Hier soir, j’ai retrouvé J. sur la place Jemaa el Fnaa. Quelle horreur que cet endroit ! A peine y avais-je mis les pieds que je n’avais qu’une idée : en sortir. Pourtant, j’ai voulu voir de quoi il s’agissait. C’est simple : des centaines de stands numérotés, des mecs qui te racolent fort bruyamment pour que tu manges ici ou là. Ah oui, et puis, parmi la multitude de gargotes proposant des menus touristiques, certains stands où le menu est en arabe, sous-entendu : « touristes non bienvenus »; là, les gens sont attablés autour d'une tête de mouton posée sur un plat. Le seul truc marrant ce sont les escargots qui mijotent dans de grandes marmites et les mobylettes qui fendent la foule sans renverser qui que ce soit ni se vautrer, on se demande par quel miracle. Un joyeux bordel.
J. a faim et n'a aucune envie de bouffer des escargots. Je ne vais pas lui refaire le coup de la veille et le faire marcher des kilomètres pour échapper aux attrape-couillons, alors je me résigne et nous montons sur la terrasse « panoramique » d’un restaurant où l’on nous dit à peine bonjour et encore moins au revoir, et où l’on doit écrire nous même notre commande sur un bout de papier. Il n’y a que des touristes, bien sûr, la salade marocaine de J. est ridicule, son poulet-frites misérable – car oui, J. a craqué – mais mon tajine kefta-œufs-tomates s’en sort pas trop mal.
Nous fuyons vite ce restaurant et nous éloignons de la place. Dans une rue perpendiculaire, quantité de restaurants, certes pas beaux mais c’est clair, les Marocains mangent là. « C’est ici qu’on aurait dû manger » dis-je à J. Au bout de la rue, un homme au visage creusé m’interpelle. C’est triste cette méfiance que je ressens ici alors qu’à Casa je me sentais en confiance. Je m’éloigne déjà mais il insiste et nous commençons à discuter. Un de ses amis, S. travaille dans une agence de voyages, il entraîne J. qui doit prendre un bus dans 2 jours pour Esaaouira et Ibrahim m’offre un thé. Ce moment se révèle plus agréable que je ne l’aurais pensé. Ibrahim me fait rire aux larmes en me racontant que les Anglais l’appellent Brian. Il est berbère et ses frères vivent à Perpignan et en Espagne. Il m’indique un bon restaurant où manger des grillades, pour mes prochains repas.
J. et S. nous ont rejoints et conversent en anglais. Une mendiante ralentit à notre hauteur et tend la main. Elle alpague S. en arabe, Ibrahim m'explique qu'elle lui rappelle qu'il ne lui a pas donné les chaussures promises. Elle pointe son verre de thé du doigt, il lui tend et elle le vide en le remerciant. Il ne semble pas perturbé outre-mesure et rigole, puis se ressert un verre de thé tandis qu'elle s'éloigne. La scène est surprenante pour nous, occidentaux, car en France, il est inimaginable de donner à boire dans son verre à un clochard et encore moins de boire après lui.
Ibrahim me questionne sur ma religion. Il ne comprend pas que je ne sois pas croyante et tente de me démontrer que Dieu existe et que l’islam est la meilleure religion. « Je suis têtue, tu sais » lui dis-je. Nous nous charrions mutuellement et rigolons beaucoup. Il me donne son numéro de téléphone et propose que nous nous retrouvions le surlendemain pour qu’il me fasse visiter la ville et m’accompagne dans mes achats. Mais je ne sais pas. Cette ville pue le fric et le tourisme stupide, tout ce que je déteste. Cette impression sera confirmée par les journées suivantes.
Pour échapper à Ibrahim qui me suit déjà, je demande à J. de me raccompagner. « Tu sais quoi, j’ai vu Marrakech, c’est bien. Mais je ne reviendrai pas ici ». Sur l’avenue, à proximité de l’hôtel de ville, J. me fait beaucoup rire en me racontant son trajet de retour la veille, après m’avoir quittée. « Je ne comprenais pas, des hommes me sifflaient ». Je lui parle du tourisme homosexuel au Maroc, sur lequel les autorités ferment les yeux, même si officiellement c’est interdit. Plus loin, J. me dit « Regarde, tu vois, ces deux garçons, ils se tiennent la main ». Je rigole et lui explique que c’est pratique courante dans les pays arabes. Je lui parle aussi de la promiscuité des hammams, qui déroute au premier abord puis séduit. « Oui mais un homme hier a été très direct avec moi » dit J.
Nous sommes poursuivis par un jeune homme qui veut nous vendre des roses, je lui dis que J. est mon frère et il nous lâche.
Mon avis sur Marrakech n'a pas changé.