Vendredi, 18h56 gare de Lyon, je m'installe dans le train direction Nevers. Le ciel gris et l'humidité qui me fait frissonner me gâchent un peu le plaisir de ce départ vers le Sud. Avant le départ, une jeune femme braille dans son portable, je fulmine, ça promet, je n'en peux plus de tout cet incivisme. Heureusement, elle change de wagon, je me dis "bon débarras, casse-toi" mais j'ai crié victoire trop vite, elle est remplacée par une autre qui, écouteurs vissés sur le crâne, n'entend pas sonner son *§!#+ de portable ... contrairement à sa voisine qui somnolait paisiblement jusque là.
Je me colle de la musique dans les oreilles, paraît que ça adoucit les moeurs. Le train se vide, Nemours, Montargis, à l'approche de Cosne sur Loire, nous ne sommes plus que quelques-uns dont un couple de jeunes, la vingtaine triomphante. Lui, casquette, joue sur sa console, elle, faussement indifférente, écoute de la musique, remue et le bouscule par intervalles, au cas où il l'oublierait. Lorsque je sors mon miroir de poche pour ourler mes lèvres de teintes épicées, je surprend le regard admiratif du garçon. La demoiselle l'a vu aussi, elle me jette un regard noir, et va bouder sur la banquette de devant. Elle soupire bruyamment, surveille son copain dans le reflet de la vitre, s'arrange pour qu'une mêche de ses longs cheveux lui tombe devant le nez, me fusille du regard. Ca m'amuse alors je m'amuse et en rajoute, je me recoiffe, farfouille dans mon sac, c'est amusant, du haut de mes presque 35 ans, de titiller la jeunesse. Le train s'immobilise, j'aide une vieille dame à descendre les marches glissantes, la gamine traîne la patte plus loin, j'aperçois la silouhette rassurante de ma Mozz, clope à la main, je lui fais de grands signes mais - pas encore habituée à ma nouvelle coupe ? - elle ne me voit pas. Pap's est là, lui aussi, la moustache rieuse et le pied sur l'accélérateur. Arrivés à la maison, les boules de poils Marilou, Spok et Berlioz me rendent les honneurs et viennent me saluer à tour de rôle. Surprise ! Mes parents ont acheté des fuits de mer, je n'en mange jamais et on martyrise joyeusement crabes, bulots et crevettes en buvant du blanc. Ca fait du bien d'être là, au calme, et quelques heures et quelques éclats de rire plus tard, je monte me coucher dans la "chambre verte", sous les toits.
Samedi, j'accompagne ma mère chez Fifi, de son vrai nom Noël, , LE boucher de Sancerre. Dans sa boutique exiguë les accros de la montre ne sont pas les bienvenus. Fifi, casquette sur le crâne et tablier blanc tendu sur le ventre manie ses belles viandes comme s'il s'agissait de mousselines de soie.
De retour à la maison, on s'attable devant l'entrecôte-frites du samedi midi. C'est un rituel que j'ai toujours connu et que je retrouve avec le même bonheur. Les frites de mon père ! Ce sont les meilleures, il n'est pas ch'timi pour rien et les aime trempées dans le picalili. La journée se passe, je lis les mémoires inachevés de Barbara et feuillette les magazines "à la con" que ma mère m'a mis de côté. Je fais le tour du potager et admire les tomates éclatées sous le soleil de juillet et qui manquent maintenant cruellement de soleil, les courges-spaghetti qui faisaient la fierté de l'oncle Marcel, les pommes de terre de Pap's, les cornichons qui voulaient se faire aussi gros que des concombres, les courgettes, les fraisiers désertés. Et puis dans le jardin, les pieds de rhubarbe, les quetsches, les pommes, le figuier. Le soir, Mozz me propose de goûter un apéritif maison offert par leurs amis les Pommé, ça s'appelle du pousse-épine et c'est très bon ! Elle me fait saliver en me mettant sous le nez une odorante tarte au maroilles (merci tonton Dan). Pâte à pain, lamelles de maroilles, copeaux de beurre et hop au four ! De quoi embaumer durablement nos immeubles sans âme et chatouiller les narines des gourmets ...
Dimanche matin, je profite du câble pour regarder "Un homme sans l'Occident" de Raymond Depardon. C'est beau, c'est dur, c'est hostile. Mozz fait une plaque de croquets, biscuits secs aux amandes, spécialité de Sancerre. Elle les trouve trop peu cuits et me laisse les brisures, miam ! Ca me rappelle mon enfance quand je jouissais du droit d'aînesse pour le "lichage" des casseroles remplies de chocolat fondu. On regarde les photos de Turquie sur le PC de Pap's, comme prévu Mozz aime beaucoup celle où je porte la robe verte qu'elle-même portait il y a 34 ans sous le soleil de Nouméa.
Lundi, le soleil fait quelques appartitions et mardi à 8h30 il me fait de l'oeil et je saute hors du lit pour aller boire mon café dans la chaise longue. Alors que je termine le roman d'Ernest J. Gaines "Par la petite porte", Pap's ramasse un mulot abandonné par un des matous sur la pelouse du jardin et le balance dans le jardin du voisin, ce qui me fait hurler de rire. Vers 11h45, on charge la voiture de cagettes remplies des produits locaux et du jardin - manquent des crottins de Chavignol - et on prend l'autoroute direction Nevers pour un déjeuner chez le cousin de Pierre. On mange dehors, ça nous fait presque drôle. Un couple très sympa, on se balade dans le chemin d'en face et comme nous ne connaissons pas Nevers, ils nous emmènent visiter le palais ducal, la cathédrale en grande partie détruite par la RAF pendant la guerre, suite à une erreur d'aiguillage, et le centre-ville. Vers 19h, retour sur Paris, la circulation est fluide et la tour Eiffel scintille de tous ses feux.