J'avais emmené mes baskets, espérant, malgré la chaleur, profiter de cette semaine de vacances pour courir régulièrement. Le lendemain de mon arrivée, lorsque je lui demandai où je pouvais courir, S. m'indiqua un parcours "à travers l'urbanisation", ce qui me fit un peu peur, mais en fait, les rues du quartier du Pinar, ancienne pinède, sont désertes.
Quel plaisir de courir à la fraîche, aux dernières lueurs du jour, sur les hauteurs de Torremolinos ! Après une série d'abdos et d'étirements, bouteille d'eau dans le sac en bandoulière et le beat dynamique de K-OS dans les oreilles, je tire sur moi la lourde porte de fer. Premières enjambées dans la descente qui longe la villa Nirvana puis je tourne à droite, faisant détaler un chat noir famélique et borgne, de surcroît.
Je cours sur le bitume, entre les rangées de villas luxueuses aux tons de terre, ocres et orangés, d'où pendent des grappes de pimpants bougainvillés et de chèvrefeuille odorant et frangipaniers odorants.
Peu de passants, pas de circulation ni de bruit hormis les aboiements furieux que je déclenche à chaque passage. Je m'engage, légère, dans une rue plate, dépasse le sauna Las Estrellas (qui n'est pas un sauna). Le lendemain de mon arrivée, je dis à S. : C'est cool, t'as un sauna à côté de chez toi. Il sourit : C'est pas un sauna, en tout cas, pas un sauna pour toi. Moi : Ah ? C'est un sauna gay ? Non, c'est un bordel, répond-il.
Je tourne à droite et attaque ma première côte jusqu'au chantier de résidences où une pancarte indique "Panorama del Pinar". Je longe les constructions désertes et suit la courbe qui se fait encore plus raide. La, je sens les muscles antérieurs de mes cuisses se contracter sous l'effort et dès le deuxième tour, de grosses gouttes de sueur dégoulinent le long de mes tempes, dans ma nuque et sur mon buste.
Mais voici, à droite, la calle Cueva del gato qui me permet de détendre mes muscles. Margo s'étale en lettres de fer forgé sur la facade blanche. Je vire à droite, encore une petite montée, puis j'arrive dans la calle Montana où juste après la villa Panorama, la bien nommée, la villa Rincon laisse à peine entrevoir derrière sa facade rose, de jolis escaliers arabo-andalous.
Encore une courbe à gauche, je passe devant la villa Neptuno, aux couleurs des Cyclades, puis les dernières maisons de "l'urbanisation" avant de bifurquer à droite dans un chemin de terre caillouteux, entre les oliviers. Là, mon corps se fait plus lourd et je laisse son poids me porter dans la descente, bras relâchés, épaules détendues, en prenant garde de ne pas déraper sur les cailloux.
"I'm free", chante K OS, et c'est bien ce que je ressens, un sentiment de plénitude et de liberté exacerbés par l'ivresse de l'effort et du plaisir qu'il procure. A ma gauche en contrebas, l'autoroute embouteillée déroule sa guirlande de feux rouges. Rouge aussi, le ciel carmin du soir tombant sur la Sierra Nevada. Je surplombe toute la ville de Torremolinos, ses grues, ses immeubles et droit devant moi, dans une cuvette, le bleu de la mer, frangée des lumières scintillantes de Malaga.
Brroussailles, palmiers et cactus gigantesques, grillées par le soleil, laissent passer une brise vivifiante qui rafraîchit le débardeur collé a mon corps. J'admire, émerveillée et grisée, la végétation luxuriante. Si loin et si proche de l'humanité. Le bonheur doit ressembler à ce que je ressens à cet instant-là.
Le terrain redevient plat, je traverse quelques ronces puis plutôt que de suivre le chemin de terre, tourne à droite et monte 4 à 4 des marches sommaires qui me propulsent devant la maison de S. Là, je m'arrête quelques instants, boit 2 ou 3 gorgées d'eau fraiche, en asperge mes bras puis repart pour un nouveau tour.