Ce matin, dans la salle du petit déjeuner, un homme ne me quitte pas des yeux. Lorsque je me lève pour retrouver mon chauffeur, il se précipite. Je sens son regard qui ne me lâche pas et dans mon champ de vision, sa silhouette qui accélère. « Merde, il me suit ». J’essaie de feinter et de passer par le bar pour gagner du temps mais le filou me rattrape. Je sors, j’entends un « mademoiselle » que j’ignore, puis un deuxième. Je me retourne. « Vous êtes française ? » S’ensuit alors un monologue où il me dit qu’il est espagnol, de Malaga, et est allé à Orléans. Ca me fait une belle jambe et je suis assez sèche. Pourtant il réussit à m’arracher un dîner le soir même car je dois avouer que si en France, cela m’est égal, ici il me pèse un peu de passer mes soirées seule. J’aimerais rencontrer des marocain(es).
La journée est fort agréable. Bahija est une jeune femme très jolie, sa peau mate est magnifique et sa bouche bien dessinée. Elle a pas mal de problèmes que je règle en moins de 2 heures. Le midi, elle propose un déjeuner à l’extérieur. Chouette, pas de sandwich ce midi ! Je commande le poisson du jour, un pavé de saint-pierre et nous discutons. Bahija est originaire de Mohammedia et son mari de Meknès. Elle aime beaucoup cette région montagneuse et me recommande de la visiter. Le prénom, d’origine syrienne, de son petit garçon d’un an signifie « lionceau ». « C’est un prénom qui n’est pas courant au Maroc » précise-t-elle. « Et que signifie Bahija ? » « Heureuse, joyeuse ». Sur internet, j’ai trouvé « guillerette, pleine d’allégresse ». Elle porte bien son prénom, Bahija, car son sourire est étincelant.
Enfin c’est le weekend, Bahija m'embrasse et je grimpe à bord du fourgon du jovial Abderrahmane.
Vers 20h, le téléphone sonne dans ma chambre. C’est F. qui m’emmène dîner. J'espérais qu'il ait oublié le numéro de ma chambre. Entre pâtes et poisson, je choisis le poisson et il m’entraîne vers le port. Nous pénétrons dans le restaurant du port de pêche, une grande bâtisse plantée au milieu de rien, ou plutôt à proximité du service des douanes du port. Des boiseries au plafond, des filets de pêche, des maquettes de bateaux, l’endroit est agréable. A la carte, du poisson et rien que du poisson : en entrée, des huîtres de Oualidia et quantités de fritures, en plat, un tajine de poisson, des poissons grillés, des brochettes, des paellas. Je me désaltère d'une bière "Casablanca" et choisis des petites seiches grillées puis un tajine de poisson, et F. une assiette de crevettes et une brochette d’ombrine, qui était un poisson inconnu de moi jusqu' ce soir. Les seiches sont délicieusement fondantes et légèrement croustillantes. Je pourrais en manger des kilos, j’adore ça.
Le menton dans une main, F. me regarde manger. Il ne fait aucun doute que l’objectif de F., ce soir, est de me sauter. Nous conversons en espagnol, c’est cool, ça me fait une révision. S’enhardissant, il tente de me donner la becquée, je refuse. J’ai été claire : dîner tout à fait amical. Dès la sortie de l’hôtel, il m’a demandé si j’étais en couple. « Oui, je suis presque mariée » ai-je menti. Il ne me plaît pas du tout mais il est sympa, j’aimerais juste qu’il arrête de me regarder avec des yeux de crapaud mort d’amour. Je lui fais la totale pourtant. Je pique une seiche de ma fourchette, éclaboussant mon verre et la nappe blanche d’une giclée d’encre. Ensuite, je lui fais le coup des crevettes avalées avec la tête mais il ne cille pas. F. se frotte la cuisse nerveusement, caresse à peu près tout ce qu’il peut, la fourchette, son verre, la nappe. Je le sens à cran et j’ose à peine manger car j’ai l’impression que chaque geste que je fais est porno, ça en devient désagréable et je le lui fais savoir.
Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le dédale de ruelles, les passants se font plus nombreux. Les gens flânent, de vieilles femmes conversant bruyamment sur un banc, deux jeunes filles en djellaba marchent sur les pavés, bras dessus-bras dessous, et bien sûr il y a beaucoup d’hommes.
Des échoppes sont ouvertes, on y vend, des vêtements, des jeans, de l’artisanat. Sur une place, des jeunes jouent au foot. Bientôt, je zigzague entre vélos, mobylettes et promeneurs. On prête peu d’attention à ma présence et je me sens tout à fait en sécurité. Pourtant je ne me serais jamais aventurée là seule. Je m’y serais perdue, à coup sûr. Nous marchons sur les pas d’une femme qui porte une gamine sur son dos, à l’africaine. La petite se tortille pour me suivre du regard. Nous atteignons une place où l’on vend pleins de choses : des fruits frais et secs, des poissons, des DVD. Il y a foule et sur le trottoir on improvise des barbecues ; ça sent rudement bon. Je me penche sur une friture de poissons autour de laquelle se pressent des hommes.
Plus loin, sur le trottoir, les babouches sont soigneusement disposées en croisillons. F essaie, sous prétexte de me guider, de me prendre par la taille ou par l’épaule mais j’enlève poliment sa main. Cela finit par devenir un jeu : « F., sans les mains, merci ! »
Nous voici devant la porte de Marrakech, hors de l'enceinte de l'ancienne médina de Casablanca. Nous traversons la place Mohamed V en courant, au milieu des voitures qui ne ralentissent pas le moins du monde, et nous installons en terrasse du café Excelcior, sous l’hôtel du même nom. Il n’y a que des hommes. Je sirote mon thé à la menthe en observant l’animation d’un vendredi soir à Casablanca : les petits taxis se ruent à l’assaut des grandes artères, les mobylettes pétaradent, les amoureux se tiennent la main.
F., sentant sans doute que son programme du soir est mort, est devenu franchement lourd et n’arrête pas de répéter que je lui plais. Je le remercie et lui claque gentiment ma porte au nez, inventant un mensonge de plus pour esquiver le rendez-vous qu’il me propose le lendemain.