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  • 2 jours à revivre*

    Il a suffi d’une note d'elle, d’une voix rocailleuse sur une mélodie d’amour, comme ce paysage de landes et de pierres que j’aime tant et qui me manque, pour que le souvenir de cette journée, pourtant banale, me revienne.

    Je pense souvent à l’Irlande, ces derniers temps.

    Peut-être parce que l’automne est une saison qui lui va bien, et que la pluie d’ici me rappelle celle de là-bas.

    Cette journée là, pourtant, était une journée d’été, mais l’été irlandais, vous savez …

     

    J’avais emmené un ami sur les routes du Connemara, pour plusieurs jours de flâneries, sans montre ni télévision. Nous roulions au hasard de nos envies, nous arrêtant au hasard d'un lac, d'un pub ou d'un port, et dormions dans quelque Bed & Brekfast qui nous avait plu. Mes yeux d'enfant émerveillé embrassaient les falaises, jouaient avec les mouettes, dialoguaient avec les old Paddy's burinés du coin, s'embuaient au fond d'un pub noirci par la fumée, où des musiciens chantaient ma mélancolie. Ce jour-là, l'air était vif, et nous avons partagé un panier de pinces de crabes dans un pub, sur le port du vieux village de pêcheurs de Roundstone.

     

    Je m’en souviens, nous nous étions attablés près d'une fenêtre et nous sucions avec gourmandise les pinces charnues en mordant dans du pain maison, à la mie bien brune. Pour étancher notre soif, une pinte de Guinness, bien sûr, à la mousse bien noire.

    La lumière était belle et le soleil dardait parfois ses rayons à travers l'épais voile gris.

    Après le repas, nous nous sommes promenés sur le port de Roundstone.

    Nous avons admiré ses jolies maisons colorées qui se découpaient dans les gris des pierres et du ciel, ses jardinets fleuris, ses barques abandonnées au fil de l’eau et la silhouette des twelve Bens qui se découpaient sur le ciel. Nous avons respiré le vent iodé, il nous fouettait les joues et emmêlait me cheveux.

     

    Pus tard, nous avons repris la voiture. Je voulais m’arrêter à chaque virage tellement la beauté de la nature me coupait le souffle.

    Ici, les ruines d’un château posé au bord d’un lac, là une maison au toit de chaume, ailleurs des rocailles, avec pour seul horizon le bleu de la mer.

    Des panneaux écrits en gaélique, source de fou-rires mémorables et répétés, parfois un vieux papy irlandais, la casquette vissée sur le crâne, pédalant nonchalamment sur une bicyclette aussi rouillée que lui.

    Dans le Connemara, le temps n'existe pas, à l’instar de ces troupeaux de moutons tranquillement allongés au milieu de la route. Que faire, sinon couper le moteur et attendre qu'ils daignent aller brouter ailleurs ?

    Le vert n'a jamais été aussi beau que sur cette terre arrosée par la pluie et battue par le vent. Et la tourbe brune et luisante, comme des mottes de chocolat noir, et des buissons de bruyère pour toute végétation, dans ce paysage lunaire.

    Plus tard, pour nous réchauffer, nous nous sommes arrêtés dans un pub qui surplombait un lac magnifique. Il était vide et le patron, un jeune homme jovial, a discuté avec nous. Nous avons joué aux fléchettes, bu de la Guinness, encore, et puis, alors que nous repartions, ils nous a offert un pack de deux pintes de Guinness, que j’ai longtemps gardées, et utilisées.

     

    C'était il y a dix ans mais je n'ai pas oublié cette après-midi là. Je la garde au chaud dans mes souvenirs, quand j'ai besoin d'un rayon de soleil à travers le voile gris qui s'abat parfois. 

    J’espère que tu ne l’as pas oubliée, toi non plus, où que tu sois maintenant.  J’aimais ton profil d'oiseau de nuit, ton catogan, ta misanthropie, ton cynisme et ta culture.

    Ton amitié me manque, parfois, mais les paysages du Connemara me manquent si souvent, si tu savais.  

     

    * parce que Jean Becker a magnifiquement filmé le Connemara dans "2 jours à tuer". J'ai eu un énorme pincement au coeur en y reconnaissant Rounstone, justement.

     

     

  • Mamie Coco et sa bagnole

    Ma grand-mère vient me chercher à la gare de Saintes. Dans le hall, elle fonce sur moi et prévient « Il pleut comme vache qui pisse et je suis garée très loin, ma p’tite ».

    Elle me donne les clés, c’était prévu que je conduise car elle a quand même 80 piges et la nuit est tombée.

    Elle cavale dans les rues, la jambe toujours aussi alerte.

    Je monte dans la voiture, met le contact, elle dit « Tout droit, je sais pas où qu'on va, fais demi-tour, on retourne vers la gare, je me reconnaîtrai ».

    J’obéis et fais quelques mètres avant de m’immobiliser brutalement.

    « Mamie, on est pas en sens interdit, là ? ». « Non, non». Je vois bien qu'elle ment et insiste. « On s’en fout, fonce jusqu’au bout, on croisera personne ». Je refuse et malgré qu’elle ronchonne, je repars dans l’autre sens.

    « Je sais pas où qu’on s’en va par là ! » prévient-elle. « C’est pas grave, on trouvera ». Et on trouve.

    Très vite, je réalise aussi que je ne vois pas, dans les rétros extérieurs, les voitures qui me suivent. « Mamie, ils sont mal orientés, tes rétros ». « M’en fous, j’les regarde jamais ». OK.

    Sur la route, elle me parle de Sarko et de « sa potiche ».

    « Elle est bonne qu’au lit, sa potiche, et encore ! »

      

     

    Elle me parle aussi de son pharmacien, très gentil au demeurant, qui est venu chez elle pour lui apporter ses médicaments (ma grand-mère creuse activement et depuis des années le trou de la Sécu).

    Il lui a dit : "Mme G., on va prier ensemble". Ma grand-mère a répondu " C'est pas la peine, j'fais mes prières toute seule". "Ouh la menteuse ! ", je la charrie. Elle glousse. "Ca fait longtemps que j'ai perdu ma place au paradis, l'bon Dieu y'm'connaît pas, on a pas été à l'école ensemble", conclut-elle.

    Ca fait pas une demi-heure que je suis avec elle et je suis déjà pliée de rire.

    La voiture garée dans son hangar, j’éteins tout et la surprend en train de trifouiller la serrure du coffre. « Qu’est ce que tu fais, mamie ? » « Je comprends pas, j’arrive plus à ouvrir le coffre ». « C’est normal, ce sont les clés de ta maison que tu as dans la main … les clés de la bagnole, c’est moi qui les ai … ».

     

    Y’a une époque où ma grand-mère était bien connue des « hirondelles », comme elle les appelle. Maintenant, ils ne l’arrêtent même plus…