Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'avocat de la terreur

fe04aefccac08c1d947e771efe3ea9bd.jpgVu hier le documentaire sur la vie de Jacques Vergès. Ces 2h15 passent sans qu'on s'en rende compte. La vie de ce personnage si controversé est comme un thriller sur fond d'espionnage et de terrorisme.

Dès le début du flim, lorsque Vergès évoque le 8 mai 1945 qui commémore, pour lui, les massacres de Sétif en Algérie, le malaise s'installe. Vergès le dit, né d'une mère vietnamienne et d'un père réunionnais, il comprend parfaitement la lutte des Algériens pour l'indépendance et ne condamne pas leur violence. Né colonisé, en colère, il n'a jamais pu oublier les images de son enfance, celles d'êtres de couleur qui devaient s'écarter sur le passage des blancs. Il en gardera pour toujours l'incapacité à supporter "qu'un homme soit humilié". J'ai trouvé la première partie passionnante, et très romanesque son histoire d'amour avec Djamila Bouhired, jeune poseuse de bombes du FLN et héroine du peuple algérien. Beaucoup d'émotion aussi lorsqu'il visite la prison d'Alger avec les anciennes condamnées à mort. J'ai en revanche eu un peu de mal à comprendre, ne connaissant pas le contexte et surtout ses motivations, ses liens avec la bande à Bader et Carlos. Des moments forts aussi : Bouteflika sur le tarmac de l'aéroport d'Alger avec Carlos, la résistance palestinienne financée par un nazi suisse, Vergès qui dit "J'aurais défendu Hitler et même Bush (sic) à la condition qu'ils plaident coupables." De l'humour avec les anecdotes de Siné qui se désole de la conversion à l'islam de son pote bouffeur de cochon. Et aussi des questions restées sans réponse. Pourquoi a-t-il protégé Moïse Tshombé, assassin de Lumumba ? Pourquoi, lui qui s'était illustré en défenseur des opprimés, a-t-il défendu des dictateurs africains sanguinaires ? Le jeune homme révolté et profondément humaniste ne s'est-il pas transformé en personnage cynique motivé par l'appât du gain ? Et pourquoi avoir abandonné Djamila Bouhired et ses enfants en Algérie ?

Vergès reconnaît avoir éprouvé de la sympathie et même de l'estime pour des ordures notoires. Cela me semble tout à fait humain, car pour ce que j'en pense, les bourreaux sont souvent d'anciennes victimes. J'ai trouvé le personnage sympathique et immensément brillant. Il a poussé son métier à l'extrême, risquant la mort, sacrifiant sa vie personnelle, haï par tant de gens et décrié par ses confrères. Et je retiens cette phrase de lui, qui pour moi, justifie ses choix : "Tout homme a le droit d'être entendu et un avocat a le droit d'accepter ou non d'assurer sa défense. Mais si on l'accepte, alors on doit le défendre avec toutes ses tripes." 

Commentaires

  • Je ne l'ai pas encore vu. C'est vrai qu'il est brillant ce Vergès, et si habile !

  • Bien sur, c'est toujours cette double vision que l'on a de l'autre:vu de l'extèrieur,le crime ou,plus simplement "l'incompétence",l'incapacité à être...un bon père,une bonne mère,un bon travailleur...,entraine le jugement (paresseux,poivrot,salaud...)alors que si l'on découvre l'individu,qu'on l'écoute, le jugement s'atténue pour laisser place à autre chose de beaucoup plus nuancé;
    ceci dit,comprendre les raisons du geste ne doivent pas pour autant signifier pardonner,ce sont les circonstances atténuantes,peut-être?

  • Cat,
    Oui, et même souvent il est impossible de comprendre. Sans doute parce que cet autre qui est un monstre, c'est un peu nous aussi. Il a une mère, il a été un enfant, il a été capable d'amour et de cruauté aussi, comme nous en sommes tous capables, à différents degrés.
    Alors, accepter, oui, punir, oui, mais surtout soigner.

  • J'éprouve une sympathie bizarre pour Vergès. Pour une raison: il est joueur d'échecs, comme moi. Je me souviens d'une interview qu'il avait donnée à Europe Echecs.
    Je comprends et j'admets son argumentation quand il dit que tout homme a le droit d'avoir un avocat et d'être jugé équitablement, fût-il Klauss Barbie. Mais son raisonnement trouve ses limites quand il n'est plus seulement avocat, mais aussi allié de certaines causes extrémistes. Je ne sais pas si c'est le cas avec la bande à Baader (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fraction_arm%C3%A9e_rouge)...

    (le film semble en poil hagiographique, non?)

  • Eric,
    Merci d'avoir enrichi mon vocabulaire avec ce mot que je ne connaissais pas (hagiographie).
    Le film m'a semblé dans l'ensemble plutôt complaisant envers Vergès, en effet.
    Schroeder semble vouloir démontrer la sensibilité de l'homme en accordant une plus grande place à ses histoires d'amour très romanesques et à l'idéalisme et l'anticolonialisme des premières années.
    Quand même, obtenir la grâce de Djamila Bouhired en pleine guerre d'Algérie, il fallait le faire ! On ne peut alors qu'admirer sa détermination et son émotion, réelle. Les larmes d'alors ne sont pas feintes.
    J'ai regretté que le rôle de Vergès auprès des dictateurs d'Afrique Noire n'aie pas été plus développé et qu'on ne lui aie pas posé les questions qui l'auraient mis en difficulté.
    En revanche, les récentes interviews de Schroeder parle de Vergès comme d'un homme malfaisant à l'intelligence diabolique. J'ai lu dans le Nouvel Obs que Vergès n'avait pas aimé le film. Le contraire eut été étonnant. Ca fait partie du personnage.

  • Il y a toujours le problème du proche et du lointain. Quand nous pensons qu'untel est indéfendable parce que monstrueux, nous ne nous référons qu'à l'image médiatique du personnage. L'avocat lui, travaille auprès de l'humain qui, par définition est insaisissable et nullement limité à un seul aspect…

    J'approuve la démarche de Vergès d'être un avocat sans frontières intérieures, c'est à dire de défendre tout le monde sans a priori…

    Ce qui est amusant, c'est que cela suppose donc que d'autres avocats ne le font pas et sont donc prêts à refuser à quelqu'un le droit de se défendre ? :-)

  • @Fil,

    "J'approuve la démarche de Vergès d'être un avocat sans frontières intérieures, c'est à dire de défendre tout le monde sans a priori…"

    Ou alors il a des a priori, mais pas les mêmes que les autres. C'est un avocat engagé.

    Mais on pourrait réfléchir, justement dans notre époque d'image et d'émotion, à cette montée en puissance des avocats. Sarkozy est le plus bel exemple. Il est capable de plaider n'importe quelle cause (enfin, surtout les plus conservatrices et rétrograde, car il a des convictions... des convictions de droite très conservatrices) et de faire vivre une thèse grâce à la puissance de sa rhétorique.
    Puissance qui repose sur la simplicité, voire le simplisme des arguments et des effets employés. En fait, Sarkozy utilise presque toujours une seule figure de rhétorique: l'hyperbole. Il prend un détail et il le grossit. Ca marche sur le peuple.

  • passionnant aussi le fil des commentaires!


    je suis moi aussi très intéressée, intriguée, par la personnalité de Vergès et j'avais déjà très envie de voir le documentaire.

  • Eric : oui, tu as raison ! Excellente remarque encore une fois !
    :-)

  • Je n'ai pas vu le film, mais le personnage fascine : homme à principes ou grand narcissique? peut-être un peu des deux l'une ou l'autre de ses personnalités reprenant le dessus à tour de rôle...Dr Jeckil et Mr Hyde en somme. Intéressant le glissement vers Sarkozy...sauf que lui ne défend pas la cause des opprimés à ma connaissance.

  • Céleste,
    Je te le recommande, c'est passionnant. Quel personnage !
    Esperanza,
    Homme à principes, je ne pense pas. Mais il semble s'être identifié aux nombreux opprimés et combattants de la liberté qu'il a défendus.
    Très narcissique, sans aucun doute. Et aussi un grand sentimental, d'après ses amis.

  • C'est un esprit des plus brillants que celui de maître Vergès. Je verrai ce documentaire avec plaisir.
    Bises

  • Je regrette de ne pas avoir vu le doc sur Verges, car je l'ai entendu - il y a environ un mois - dans un interview sur Fr.Culture : une occasion de mettre sa vie en perspective.
    Le personnage est très intelligent, très sensible, mais aussi très ambigu ce qui le rend moins sympathique que je l'aurais voulu. Quelques zones d'ombre sur sa vie - pas grand monde ne sait pourquoi ni où il a disparu sans laisser de trace pendant 8 ans - le rendent encore plus énigmatique, et, donc encore plus fascinant et qq peu inquiétant.

    En tout cas c'est une très bonne idée d'en avoir parlé et les contributions sont intéressantes.

    Sarkozy est un avocat d'affaire, c'est ce qui fait, en partie, la différence avec Verges, mais on sent bien qu'en tant que fils d'émigrés, tous les deux sont porteurs d'une sorte de blessure qui les pousse à "briller", même si leur parcours ne sont pas identiques.

    Les avocats peuvent refuser de défendre certaines personnes dans certaines affaires, comme le demande Flaplomb ?
    Oui, et heureusement pour leurs clients, parce qu'il faut aussi qu'ils soient convaincus de pouvoir le faire correctement. Et donc de connaître leurs propres limites. Comme l'empathie qu'ils doivent avoir envers l'accusé, comprendre ce qui l'a poussé à agir, en essayant de se mettre à sa place ; chose extrêmement difficile voir impossible, dans certains cas - tortionnaires par exemple.

  • Scheiro
    Il n'est pas trop tard pour le voir, le film n'est sorti que mercredi dernier.
    Sa disparition pendant 8 ans reste un mystère qu'il entretient. Ses amis les plus proches sont convaincus qu'il a passé ces 8 années au Cambodge avec Pol Pot. Certians médias penchent plutôt pour une collaboration avec les services secrets français. On évoque aussi un séjour en Palestine.
    Merci d'avoir fait cet autre parallèle entre Sarkozy et Vergès sur l'esprit de revanche. Sans doute une réparation de ce qu'ont subis les parents ?
    Défendre des tortionnaires, c'est pour moi le mystère sur Vergès et la faille du film. On évoque Barbie et les noms des dirigeants africains défendus par Vergès défilent sur l'écran à la fin du film, mais pas d'explications.
    Ce qui me pousse à penser qu'avec le temps, c'est l'argent qui a motivé ses choix et plus les convictions personnelles.

  • tout ce que je peux en dire est que c'est un homme d'une intelligence exceptionnelle...

  • Je pensais à un docu TV, Fiso, car je ne savais pas qu'il était sorti en salle. Le problème c'est que je ne vais plus ai ciné : difficile de blogger dans une salle obscure et sans Wi-Fi ;-)

    Je pense que, vu l'âge de Verges, on saura assez rapidement - après sa mort - à quoi il a passé son temps pendant sa longue disparition. Mais révélations ou pas, c'est un personnage que l'histoire politique française n'oubliera pas. Ses actions resteront liées à la douloureuse et lente période de décolonisation de manière assez emblématique.

  • Eh il est mort ce blog, ou quoi ? :-)
    Plus de nouveaux articles, je m'inquiète !
    :-)

  • J'ai toujours trouvé Vergés fascinant, et j'aimerai voir ce documentaire pour comprendre ses motivations ...
    faut avoir du cran quand même pour défendre ceux qu'ils a défendu. Et je suppose qu'il perd toujours ces procés, non???

  • Fil,
    ton naturel inquiet m'inquiète!
    peut-être que Fiso manque de temps,tout simplement...comme je la comprends! :-)

  • Merci Cat de ton indulgence.
    En effet, une semaine chargée :)
    Je me rattraperai demain ;)

  • Djamila Bouhired a quand même inauguré les attentats aveugles , elle a participé au massacre d'innocents, ce qui n'a servi qu'à attiser la haine ...et si elle a été acquittée(?), c'est injuste...

  • elle est aussi coupable que les auteurs des massacres de Sétif...

  • Astrale,
    Oui dans les faits des innocents sont morts aussi, des 2 côtés.
    La différence, c'est que Djamila Bouhired se battait, avec ses armes, pour l'indépendance de son pays.
    Ta remarque est intéressante car dans le documentaire, il y a justement un frère d'armes de Djamila qui s'exprime et dit qu'à un moment, il n'a plus été capable de poser ces bommbes, en particulier après l'attentat de "La corniche". Tuer ne le dérangeait pas, mais les mutilés et blessés torturaient sa conscience. Seulement, chaque exaction française contre les siens ranimait sa colère et avait raison de ses résolutions.
    "Oeil pour oeil, dent pour dent et le monde deviendra aveugle" [Gandhi]

Les commentaires sont fermés.