Ça fait 15 ans maintenant que je vis dans le même appartement. Un record pour l’être sans racines que je suis.
J’aime ma ville, mon quartier, ma rue, véritable écrin de verdure où les oiseaux chantent, et même mon appartement sombre et mal isolé, que je me suis approprié au fil des ans.
Dans mon immeuble, les gens sont assez sympas.
Il y avait mes voisins du bout du couloir, tous deux profs. Je faisais parfois un bout de mon trajet quotidien avec elle, petite rousse pêchue sur des talons hauts, et j’empruntais à son mari des outils de bricolage. Il y a quelques années, elle est morte « des suites d’une longue maladie » et je n’ai plus entendu la musique de ses talons dans le couloir.
Il y avait un de leurs amis, chez qui P. m’envoyait parfois quand un outil lui manquait. Elle, conseillère municipale, lui, salarié de Renault. Un soir, il est venu m’annoncer un jour que sa femme et lui se séparait et qu’il quittait l’immeuble.
Il y avait une petite fille brune aux yeux bleus que j’aimais bien. Elle portait un prénom anglais, en hommage aux origines de sa maman. Un jour elle m’a raconté que sa maman avait quitté son papa. La petite fille est devenue une jeune fille, puis une femme, et elle a quitté son père.
Et puis, il y a mes voisins d’en face, un couple mixte. Elle, belle black immense et sophistiquée, dont je n'arrive pas à savoir si elle est réservée ou un peu hautaine. En 4 ans, on n’a jamais échangé plus que des formules de politesse.
Jusqu’en juin dernier où, penchée dans un bac chez Picard, je sens un regard sur moi. Je me tourne et ma voisine est là à me fixer et lance un « Je me demandais si c’était bien vous ». On rigole un instant puis on se salue.
Le 29 juin dernier, c’est la soirée d'anniversaire des 60 ans de l’IAE de Paris.
En tant qu’élève, j’y suis conviée, et comme ça se passe à la Cité Internationale Universitaire de Paris, à 10 minutes de chez moi, je décide d’y aller. Le jour J, j’hésite longuement car aucun de mes camarades de promo ne s’y rend et en plus, il tombe des cordes.
Arrivée sur place, j’assiste à la fin de la conférence puis déambule seule avec ma coupe de champagne. Je croise quelques-uns de mes profs mais je me sens bien seule. Je décide de poser ma coupette sur un guéridon et entame la conversation avec une femme avec laquelle j’ai un point commun : Madagascar. C’est drôle car elle est de Mantasoa, l’étonnant village de Jean Laborde.
Quelque temps plus tard, nous sommes assises à écouter une belle chorale de gospel quand je croise du regard un visage familier qui s’écrit « Non mais je rêve ? Qu’est-ce que tu fais là ?? »
C’est ma voisine d’en face, hilare. Je pointe le badge épinglé sur ma veste, qui mentionne ma promo et lui dis « Ben, je suis en master à l’IAE ». « Moi aussi » s’écrie-t-elle, avant de se lancer à ses copines « J’y crois pas, c’est ma voisine d’en face ! »
On tombe dans les bras l’une de l’autre, on s’esclaffe, on s’explique, c’est vraiment incroyable. On se promet de repartir ensemble. Avant le départ, on scelle cette soirée mémorable sur un Polaroid.
En chemin, on fait connaissance. On a quasiment le même âge. On se découvre avec stupeur d’autres points communs : nous avons passé l’année 2015 à bûcher, chacune de notre côté, sur une VAE. « Merde, si on avait su, on aurait pris nos pauses ensemble », s’écrie-t-elle.
« Tu es hôtesse de l’air ou quoi ? On ne te voit jamais » me demande-t-elle, ce qui me fait bien rire.
Devant l'immeuble, elle me lance « Maintenant, c’est à la vie à la mort nous 2, hein ? On va se faire un apéro fissa ».
Arrivée devant nos paliers, elle frappe à la porte de chez elle et lance à son compagnon « Hé, JM, regarde qui j’ai trouvé à la soirée IAE ! »
La semaine suivante, on se fait un apéro dinatoire. Quand elle pénètre dans mon salon, elle lance « Je vois que tu es une voyageuse toi aussi, va falloir que tu nous racontes tout ça ».
Après leur avoir fait goûter mon rhum arrangé citron et l’excellent Dzama malgache aux arômes vanillés, elle file chez elle pour me faire déguster des rhums sri-lankais et autres bizarreries rapportés de leurs nombreux voyages. Stylée et simple, aussi extravertie qu’il semble réservé, je me dis ce soir-là qu’elle pourrait devenir plus qu’une simple voisine.
Aujourd'hui, de retour de Zanzibar, ils m’ont invitée à un brunch franco-anglais et m’ont montré les photos de leur voyage. J’aime beaucoup mes voisins et ces rencontres étonnantes qui continuent de pimenter ma vie.