ;)
Si, absolument ^^