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D., taxi madrilène

A Madrid, mon taxi est plutôt bel homme. Je suis la fille des extrêmes. J’aime autant les hommes au crâne lisse que dotée d’une belle chevelure de sauvageon. La faute à Jésus et Yul Brynner.

D. est très jovial. Il a visiblement envie de discuter, ce à quoi je me prête avec d'autant plus de plaisir que ma pratique de l'espagnol, après 2 semaines, s'est considérablement fluidifiée. 

D. a travaillé comme maçon pendant 26 ans avant d’être licencié et de devenir taxi « car il faut bien ramener de l’argent à la maison » dit-il. Je demande s’il aime son métier. Il répond que non, « parce qu’il n’aime pas travailler seul et que ses confrères se comportent comme des ennemis et pas des collègues ». C’est un affectif, mon D.

Il est déjà allé en France, à Eurodisney. En apercevant ma grimace dans le rétroviseur, il précise que quand on a des enfants, c’est un passage obligé. Il aime beaucoup la France, surtout la Bretagne, et encore plus ses galettes de blé noir. Il me donne son nom, hérité d’une grand-mère française : Domenech. « Hé oui, comme l’entraîneur de football ! » rit-il. « Pas étonnant que vous aimiez la Bretagne. Vous avez des racines bretonnes, D. » Bluffé, le D. Je lui raconte et ça l’amuse beaucoup, que le dimanche précédent justement, je faisais sauter les crêpes dans un appartement de Madrid.

Il veut savoir si j’ai goûté aux spécialités locales (il ne me connaît pas, c’est normal). J’énumère tout ce que j’ai mangé, il valide, et lui confie à quel point j’apprécie cette façon toute espagnole de picorer dans la même assiette. J’ai lu, je ne sais plus où, que les Espagnols sont ceux des Européens qui consacrent le plus d’argent à la nourriture. D. affirme que Madrid et Zaragoza sont les deux villes d’Espagne où il fait le plus chaud.

Au moment de nous séparer, nos regards qui se croisaient dans le rétroviseur se font face. Un souffle d’éternité glisse entre nous, quelque chose qui me serre un peu le cœur, cet élan que je ressens parfois, au hasard de rencontres aussi instantanées qu’un courant d’air mais que je n’oublie pas. Il a cet élan aussi, et les mots qu’il prononce appuient ce que son sourire étincelant me dit : « J’ai été ravi de cette course avec toi et de cette discussion. Ça n’arrivera sans doute pas, mais si un jour tu reviens à Madrid, et que tu montes dans mon taxi, je serai enchanté de te retrouver ».

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