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Gens (d'ici et d'ailleurs) - Page 3

  • Marie

    Depuis le début, j'ai un super feeling avec ma prof de chant. Une petite femme énergique et souriante, à laquelle je trouve une fraicheur très enfantine. Jusqu'ici, nous n'avions pas eu l'occasion de discuter beaucoup.

    Ce matin, j'arrive au cours à l'heure, pour une fois. Elle ouvre la porte, me fait entrer, demande comment ça a été. J'imagine qu'elle fait référence à un évènement en particulier et lui demande de quoi elle parle. "Cette quinzaine, comment ça a été ?" répète-t-elle.

    Je soupire : "Oh la la, je ne vois plus le jour, pour tout vous dire." Et j'évoque, en deux mots, ma charge de boulot pro et perso. Comme elle s'intéresse, j'explique que je prépare une soutenance pour obtenir un diplôme de consultante-formatrice et que j'ai beaucoup de travail personnel à fournir. "Vous suivez une formation?" "Non, justement, je demande le diplôme sans suivre la formation, je fais une VAE".

    "Ah, dit-elle en cherchant ses partitions de musique, nous sommes un peu dans le même cas, alors".

    Et elle m'explique qu'elle suit une formation depuis plusieurs mois pour monter une structure de coaching financier à distance. Je m'étonne : "Votre projet n'a rien à voir avec votre activité de professeur de chant ?" Elle confirme et me raconte qu'il y a un an, elle a fait une opération un peu folle en achetant un appartement à Las Vegas. Qu'à la suite de cette opération financière très fructueuse, elle a eu envie de se rendre utile aux autres en les accompagnant dans la gestion financière de leurs biens.

    S'ensuit une discussion très animée où nous nous découvrons de nombreux points communs, ce qui ne m'étonne pas, avec le recul : un arrachement du pays de naissance à 3 ans, un lien avec l'Afrique (elle en tant que métisse, moi en tant qu'ex membre d'une famille congolaise), un même regard sur les freins et les chances de ce continent (religion, pression familiale et sociale, jeunesse, énergie, joie de vivre) et sur les devoirs, à nos yeux, de sa diaspora, des métiers similaires (elle, prof de chant, moi formatrice), les mêmes doutes sur notre légitimité (elle sur son droit à parler de l'Afrique en tant que métisse, et sur son droit à devenir coach dans la finance en tant que musicienne, moi en pleine conquête d'une légitimité officielle avec ma VAE), les mêmes projets (monter notre propre structure) et un même constat sur l'état de déprime des Français (vous savez, dit-elle, j'ai parfois l'impression d'être un docteur, depuis 30 ans que je fais ce métier, je vois défiler dans mon studio des personnes découragées, résignées, sans espoir).

    "Vous savez, Sophie, conclut-elle avant de m'inviter à faire des vocalises, nous avons peut-être des choses à faire ensemble".

    En repartant, je me suis dit que vraiment, les (belles) rencontres ne sont jamais le fruit du hasard.

  • Le jeune homme de la place de la Madeleine

    A l'automne, dans un des couloirs de la sortie du métro Madeleine, j'ai découvert un jeune homme, assis sur un petit carré de tissu. Il était propre, rasé de près et il adresait un sourire doux aux passants. On aurait dit qu'il s'était trouvé chez lui et s'était dit "Tiens, si j'allais m'assoir dans le métro pour regarder les gens passer?" 

    En le retrouvant chaque matin, au détour du couloir, j'ai ressenti le même sentiment de malaise et de curiosité : il avait l'air content d'être là, dans ce courant d'air glacial que je m'empressais de quitter.

    Un matin de décembre, il n'était plus à sa place. A quelques mètres de là, devant l'entrée du Darty, un groupe de 3 ou 4 clochards hirsutes et avinés avaient installé leurs matelas. J'ai retrouvé le jeune homme sur la place, sagement assis sur la marche d'un immeuble de bureaux. Il souriait toujours. J'ai pensé "Merde, ça va être dur pour lui d'être à l'air libre, avec ce froid". J'ai supposé que les autres l'avaient chassé.

    Au fil des semaines, je l'ai vu changer. Une barbe a poussé sur ses joues jadis lisses. Un matin, j'ai remarqué une vilaine entaille et du sang séché sur son sourcil. J'ai pensé " Qui a pu frapper quelqu'un d'aussi doux?" Il a vieilli d'un coup, son visage s'est creusé et durci, son sourire est devenu forcé. Je continuais de le saluer et il me répondait toujours d'un signe de tête mais ses yeux sont devenus noirs, comme chargés de colère. 

    Un matin, je me suis penchée sur lui : "Si je vous offre à manger, vous le prendrez ?". Il a fait un signe de tête et j'ai compris qu'il ne parlait pas français. Je l'ai questionné "Vous parlez anglais?" et il a répondu avec ce délicieux roulement de r : "Roumane".
    Je suis repartie ébranlée et triste "Putain, mon frère roumain, qu'est ce que tu es venu faire ici?". En cheinant, je le revoyais quelques mois plus tôt, avec sa tête de jeune étudiant curieux du monde.
    J'ai décidé de profiter du Carême pour utiliser l'argent qui m'était alloué pour déjeuner à lui acheter un sandwich, des fruits. Et puis, un matin que j'emmenais des cookies maison pour mes collègues, j'ai ouvert la boîte et lui en ai offert.

    Au fil des jours, j'ai eu l'impression qu'il ne me reconnaissait plus. Ou alors la tristesse brouillait désormais son regard et faisait de nous tous des ombres anonymes et filantes. 

    Je supporte de moins en moins que tous ces humains en déchéance fassent partie de notre paysage, comme si c'était normal,. Ils augmentent de jour en jour, des jeunes, des vieux, des femmes, des mères, des grands-mères. Certains nous renvoient nos propres peurs : hier un humain, un nom, une personne aimée, demain un animal dont la crasse et la puanteur répugnent.

    A mon retour de Naples, le jeune Roumain avait disparu. Je l'ai guetté en vain les jours suivants. Il a peut-être changé de quartier ou alors, comme je l'espère, il est rentré chez lui.

  • Naples jour 1

    8h40, nous aterrissons à Naples sous la pluie. Rien ne peut entamer notre joie d'être ailleurs pour un weekend entre filles. Après plus d'un an sans autre pause que 15 jours maussades en août dernier, j'ai attendu cette escapade en mode dolce vitta. En dehors de vacances près de Venise quand j'étais ado et de quelques heures d'escale à Florence quand j'étais hôtesse de l'air, je ne connais rien de l'Italie. Je rêve de Naples, Capri et des Pouilles depuis longtemps. Amatrice de vieilles pierres, cette pause tombe à pic dans la vie de mon amie Choups. 

    A l'aéroport, après voir vérifié où nous devions nous arrêter pour notre hôtel, nous montons dans l'Alibus. Un black qui nous entend discuter nous dit qu'en achetant notre billet au tabac de l'aéroport, nous aurions payé 3€ au lieu de 4 à bord du bus. Bon à savoir pour la prochaine fois (car j'ai déjà l'intuition qu'il y aura une prochaine fois).

    Au 2ème et donc dernier arrêt, nous descendons à quelques pas du port où se dressent d'imposants ferries et un édifice tout aussi impressionnant, le Castel Nuovo. Sous une pluie battante, nous trouvons sans peine la via Medina. En revanche, le numéro 17 est une porte cochère sans trace d'hôtel. Le porche sombre, l'ascenseur vieillot ne sont guère engageants. Pourtant c'est bien là, au 3ème étage, que se trouve l'hôtel Napolart; soudain, je crains le pire mis une fois la porte passée, un décor moderne et lumineux me rassure.

    Un charmant jeune homme nous offre un café et nous propose de patienter dans la salle attenante, le temps que notre chambre soit prête. Là, je louche sur les appétissantes pâtisseries disposées pour le petit déjeuner et me vite laisse tenter par une viennoiserie feuilletée en forme de coquille saint-Jacques. 

    [Précision : Evidemment je ne vais pas venir à Naples, capitale de la bonne bouffe, et faire le carême ! Si je trouverai sans aucun doute mon bonheur ici en terme de poissons et fruits de mer, j'ai bien l'intention de me siffler quelques apéros et de faire honneur aux pâtisseries. Donc parenthèse de 4 jours et je ferai comme pour le Ramadan, je rattraperai]

    Pour l'heure, j'ai bien choisi : un sfogliatella, chausson feuilleté fourré de ricotta au citron, spécialité napolitaine qui serait d'origine arabe. Un délice ! Après 4 heures de sommeil, un 2ème café est bienvenu. Quand je demande à payer, le serveur refuse : le petit-déjeuner est offert. Notre séjour commence bien ...

    Peu après, nous prenons possession de notre chambre et c'est une deuxième bonne surprise. Une chambre spacieuse et claire, très douillette, une salle de bains luxueuse, une propreté irréprochable. Décidément, j'ai de la chance avec les hôtels, je tombe toujours bien ...

    Le temps de déballer nos valises, de décider vaguement de la direction à prendre, et nous voilà reparties. Juste à côté de l'hôtel, nous entrons dans une - première - église où 2 adorables mamies nous prennent en charge pour une visite guidée et gracieuse, et entourent sur notre plan de la ville les endroits à ne pas manquer. 

    Au pif, nous avons pris la direction du quartier Spacccanapoli et nous enfonçons dans des ruelles étroites où piétons, vespas et voitures se faufilent. Le linge pend aux fenêtres, recouvert de plastique, les façades sont décrépies, la ville semble délabrée mais l'ensemble charmant. J'ai toujours aimé le bordel et l'imperfection. 

    Après les visites des églises baroques du Gesu Nuovo et gothiques de Santa Chiara, nous nous trompons de direction et prenons la Via Pasquale Scura, au bout de laquelle on aperçoit, dans les hauteurs, le château Sant'Elmo. Nous retournons sur nos pas pour nous engager dans la Via Benedetto Croce. 

    Comme il est déjà 13h30, nous décidons de filer tout droit jusqu'à une institution napolitaine : la pizzeria Sorbillo. Là, nous attendons à l'extérieur que la patronne nous appelle au micro. La clientèle est locale. Au premier étage, dans une salle à la décoration sommaire, nous nous attablons devant des pizzas Margherita au diamètre impressionnant. La pâte est fine, le basilic parfumé et le succès indiscutable : 

    Maintenant repues, nous pouvons revenir un peu sur nos pas.

    Juste avant la place San Domenico Maggiore, nous repérons la pâtisserie Scaturchio, un incontournable d'après mon guide, où de superbes gâteaux s'exhibent. Le ministeriale, un médaillon de chocolat fondant fourré de liqueur, fera le bonheur des nombreux amateurs de chocolat qui m'entourent. 

    Hélas, l'église de San Gregorio Armeno, réputée somptueuse, est fermée. Nous remontons la via San Gregorio Armeno, bordée de boutiques de santons où l'on trouve pêle-mêle des figures religieuses, politiques, des stars et des sportifs.

    L'église gothique San Lorenzo et ses neuf chapelles rayonnantes est de toute beauté ainsi que sa voisine, la Santa Maria delle Anime del Purgatorio. Ma copine Choups, qui goûte l'architecture italienne, est aux anges. 

    Nous prenons la Via del Tribunali jusqu'à la Via del Duomo, une jolie artère aux bâtiments bien alignés et colorés, en contraste avec les ruelles étroites et sombres empruntées jusque là.

    Nous voici donc dans le quartier du Duomo (cathédrale) et nous la visitons bien sûr, ainsi que la crypte de San Gennaro.

    Ensuite, nous poussons jusqu'à la verdoyante placette Bellini où nous nous attablons, moi devant un Brasiliano, et elle devant un thé à la menthe. De là, nous descendons la via San Sebastiano, bordée de boutiques d'instruments de musique et retrouvons notre chemin jusqu'à la Via Medina sans même l'aide du plan. Trop fortes les meufs. A l'approche de l'hôtel, je ressens soudain un petit coup de barre. 

    "Mine de rien, ça fait juste 12 heures qu'on est debout" dit Choups. "Et surtout, on a dormi 4 heures ..."

    Arrivées à l'hôtel, après une légère somnolence, je blogue et elle chantonne en pianotant sur son téléphone.  Ce soir, on va dîner dans les Quartieri Spagnoli ...

     

  • B., l'athlète ascète

    A courir chaque dimanche au même endroit et sur le même créneau horaire, on reconnaît les habitués, qu'on salue d'un regard.

    Les autres, on les voit affluer en masse en juin, juste avant l'épreuve "bikini". Elles commencent leur course le cheveu lisse et brillant, le maquillage impeccable, dans une tenue entièrement coordonnée; elles la finissent (vite) et en piteux état. Puis on ne les revoit plus jusqu'à l'été suivant. Il y a aussi des pics de fréquentation juste avant les grandes courses : le Paris-Versailles, le marathon de Paris. Là on ravale sa fierté, dépassé par des flèches aux tempes grisonnnantes qui galopent comme des gazelles ailées.

    Parmi les habitués du dimanche matin, il y a ce type qui a une tête de flic et qui me jette des regards noirs, sans que je sache pourquoi. A vrai dire, en regardant mon reflet là, dans la vitre du train, je me dis que sans sourire, je n'ai moi-même pas un air engageant, alors en plein effort et avec du rap dans les oreilles ...
    Il y a aussi un black mastard, ausi joufflu que musclé, avec une tête de méchant black qu'il faut pas faire chier.
    Un autre, cheveux gris, la cinquantaine, silhouette de marathonien, qui court avec un rictus de douleur aux lèvres, même qu'à chaque fois que je le croise, j'ai mal pour lui. 
    Un autre aussi, récemment, le sosie de Jean-Luc Bideau, dans un jogging en coton tout distendu; je n'en donnais pas cher mais il est là, chaque dimanche, et il s'accroche.


    Peu de femmes, parmi les habitués. Quelques unes en surpoids, qui s'accrochent quelques semaines et que j'ai envie d'encourager à chaque fois que je les croise. Une jeune asiatique qu'on a vu débarquer en tee-shirt de coton quasi transparent, début décembre, quand le thermomètre approchait 0 degré, genre "Ben quoi, il fait 3 degrés, et alors ?" Mon frère s'est tapé un point de côté quand j'ai lancé "Nan mais, trop facile pour elle, je te parie qu'elle vient des steppes de Mongolie !?"

     

    Et puis il y a B., petit asiatique basané, sec comme un coup de trique. Il m'a adressé la parole un jour où j'avais remplacé ma séance de course par des fractionnés de saut à la corde. Je sentais son regard intrigué dans mon dos. 
    Quand j'ai stoppé ma séance, en nage, il m'a lancé : "C'est quoi ton sport?"
    J'ai l'habitude de cette question. "Je ne fais pas de boxe, je saute, c'est tout, ça m'amuse."
    On a commencé à discuter. B. a flatté ma fierté en me disant que mon endurance à la corde l'avait impressionné. Il court 12 kms chaque jour, qu'il pleuve ou qu'il vente. Il fait et enseigne la muay thai et part régulièrement en Thailande pour des séjours d'entraînement intensif. Il s'est aussi formé aux massages thérapeutiques. 
    J'ai du mal à lui donner un âge mais je ne serais pas étonnée qu'il ait dépassé la cinquantaine. On s'est découvert un point commun; B. est fils de militaire, lui aussi. 


    L'autre jour quand je lui ai dit que j'allais partir à Madagascar, il a satisfait la curiosité qu'avaient fait naitre ses yeux bridés et sa peau café au lait : B. est né de père malgache et de mère vietnamienne. 
    Je lui ai présenté mon frère, féru d'arts martiaux et qui court avec moi depuis un peu plus d'1 mois. Ils ont sympathisé. C'est cool de retrouver B. chaque dimanche et d'échanger un salut, parfois quelques mots.


    Dimanche dernier, je courais seule et nous nous sommes retrouvés au point d'arrivée, près de la fontaine. Nous avons parlé de mon voyage qui se rapproche et B. m'a raconté quelques souvenirs de son enfance à Madagascar. 
    Alors que je lui parlais de l'approche du Carême, perspective qui me réjouit, j'ai appris qu'il pratiquait depuis 30 ans le rythme alimentaire auquel je me soustrairai pendant 40 jours : un seu repas quotidien. B. est exclusivement végétarien, ne boit pas d'alcool et de l'oeuf, ne mange que le blanc "parce que le jaune c'est plein de mauvais cholestérol".
    Ca rigole pas ! A mon avis, B. a une hygiène de vie hyper stricte, voire monastique. 
    On s'est souhaité de bonnes fˆetes et j'ai lancé en m'éloignant : "Mange quand même quelques truffes, B., c'est Noel quand meme !"

  • Le divan

    Je l'aime bien, mon voisin du 3ème. La cinquantaine je suppose, sorte de grand gaillard un peu gauche, visiblement timide, il bafouille souvent mais sourit toujours. Mon voisin du bout du couloir m'a envoyée chez lui un soir pour un prêt d'escabeau et j'ai sympathisé avec lui, sa femme et leur fille. Souvent, je le vois filer dans les rues de ma ville, aussi fier et rigide sur son vélo que Jacques Tati dans Jour de fête. 

    Il y a quelque temps, je l'ai croisé dans l'ascenseur et à la question qu'on pose souvent sans écouter la réponse, il a fait la moue. Je n'ai pas insisté. 

    L'autre soir, alors que je tirais et poussais tant bien que mal un meuble récupéré sur le trottoir, il est apparu, proposant son aide. J'ai fait mine de protester, par politesse, mais n'empêche, c'etait bien plus facile à 2. Arrivés dans mon entrée, il est remonté chez lui pour aller chercher quelques clous pendant que je lessivais le meuble. 

    Je lui ai offert un verre., lui ai demandé comment ça allait. " Ma femme et moi on se sépare, m'a t-il dit, après 22 ans ensemble. Je vais prendre un meublé." 

    Il a raconté leur arrivée ici, il y a plusieurs années, "blottis l'un contre l'autre comme deux oisillons apeurés", il m'a dit ses appréhensions, son manque de confiance en lui, au boulot, partout, sa peur de l'avenir, seul.

    En regardant cet homme assis sur mon canapé à me raconter humblement ses failles et ses angoisses, sans tout l'attirail de "fierté - orgueil - un homme ça pleure pas" dont s'encombrait les générations précédentes, je me suis dit que les hommes s'étaient vraiment bonifiés.

    Le lendemain, mon canapé accueille un autre homme, tout juste trentenaire ceui-là. Je ne le connais que depuis quelques semaines. Il m'a draguée un soir en bas de chez moi, m'a fait rire, j'ai accepté un verre au café du coin. Je repousse ses avances, je le tacle gentiment mais je l'aime bien, il est généreux et courageux. Je sens une blessure en lui, que je le soupçonne de tenter de noyer dans l'alcool. 

    "J'ai vécu des moments difficiles, tu sais" m'avait-il dit un soir. 

    Au fil des soirées, I. se confie. Il y a 6 ans, il est arrivé seul de sa Kabylie natale. Son premier boulot c'était dans un abattoir de canards, dans le Sud-Ouest. Lever à 4h, douché à 13h, en cours à 14h. Une petite chérie paloise l'initie au gobage d'huîtres, sans succès. Il parle avec beaucoup de tendresse de ses ex petites amies. Aujourd'hui, I. est ingénieur et a financé la venue et les études de sa soeur et de ses 2 frères. 

    Ce soir, il raconte. Il y a 2 ans, le mariage annulé un mois avant la noce, la vie seul pendant la durée du préavis dans l'appartement du couple qui n'est plus, la honte qu'il traîne depuis auprès de sa famille, la pression de ses parents pour qu'il se marie. Il a une copine depuis 1 an, il l'aime beaucoup.

    "Mais elle est divorcée. Mes parents n'accepteront pas que j'épouse une femme divorcée, dit-il. Et avec ce qui est arrivé il y a 2 ans, je n'ai pas le droit à l'erreur."