Ce matin, nous nous réveillons chez Beate qui a insisté pour que nous dormions chez elle. Sur la table du petit déjeuner, elle dispose un festin que je vous livre en version quasi-originale : Bretzelen, laugen wicken, volkorn wicken, lyona, rauch fleich (viande fumée), des tomates et ... du Saint-Albray ! et pour la note sucrée, de la confiture de mûres du jardin ...
A 10h, Boug' et moi pénétrons à pied dans l'ancien camp de Munsingen. Une voiture nous rattrape, s'arrête à notre hauteur ; Reinhard nous invite à prendre place. A peine assise, il me tend un cahier relié et plastifié. Je pousse un cri de surprise en découvrant mon nom sur la couverture et à l'intérieur, l'historique du camp de Munsigen et des photos des différents bâtiments ainsi que de notre cite-cadres, rebaptisée "Petit Paris". Reinhard a édité ce cahier en hâte hier, pour moi, juste après notre rencontre sur le camp. Je suis bouleversée par sa gentillesse.
La visite commence sur le parking de notre ancien économat. Cet endroit où nous faisions nos courses et payions en francs est devenu un musée où Reinhard et d'autres, peut-être, ont collecté des traces de la vie du camp. Reinhard parle, semblant oublier que je ne comprends pas l'allemand ou si peu, il est visiblement heureux de partager ses souvenirs et explique - miracle, je comprends ! -qu'il a toujours vécu là et connu les Français depuis tout petit. Dans l'économat, on trouve une maquette du camp de Munsingen et dans des sections réservées aux munitions françaises et allemandes, des rangées d'obus sont alignées.
A l'étage, une enfilade de salles, chacune consacrée à une période de la vie du camp (de 1895 à 1990) expose quantité de photos, objets et documents du camp de la 42ème Compagnie et du dépôt de Breithullen.
J'apprends même qu'un village, Gruorn, fut exproprié pour agrandir le camp de manoeuvres et qu'aujourd'hui, on peut y faire des randonnées. Dans une pièce, un mannequin en uniforme est assis à un bureau. Il y a même un bidasse assis dans un des fauteuils de MON cinéma !
Sur un panneau au-dessus de lui, je déchiffre les noms de ceux que j'ai connus : les colonels Delarbre et Woirgard. Ce n'est qu'en redescendant, lorsque je demande à Reinhard où se trouvait l'entrée de l'économat, que je refais le trajet, resituant immédiatement l'endroit où se trouvait le tourniquet d'entrée dans lequel mon frère, ce couillon, s'était coincé, un matin.
Nous remontons dans la voiture de Reinhard qui nous emmène maintenant au « mixte mess », l'endroit où nous allions parfois déjeuner le dimanche mais surtout là où se tenaient nos arbres de Noel et la distribution de cadeaux qui allait de pair, ainsi que les bals militaires auxquels ma mère se rendait en robe de soirée. Et là, lorsque caméra au poing, j'entre dans l'immense salle aux poutres de bois qui fut un formidable terrain de jeux et d'aventures pour moi et les autres gosses de militaires, je fonds en larmes. Reinhard, qui s'est déjà avancé, se retourne, revient vers moi et en me voyant, ses yeux se remplissent de larmes. Il me serre le bras. A cet instant, nous ne sommes plus un vieux monsieur allemand et une petite française, amenée là par une armée d'occupation, mais 2 êtres émus de partager la même nostalgie d'un passé heureux. Je sèche mes larmes et continue la visite, m'amusant de reconnaître la salle aux baies vitrées où nous déjeunions.
Nous sillonnons de nouveau l'asphalte des chemins du camp et Reinhard nous amène jusqu'à l'infirmerie où les bidasses apprentis dentistes se sont fait la main sur mes dents - et vu l'état dans lequel elles sont, je ne leur dis pas merci -. Il confirme que le cinéma a disparu ainsi que les courts de tennis.
Reinhard stoppe sa voiture devant un baraquement que je ne connais pas, le BT 34. A l'intérieur, des chambrées de soldats, allemands et français ont été reconstituées à l'identique. Tout y est, les couvertures grises et rugueuses de l'armée, les uniformes et rangers, les boîtes de ration que mon père nous amenait parfois et que nous trouvions bonnes, forcément. Chaque chambrée a même sa table de bois avec pour les uns, des bouteilles de Kronenbourg et pour les autres, des bières allemandes.