Lorsqu'elles m'ont rejointe, aux premières heures de la journée, nous avons nagé. Des trucs de gosses que je n'avais pas fait depuis longtemps, le poirirer, et puis jouer à chat sous l'eau, ou encore lancer un objet, plonger sous l'eau et être la première à le retrouver. J'ai hésité à m'élancer, faire un poirier au bord de l'eau et me laisser tomber dedans. Une vraie gamine ! J'ai surtout eu peur qu'elles m'mitent et qu'il y ait un accident. Les 3 frangines ont voulu que je leur apprenne à plonger. S. a même dû me réprimander gentiment et me demander d'éviter de faire la bombe. Ici, en Andalousie, l'eau est précieuse.
Et puis, alors que je m'étais réfugiée à l'ombre avec un livre, Y., la plus jeune, a crié. Je l'ai consolée quelques instants, suis retourné lire mais au lieu de rejoindre ses soeurs dans l'eau, elle a couru se réfugier sous un palmier et a redoublé de pleurs.
Je l'observe quelques instants, hésitant. Je ne les connais que depuis la veille au soir mais je ne peux pas laisser une petite fille pleurer seule sous un arbre. Je la rejoins, pose ma peau sur le béton et laisse échapper un cri "Ouille, mais c'est bouillant là-dessus ! Ca ne te brûle pas les fesses ?"
Elle hoche la tête. Je la console, elle renifle, la tête baissée et les bras resserés autour de son corps si frêle. Je soulève ses longs cheveux bouclés, effleure sa nuque endolorie. Elle tressaille et ne bouge plus, comme un chaton qui attend les caresses. Ses cheveux de jais brillent et sentent bon la vanille sous la chaleur du soleil. "J'ai mal", dit-elle. Alors, je me rapproche et hésitante, un peu gauche, la prend dans mes bras. Elle s'abandonne et nous restons de longues minutes comme ça, l'une contre l'autre, sa peau brune si fraîche contre ma peau blanche et chaude, son petit corps gracile et sec contre mes rondeurs, mes cheveux blond-roux posés sur sa tignasse de jais. C'est bon et douloureux à la fois. Et puis, dans un souffle, Y. lâche "Je suis triste que tu partes ce soir. On s'amusait bien."
J'ai connu une petite fille comme Y. Elle portait de jolies robes, avait un regard malicieux et me caressait les cheveux, timidement. A cette époque là, j'adorais les bébés. Ou plutôt j'adorais en tenir un contre moi. Il ya beaucoup de bébés et d'enfants dans les fêtes africaines. On m'en mettait toujours un dans les bras. Il me dévisageait avec curiosité, plongeait ses deux billes noires dans mes yeux verts, triturais mes colliers, agrippais mes cheveux, longs à l'époque. Moi je pinçais doucement ses bonnes joues et caressais ses cheveux crêpus. Dans l'avion aussi, quand je bossais à l'arrière, dans le dos des passagers, j'adorais capter le regard clair d'un bébé irlandais bien joufflu et rose et lui faire des grimaces. Parfois le petit commençait à bondir de joie et les parents, surpris, par les gazoullis de leur enfant, finissait par se retourner et à me prendre en flagrant délit de gagatitude.
Je n'ai plus serré d'enfant dans mes bras depuis si longtemps. Même les enfants de mes amis, je joue avec eux, je leur lis des histoires, mais les câlins, je les évite désormais. Il y a deux jours, l'assistante de mon boss, enceinte de quelques semaines, m'a demandé d'un air enjoué : "Alors, tu nous en fais un quand ?" J'ai eu envie de rétorquer : "Qu'est ce que c'est que cette question à la con ?" Et j'ai répondu la même chose, en plus diplomate.
Ce matin-là, la joue posée contre les cheveux de Y., je me suis demandée si un jour je serrerai dans mes bras un enfant qui sera le mien, pour quelques années. Un enfant qui ne me ressemblera pas, qui n'aura ni mes taches de rousseur, ni mes yeux verts, ni ma peau blanche. Un enfant qui ne sera pas de mon sang. Une mosaique de tous les hommes que j'ai aimés.
Cet enfant m'attend quelque part, je le sais. Il n'aura pas de père mais plein de tontons. Mais aurai-je le courage, seule ?
Commentaires
C'est une belle histoire ma belle...
Je ne m'étonnes pas de tes questions, tu le sais... tu as beaucoup à offrir, c'est certain.
Vis, la solution s'imposera à toi... si ce n'est déjà fait?
" Une mosaique de tous les hommes que j'ai aimés"
Tu vois, rien que pour cette phrase, je t'adore....
Une histoire belle, tendre et touchante... Les émotions sont si bien rendues avec tant de sincérité ! je partage tes doutes quand à l'enfantement. je suis atteinte d'une grave maladie et j'ai peur de la transmettre à mon enfant .C'est une lourde décision à prendre. Les médecins dans l'ensemble sont plutôt optimiste, mais j'ai peur pour le bébé. Alors, je m'abstiens et je souffre en silence. C'est la première fois que je m'exprime sur le sujet car je pense que tu peux comprendre mes hésitations et ma douleur.
Le courage, l'envie, seule c'est si différent...
Comme je partage tes interrogations... Et les deux commentaires précédents.
Je t'embrasse fort, ma belle irlandaise
PS : si j'pouvais, j't'en ferais un dans l'instant, d'bébé ! ;-)
> Fiso : Tu causes bien d'un des plus beaux sujets qui soient, avec les images, les émotions et la pudeur qu'il faut.
> Lilas Zen : Si les médecins sont optimistes, alors pourquoi ne pas ouvrir une brèche de lumière dans tes inquiétudes ? D'autant que des examens en début de grossesse peuvent généralement permettre dévaluer les risques.
C'est bénéfique d'en avoir parlé, d'autres gens peuvent écouter et comprendre.
Incompréhensions,
"La vie choisit le meilleur pour nous."
Cette phrase m'a permis et me permet encore de me considérer comme très heureuse.
:)
ZORG,
Tu m'as fait rosir d'émotion ;)
(tu seras gentil d'acter les réponses aux questions que tu poses, à l'occasion ... il ne reste que 2 mois avant la fin de l'été ...)
Lilas Zen,
Toujours plus facile de s'exprimer sur l'espace des autres que chez soi ... je sais, je fais souvent ça aussi ...
Je ne peux que me ranger à l'avis d'Alex. Je comprends tes doutes et c'est louable de ne pas penser qu'à toi.
Mais si tu souffres, et sachant que le temps, à nous femmes, nous est compté (en matière de fertilité, je veux dire), pourquoi ne pas prendre le risque d'un grand bonheur ?
Je ne vais pas raconter ma vie ici, je n'ai pas tout dit dans ce billet, bien sûr, de mes propres souffrances, mais sache que parfois je me pose la question de certains choix que j'ai faits. Parfois on se dit "j'aurai bien le temps plus tard" mais la vie en décide autrement et quand le moment arrive, rien ne se passe comme tu l'avais prévu.
Alors toi, Lilas Zen, mets toutes les chances de ton côté pour ne pas vieillir avec cette question : "Et si jamais ?"
M.,
"Si je pouvais, j't'en ferais un dans l'instant d' bébé"
Tu ne peux pas savoir à quel point je t'ai aimée, hier soir, en lisant ça.
"Loin des yeux, loin du coeur", dit-on, mais vous êtes 2-3 à être loin et au creux de mon coeur, chaque jour. Et tu en fais partie.
Alex,
J'aurais pu faire du sensationnel, du dramatique et vous faire chialer ... mais je n'aime pleurer qu'au cinéma.
Juste un sourire pour toi
"Elle a fait un bébé toute seule ..."
Reste à l'écoute de tes sourires.
Je suis certaine que tu ne seras pas seule.
@ Fiso,
Merci du temps que tu m'as accordé en écrivant ces lignes. Ca fait du bien de ne pas se sentir seul perdu dans la masse.
Effectivement, il y a des jours où je raisonne comme toi et me dit : Pourquoi pas ?
Mais la peur demeure la plus forte. Avant, je ne connaissais pas la peur. Avant appartient me semble-t-il à un autre monde... Je ne sais pas mettre en mots ma souffrance et puis, je redoute le regard des autres. J'assume pas mon problème de santé et j'ai honte de ce que je suis devenue.
C'est tellement rare, les gens qui comprennent et compatissent, merci.
Mona,
Merci : ) Un sourire, c'est énorme !
Laefab,
Ca non ! M'y suis toujours refusée :)
Zamomi,
Je suis très entourée, je te rassure ;)
Lilas Zen,
Ceci mérite une réponse mûrement réfléchie. Je reviens bientôt :)
Lilas Zen,
Il a dû se passer quelque chose pour que la peur apparaisse. L'endroit n'étant pas propice aux confidences, mon mail se trouve en haut à droite. Je te dirai plus de choses off line.
Qui a dit "la peur de la souffrance est pire que la souffrance elle-même" ...
Une note bien douce (je t'épargnerai le "émouvante".... eh merde, je l'ai dit quand même...)
Putain, trois semaines après, je te retrouve, toujours aussi "chiée", toi ! Mais comment tu fais ??? T'es comme le bon vin ...? Jamais tu ne te transformes en vinaigre, juste, disons, 5 minutes, histoire de laisser au public le temps de souffler et de récupérer....??
Bisous à la petite fille d'il y a quelques années... et à celle d'aujourd'hui, qui n'a jamais cessé d'être petite dans son coeur...
(Le petit garçon te refile en douce ses fraises Tagada... parce que t'es sa copine.. forever)
Lancelot34,
Ah, toi ! ....
Trois semaines après, je te retrouve toujours aussi tendre ... ! Me comparer au bon vin, quel honneur ...
Sinon, t'as pas des chamallows à la place des fraises Tagada, je préfère ?
(tu sais que je pense à toi tous les matins, quand je me lève en prenant soin de ne pas marcher sur le matelas à l'endroit ou une latte manque ? y'a pas beaucoup d'hommes auxquels je pense tous les matins, ces temps-ci lol... )