Je commence mon parcours à la station de tramway Brancion, lequel n'existait pas lorsque je vivais là. Après un coup d'oeil au commerce qui a remplacé l'étroite échoppe de Joseph le cordonnier, un vieillard au regard voilé, qui tatait mes chaussures d'un main tremblante et pourtant sûre, je descends la rue Brancion, où les commerces se sont implantés, et m'égare déjà dans la rue Chauvelot.
La rue Chauvelot n'a gardé que quelques traces de son passé, comme ces treuils sur la façade d'une ancienne boucherie, mais elle cache de jolies surprises, pour peu qu'on s'y aventure.
Rue Camulogène - général gaulois, chef des Parisii et défenseur de Lutèce- , déjà, la verdure borde les abords de l'ancienne petite ceinture et tout de suite à droite, l'impasse du Labrador cache, parmi beaucoup d'autres, une petite maison envahie par la végétation, dans laquelle je suis déjà venue. Un blogueur un peu culotté a pu pénétrer dans ces jardins cachés.
Habite-t-il toujours là, ce personnage, acteur intermittent, buveur impénitent et noceur accueillant bien volontiers les musiciens dans sa maison ? La végétation envahit la courette et pas un bruit ne s'en échappe. Je le salue silencieusement, de la part de son vieux copain.
La boucherie où ma mère allait faire ses courses a disparu. Je jette un oeil à la voie ferrée désaffectée. L'abandon de la Petite Ceinture a toujours soulevé incompréhension et agacement en moi. Après la polémique sur sa réhabilitation pour accueillir le tramway, finalement abandonnée et imposé une dizaine de mètres plus haut, je m'étonne que personne ne songe à y aménager une promenade, comme celle qui ravit les promeneurs du 12ème, le dimanche.
Balayant mes questions (je ne suis pas là pour m'énerver, hien ?), je continue ma descente. La petite boutique de tourtes gersoises met la clé sous la porte et brade ses produits et son matériel. Il y a bien longtemps que la Petite Alsace et Le Nil ont fermé boutique, eux aussi, et les restaurants dans le quartier changent de nom comme de saison. Il en est un qui résiste à la bobohisation du quartier, c'est le Café du Marché, aux murs couverts d'affiches de boxeurs et plus loin, la devanture jaune comme un soleil du rade "Aux Sportifs Réunis - chez Walczak " qui arbore en devanture un portrait de Brassens sur sa guitare et un autre de boxeur. Note à moi-même : il faudra que j'éclaircisse le mystère de ce culte voué à la boxe, dans le coin.
A l'angle de la rue Brancion et de celle des Morillons, le Cent Kilos, jadis plutôt sordide, a fait peau neuve et s'est trouvé un nouveau voisin, les Tontons, qui sévit aussi dans la rue de Dantzig et à détrôné l'ancien bucolique "Le Triporteur". Mais je réserve ce coin à la suite de ma visite.
Pour l'heure, j'emboîte le pas au célèbre moustachu, poète sétois amoureux des chats, qui vint s'installer à la mort de sa Jeanne et jusqu'à la sienne propre, rue Santos-Dumont. Par le passé, je suis venue m'égarer ici, cherchant une plaque, un signe. Rien. J'en étais repartie penaude. Cette fois, je me suis documentée avant de partir de chez moi et je découvre le n°42, au milieu d'un ensemble assez ravissant de maisons meulières qui s'étirent des numéros 36 à 52.
Cependant, il ne faudrait pas rebrousser chemin maintenant. Car à gauche, une ruelle pavée qui ne mène nulle part sinon au calme est à découvrir; c'est la villa Santos-Dumont, où une petite fille joue.
Après cette échappée bucolique, je rejoins l'angle des rues Brancion et des Morillons où un fier équidé rappelle qu'ici, avant le parc qui porte le nom du poète venu de Sète, se dressaient les abattoirs de Vaugirard. D'ailleurs, le marché aux livres anciens qui se tient chaque dimanche abritait autrefois un marché aux chevaux.
A l'entrée du parc, deux superbes taureaux, déplacés du Trocadéro jusqu'ici, rappellent aussi ce passé.
Dans la rue de Cronstadt, le Veau D'or a laissé la place à un restaurant plus moderne mais heureusement, le Bélier D'argent, lui, est toujours là et je salive devant sa carte. Il y a des années que je n'y suis venue et l'assiette de desserts géants comme dans mon enfance me laisse rêveuse (on ne se refait pas, hein !)
A l'angle des rues Morillons-Dantzig, j'hésite : droite ou gauche ? Je décide de remonter la rue. Se pourrait-il que l'endroit que je cherche se trouvât dans cette ruelle juste derrière Le Dantzig, où mon père m'avait amenée, toute jeune fille, faire réparer ma voiture qu'un bus de la RATP avait prise pour une toupie ?
Hé bien oui. Incroyable ! C'est bien là, passage Dantzig, que se trouve La Ruche, ateliers d'artistes créé par Boucher.
Cet endroit, ainsi nommé parce qu'il contient une soixantaine d'alvéoles où la création bourdonne, hébergea, au temps où Montparnasse concurrençait Montmartre, des artistes aussi illustres que Marc Chagall, Jacques Chapiro, Fernand Léger, le douanier Rousseau, Ossip Zadkine, Chaim Soutine. On y vit aussi Matisse, Modigliani, Blaise Cendrars et Brancusi, que je suis depuis sa Roumanie natale. La Ruche, sauvée in extremis de la destruction, abrite toujours des artistes mais elle n'est plus ouverte au public; on peut la visiter en prenant rendez-vous ou lors de journées exceptionnelles.
Je retourne sur mes pas et m'octroie une pause au soleil - il est rare, profitons-en - dans le parc que je n'ai fait que contourner jusqu'alors.
Rêvant à ces années déjà lointaines où j'amenais, traînant les pieds, ma petite soeur y jouer, je prends un cliché de cet autre témoin du passé viandard du parc : le beffroi qui abritait la vente à la criée.
Sur un banc, face à lui et à un jet d'eau las et discontinu, je rédige ce billet avant d'aller m'offrir un petit verre chez Walczak et, espérons-le, glaner quelques confidences sur les boxeurs. J'ai répéré, tout à l'heure, sur son pas de porte, une moustache qui doit avoir l'âge de Brassens. Gageons qu'elle chuchotera quelques souvenirs.
Peu de gens connaissent ce coin du 15ème, populaire et longtemps laissé à l'abandon. J'espère que la balade dans ce quartier qui est cher à mon coeur vous a plu.
Les mots du jour : beffroi, campanile et clocher. Pourquoi l'un ou l'autre, tout est expliqué ici.