Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

badr

  • Un dernier passage à Rabat (jusqu'à la prochaine fois, inch'Allah!)

    Rabat, début de soirée, B. nous récupère à la gare, accompagné d'une petite femme et d'un homme aux yeux dorés, et propose de boire un verre dans le coin. A l'italien du coin, je bois un jus d'avocat, mon préféré, et fait la connaissance de la présidente de l'association "Terres des femmes", très fière d'être la femme de coeur du mois du magazine "Femmes du Maroc", sauf que je ne retrouve pas trace d'elle sur internet ...

    Après les salutations d'usage, B. nous conduit jusqu'au quartier de Takadoum, pour une seconde nuit chez ses parents. En retrouvant le "festival" ouvert 365 jours par an et les ruelles (au marchand de ceintures pour caftans, prendre à gauche), on a un peu l'impression de rentrer à la maison.

    Dans le salon, devant la télé avec le père de B., je m'abstiens de commenter l'actualité, notamment le débat actuel au Maroc sur l'éventualité d'autoriser l'avortement en cas de viol ou inceste.
    [Plus tard, je raconte à Yo le dramatique siège organisé en 1997, alors que je venais de m'installer à Dublin, de la maison dans laquelle vivait une gamine irlandaise de 13 ans qui avait subi un viol.
    J'avais alors été horrifiée de lire que les ligues anti-avortement encerclaient sa maison pour l'empêcher d'en sortir et de partir se faire avorter en Angleterre. Ce sujet était tabou avec mes copines irlandaises et j'ai eu quelques échanges musclés avec les mêmes ligues anti-avortement qui exhibaient leurs monstrueuses affiches sur O'Connell street. Fin de la parenthèse.]

    B. et son père nous font aussi les éloges du roi actuel et de son père, Hassan II, qu'ils décrivent comme un homme simple à grands renforts d'anecdotes comme ce soir où dans une épicerie, Hassan II aurait acheté de la nourriture pour un vieux Marocain misérable qui ne l'avait même pas reconnu. J'observe Yo et m'amuse de le sentir trépigner intérieurement. La dévotion à la monarchie est omniprésente dans le pays, en témoignent les photos du roi qui ornent la moindre gargote, certains poussant même le zèle à orner leurs murs de portraits réalisés à la peinture.
    [C'est sûr que l'émotion est bien moins intense pour les Français face à un portrait de leur président. Le seul portrait de Sarkozy que j'ai vu, c'était au consulat de France, et d'une même voix, Yo et moi nous sommes écriés : "Quelle horreur !", moi ajoutant "T'as vu sa bouche, on dirait Donald Duck". Non vraiment, affinités politiques mises à part, notre président actuel, court sur pattes et joufflu du fessier, ne ressemble à rien.]

    Tout le pays prépare la fête du mouton et nos hôtes regrettent que nous n'y assistions pas. Moi aussi, pas pour assister au zigouillage en masse des pauvres ovins mais pour participer à la fête. Le père de B. confesse tourner la tête lors du coup de couteau fatal. Nous discutons avec B. jusqu'à 3 heures du matin. Il se plaint du manque d'écoute des Marocains et de sa difficulté à ce que ses amis s'investissent dans son association.

    Le lendemain, je suis réveillé en douceur par les bêlements des moutons qui, n'ayant plus que quelques jours à vivre avant la grande fête du mouton - dont ça va être la fête, c'est clair - passent sous les fenêtres. Sur la table du petit-déjeuner, la maman de Badr a disposé des melhoui et du miel. "Tu te rappelles le grand terrain du marché aux moutons que tu as vu le premier soir ? demande B. Il est plein aujourd'hui !"

    rabat,badr,y'a pas de bêê !

    Après avoir récupéré le plat à tajine offert par sa mère à Yo, B. hèle un taxi. Lui et Yo sirotent un thé à la menthe dans le café voisin tandis que je pénètre dans le consulat, désormais familier. Il n'y pas d'attente, je monte au premier étage, le séduisant Ali me reconnaît "Comment allez-vous, Mme X. ?" En dix minutes, mon laissez-passer est imprimé et je retrouve les garçons. Nous passons à la gare routière de la compagnie de bus CTM, la meilleure, paraît-il. Coup de pot, il reste 2 places pour Chefchaouen, départ 14h45. Jouant des coudes, nous achetons nos billets 100 drh + 5 drh par valise.

    En attendant l'heure du départ, et malgré notre insistance, B. refuse de nous abandonner et patiente avec nous au premier étage du café Sambuca. Nous ne mangerons pas avant l'arrivée à Chefchaouen dans la soirée, je m'offre donc la formule petit déjeuner avec omelette trop cuite. Yo qui ne voulait qu'un thé se retrouve avec la formule complète aussi. B. a raison, le sens de l'écoute, en tout cas des serveurs marocains, peut encore être amélioré.

    Sur l'écran de télé, Faudel chante "Tellement n'brick" en live de 1,2,3 soleils. Les quelques heures qu'il nous reste avant de quitter B. sont l'occasion de refaire le monde, une fois de plus, et de s'interroger sur le formidable élan de fraternité qui avait déferlé sur la France, au lendemain de la coupe du monde '98, suivi 4 ans plus tard de la tronche de Le Pen au 2ème tour de l'élection présidentielle et 7 ans plus tard, de violentes émeutes .... Un sacré électrochoc.

    B., intarissable, parle aussi de son association, des rencontres de volontaires du monde entier qu'elle a occasionnées, des nombreux projets auxquels il participe, sans aucune subvention extérieure.
    Il est 14h, une pluie fine tombe sur Rabat et abrège les adieux, m'évitant de pleurer devant B. Dans le taxi, Yo, ému, laisse échapper "C'est incroyable ! 5 ans après, ils m'ont accueilli comme si j'étais parti hier. Alors, ce séjour, ça t'a donné envie de revenir à Rabat?"
    Le pare-brise n'est pas le seul à tenter d'évacuer l'eau qui lui brouille la vue. Je me remémore tous ces visages souriants, les Abdel, Lotte, B., sa famille, tout ce temps qu'ils nous ont consacré, leur présence constante, leur générosité.

    Si le jeune homme rencontré dans le train entre Rabat et Fès, qui restera à jamais une énigme, a sans doute raison d'être pressé que son pays s'enrichisse, je ne lui souhaite pas de perdre un jour son passeport à Paris ...

  • Au café avec les hommes et une nuit à Takadoum, en famille

    Au Zenith, avenue Okba à Agdal, nous retrouvons B. avec un de ses amis, auquel Yo trouve des airs de ressemblance avec Djamel Debbouze.

    Peu après, nous sommes rejoints par un autre homme, puis un artiste-peintre qui ne décroche pas un mot, un jeune homme que je crois un instant français, superviseur dans un centre d'appels et travaillant avec un de nos concurrents directs, et bientôt, le cercle s'élargit et je me retrouve au milieu de 8 hommes, dont Abdel qui nous a rejoints. Je savoure mon privilège d'être au milieu d'une assemblée exclusivement masculine.
     
    En lui racontant notre visite à Chellah, Abdel m'apprend que le sultan Abou Al-Hassan qui y est enterré était noir de peau et sa femme, une anglaise, raison pour laquelle il donna Gibraltar aux Anglais. En effet, il était surnommé "le sultan noir" et sa sépulture se trouve dans la forteresse de Chellah, où il repose près de sa femme, "la sultane Chams al Doha, une Anglaise convertie à l'islam".

    Je parle avec Abdel de mon nouveau hobby de guide touristique bénévole et lui promet une visite privée lors de sa venue à Paris.

    La nuit est tombée lorsque B. nous fait visiter les nouveaux locaux de l'association qu'i a créée, dans le quartier de Youssoufia. Deux salles de cours, fraîchement repeintes, sont déja équipées de bureaux et chaises.   

    Ce soir, nous dormirons dans la famille de B., dans le quartier de Takadoum. Nous passons chercher nos valises chez Y. à Youssoufia. Je comprends que Yo aime ce quartier car l'agitation fébrile qui grandit aux abords du mini-parc, au fur et à mesure que la nuit tombe, est fascinante.
    B. s'arrête au carrefour du mini-parc pour que je prenne des photos de ce quartier si animé, ce qui amuse beaucoup les vendeurs dans leurs cahutes, qui crient "Photo ! Photo !"

    L'animation dans le quartier de B. est plus intense même qu'à Youssoufia.
    B. raconte qu'un volontaire de l'association, en découvrant les tentes, les lumières, les grillades et la musique, lui demanda s'il y avait un festival dans son quartier. Un instant perplexe, B. avait répondu, hilare "Un festival ? C'est tous les jours le festival ici !"

    rabat,badr,maroc

    Nous suivons un dédale de ruelles et nous arrêtons devant une porte de fer. C'est la maison de B., où nous passerons la nuit. Sa soeur et son père nous accueillent; le père va souvent en France, notamment à Marseille, Montpellier et Ajaccio.
    Nous nous asseyons dans le salon familial et ce qui suit est très drôle; le père descend des albums photos du temps de sa jeunesse et même des photos de son propre père, ainsi qu'une carte de famille nombreuse des années 60, faite à Béziers, c'est du collector !

    Sur les photos dentelées, le père de B. a une coupe de cheveux à la Mike Brant et porte les mêmes pantalons moule-boules jaunes soleil que le mien, dans les années 70, et sa mère porte des pattes d'eph rouges comme la mienne alors. C'est marrant de constater à quel point la jeunesse marocaine de l'époque était interchangeable avec la jeunesse française.

    "A table !" crie la mère de B. Nous mangeons des sortes de tortillas fourées de viande hachée, avec une salade de tomates, concombre et oignons. L'avantage d'être une femme, c'est qu'on me réserve toujours la chambre où il y a le lit. Je m'endors donc dans un cocon douillet et le calme le plus complet.