Elle surgit au coin de ma rue, appuyée sur une canne. Silhouette voûtée mais digne.
Je m'amuse de ses brindilles arquées, habillées de chaussettes hautes couleur aubergine d'ou jaillissent des genoux pointus. J'aime bien les petites mémés. Je leur trouve souvent une élégance qui manque aux femmes plus jeunes. Celle-ci vient à ma rencontre et je pressens déjà que nous allons nous parler. C'est un phénomène dont je n'ai pris conscience que récemment mais auquel je m'abandonne à chaque fois avec délice. Comme si j'étais une sorte d'aimant à la fois apaisant et vivifiant qui fait du bien aux gens. Un puits de vie, comme l'a si joliment écrit Olivier.
Parvenue à ma hauteur, elle ralentit, cherche mon regard et s'exclame:"Ah! J'ai eu une frayeur un instant, je me demandais ou était passée ma canne". Je m'arrête et laisse échapper un rire attendri tout en l'observant avec un intérêt non dissimulé.
Sa peau distendue tombe sur ses joues et de fins cheveux grisonnants s'échappent de la toque en fourrure enfoncée sur son crâne. Son maigre cou de volatile dégarni est couvert d'une écharpe en laine jaune. Du tricoté main sans doute.
Encouragée par mon sourire, elle continue "C'est pareil des fois avec mes lunettes, je les cherche alors que je les ai sur le nez!"
Je débite des niaiseries "Ben oui, c'est drôle". "C'est pas facile vous savez!" dit-elle en souriant. "En tout cas, lui dis-je, vous êtes très élégante". "C'est vrai ?, minaude-t-elle comme une adolescente. J'ai 82 ans, ma chérie! "
"Et bien vous êtes une très belle femme".
" Vous aussi, vous êtes très mignonne".
Un silence gêné a suivi. Instant furtif et magique de tendresse entre deux inconnues que 46 années séparent. J'ai eu envie de lui proposer un chocolat chaud dans un café proche. Je l'ai sentie hésitante aussi, comme me quittant à regret, chacune prisonnière de ses pudeurs respectives.
En la regardant s'éloigner d'un pas mal assuré dans la lumière blafarde des lampadaires, seule et vulnérable, j'ai aimé penser qu'elle avait moins froid.
Commentaires
Un peu de chaleur... ça ne tiens pas toujours qu'à des calories...
Elle est sympa et adorable cette dame ; oui, oui tu aurais dû lui proposer d'aller boire un verre, et même si elle avait refusé, je pense que cela lui aurait fait plaisir. La prochaine fois ?
Tu sais, ma Fiso, comme je tiens à la notion de solidarité, et comme je vibre à la sentir vivre de façon sensible. J'aime comme ici tu rapproches les générations par des regards et des compliments simples. J'ai eu la chair de poule à la lecture de ta dernière phrase. Bises !
j'aime beaucoup ce récit un peu désuet, comme d'un autre âge, un peu mélancolique, insolite et tellement humain.
La description de cette petite mémé est savoureuse, on a envie d'en avoir une pareille. En lisant ce récit, on n'est médusé à la lecture des mots qui nous transportent dans une rencontre impromptue. Cela génère une réflexion très intéressante, en tout cas une belle tranche de vie.
Sûr que cette petite mémé s'est sentie d'un coup revigorée.
A tous,
Merci de vos messages émouvants et émus.
Qui sait, peut-être qu'on ira même boire une mousse à la Comète ?
Hey ! Je la connais cette dame ! C'est ma voisine !
On fait des balades nocturnes ensemble, avant de boire le thé de minuit et écouter Erik Satie...
Elle est jolie ton histoire, j'ai même pu t'y voir sourire...
M.,
On ne peut rien te cacher !
(T'en as de la chance de te balader avec ta voisine).
:)