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Sur les traces de Jean Laborde, érotomane présumé

Après la douche, nous rejoignons le groupe au petit-déjeuner. Les croissants sont croustillants et luisants de beurre, un vrai délice. Le lendemain, j'aurai l'occasion de féliciter le patissier.

 Comme le crachin breton tombe sans discontinuer, nous décidons de nous occuper en suivant une visite guidée des "points touristiques" des environs. J'avoue être un peu sceptique sur la présence de points d'intérêt autres que le paysage, dans un endroit aussi isolé.

E., notre guide, monte a bord d'un des 4X4. Sur la piste, nous doublons une charrette de foin conduite par un couple de zébus au pelage brillant, bien plus charnus que ceux d'Antananarivo.

E. nous fait d'abord stopper au marché public de Mantasoa, pour la traditionnelle contribution à l'économie locale. Les clients sont rares et les marchands désœuvrés.

On y trouve du café grillé, des monticules de patates douces, pok pok (physalis) et tomates arbuste, chapelets de saucisses, quartiers de viande, poisson et crevettes séchés (je suis aventurière mais ça, je n'essaierais pas).

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J'immortalise, sous le regard perplexe des villageois, un magnifique coq qui picore ici et là.

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S. le poitevin qui, comme moi, n'a pas prévu de petite laine, déclenche l'hilarité générale en essayant des vestes beaucoup trop petites pour ses longs bras.

Nous remontons en voiture et stoppons un peu plus loin, devant de magnifiques poinsettias.

Après quelques marches, E. lève le mystère : nous voilà sur l'ancienne propriété de Jean Laborde (si comme moi alors, vous ignorez qui est ce monsieur, un peu de patience).

E. pointe un parterre de verdure et explique que le triangle vert représente le sexe féminin et les deux sentiers qui le bordent, les jambes de la femme. Nous débouchons devant une très belle maison, de type ferme landaise, d'après E.

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Une femme du coin, très solennelle dans son long pardessus bordeaux, entame une visite guidée.

Jean Laborde, donc, est un français échoué sur la côte Est de Madagascar en 1831, à la suite d'une tempête. Arrêté, il échappe de justesse à la mort et s'installe à Mantasoa.

A la demande de la reine Ranavalona 1ère, il forge les premiers canons malgaches dans un haut fourneau conçu à partir de l'encyclopéde Roret.

En 1841, son oeuvre terminée, il commet une erreur de syntaxe et annonce à la reine "Votre cul est prêt", ce qui provoque un scandale.

Beaucoup voient  d'ailleurs, dans les oeuvres de Laborde, des détails phalliques :

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 Après explications, la reine demande à Laborde de lui construire un palais qui surpasse tous ceux d'Antananarivo. Ce sera Manjakamladana, "règne de la tranquilité", achevé vers 1847 et qui, de sa colline, domine aujourd'hui encore la capitale.

En parallèle, Laborde a épousé et fait un enfant à une métisse du coin. Dans sa villa, une chambre est réservée à la reine, dont il fut l'amant pendant 20 ans.

Impliqué dans une tentative de putsch pour renverser Ranavalona 1ère, reine tyrannique et sanguinaire, il est expulsé et s'exile sur l'île de la Réunion. Son palais est livré aux pillards et détruit.

A la mort de la reine, il revient à Mantasoa où il meurt en 1878, à 73 ans.

N.B. : Tous ces détails sont le fruit de ma mémoire, donc à prendre avec circonspection.

 Après un arrêt dans une épicerie locale, ou JJ laisse libre cours à sa fièvre acheteuse, nous franchissons une porte rouge derrière laquelle se trouve la dernière demeure de Jean Laborde et ses compagnons soldats.

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Le cimetière abrite une dizaine de tombes, réparties autour de celle de Jean Laborde, et un manguier. L'endroit est rempli de poésie; un arbre jaillit de chacune des pierres tombales.

Les plaques nominatives ont disparu, à l'exception de celles de Gaetan Baranger, ami de Laborde, né à Pouzay (Indre et Loire), et Claude Marie Dallière, né à Ambierle (Loire).

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Dernière étape de notre voyage sur les traces de Jean Laborde : au bout d'une piste, un site sur lequel on trouve le fameux haut fourneau :

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Et au milieu de nulle part, le lycée Jean Laborde, toujours en activité.

En se hissant sur la pointe des pieds, on découvre des salles de classe d'un autre temps, 50 ans en arrière. registres manuscrits, pupitres en bois. Pour A., qui est professeur, c'est un charmant bond dans le passé.

Au centre du site, sous un drapeau malgache, un totem porte un écolier.

Je devance le groupe et marche quelques centaines de mètres à la recherche de fleurs magnifiques aperçues depuis la voiture, avant de m'assoir sous un arbre. Un jeune homme dévale en courant la pente en face de moi et me dévisage avec curiosité, se demandant sûrement ce que je fais seule. Lorsque j'entends ronronner le moteur des 4x4, je lève le pouce.

Cette excursion, dont je n'attendais rien de plus qu'une promenade, m'a appris beaucoup. Je pense aux descendants de ces soldats enterrés ici, à Mantasoa, et ce billet est un peu pour eux.

Où vivent-ils ? Ont-ils quelque part, dans leurs mémoires, l'île de Madagascar ?

Et dans leurs rêves, celui de venir marcher, eux aussi, sur les pas de leurs ancêtres ?
 

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