Les weekends prolongés sont les meilleures occasions de se balader dans Paris, en grande partie vidée de ses casse-couilles habitants. Depuis un petit moment, le 16ème, peut-être l'arrondissement le plus provincial de Paris, me trottait dans la tête.
Peu après 15h, munie du"Jeux de piste et énigmes à Paris", offert par ma copine Boug', et de "Paris méconnu", je monte sur un Vélib. Rue Vercingétorix, les promeneurs s'égarent sur la piste cyclable. Place de Catalogne, dont je fais le tour en sifflant à tue-tête "Beguin the beguine", par Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, que j'ai écoutés toute la matinée, un jeune homme me fait écho avec un clin d'oeil complice. Je dévale le boulevard Pasteur à toute beurzingue, sifflant toujours. Django a le don de me mettre la patate depuis que je l'ai découvert, à l'aube de mes 20 ans.
Avant Cambronne, je tourne dans l'avenue de Ségur, déserte, jusqu'à l'avenue Duquesne. De là, je rejoins l'École Militaire et continue sur l'avenue Bosquet, où vendredi soir, j'ai fêté le weekend avec 2 collègues, aux Crocs de l'Ogre, devant une superbe côte de boeuf. Je franchis le pont de l'Alma et dépose mon Vélib car c'est là que mon jeu de piste commence :
"Ce peut être un moine bouddhiste, un mammifère ruminant, ou un chanteur français amoureux des petites femmes de Pigalle. La place servant de départ à ce parcours sera l'anagramme de ce mot."
"Rejoins une flamme qui brille pour marquer l'amitié de la France avec un grand pays. Puis tu prendras l'avenue portant le nom de la ville éclairée par l'original de cette flamme."
[Cet endroit est devenu célèbre depuis la mort de la princesse Diana. Entourée d'une chaine alourdie de ces hideux cadenas qui plombent les ponts de Paris, on lit sur son socle : " Réplique exacte de la flamme de la statue de la liberté offerte au peuple français par des donateurs du monde entier, en symbole de l'amitié franco-américaine, à l'occasion du centenaire de Herald Tribune (1887-1987)"]
"Des femmes dévêtues resteront de pierre lorsque tu passeras devant elles, et peu après, Charles Péguy parlera aux mères de leurs fils qui se sont tant battus."
Sur le parvis du palais de Tokyo, de jeunes skaters torse nu s'élancent dans les airs. Et au pied du palais, il y a des tentes de SDF, parce que c'est ca aussi, maintenant, le pays des droits de l'homme et de la fraternité.
"Si tu ne peux pas le traverser, contourne cet édifice qui a la peinture, l'architecture et la sculpture pour devise. Tu parviendras ainsi à la porte principale."
Ça tombe bien, mon guide "Paris méconnu" signale une curiosité rue de la Manutention. Un jardin potager longe le palais et les habitants ont laissé libre cours à l'humour et la poésie. Olivier, par exemple, y a planté un écriteau où on peut lire :
Mon potager du palais de Tokyo
- Les soins d'arrosage
- Mes tomates-cerises
- Un coin de paradis en plein Paris
- Les melons fugueurs
- Un loisir qui se mérite
- Mes radis rouges
- Les pique-nique du dimanche
- La poule rousse de Maurice
- Un lieu qui facilite les contacts
Et mon jardin secret
Plus loin, au pied des marches qui mènent à l'avenue du président Wilson, Corinne et Didier ont écrit une ode toute en couleurs à l'amitié :
"Le pot ... âgé du Palais" parce que nous sommes de vieux amis ... Le vert caresse l'espoir d'effleurer le rose Le rose effleure d'amour de caresser le vert, Le rose s'enivre de quelques gouttes de vert, Le vert goûte aux gouttes enivrantes de rose, Pour le plaisir et sans modération : soyons "terre à terre" ...
Derrière le palais de Tokyo, il y a le palais Galliera et c'est lui qui porte la devise citée plus haut. Je n'ai pas encore visité ce bâtiment de style Renaissance italienne (ne vous imaginez pas que je sois calée en architecture, c'est mon guide qui l'écrit) qui abrite le musée de la Mode et du Costume, mais je crois me souvenir que Gi a essayé de m'y entraîner lors d'un de ses séjours parisiens.
"Un maréchal de France te montrera la direction à suivre pour rejoindre un général, également président du pays pour lequel il s'est battu."
Alors moi, question grands hommes qui ont servi leur pays, je ne suis pas trés douée. Alors je triche car j'ai lu la suite.
"Sur cette place le musée Guimet (du nom de son donateur) est l'un des plus grands musées d'art asiatique au monde. En remontant la façade oùles carrés entourant les ronds sont plus nombreux, tu passeras devant un institut portant le nom d'un poète allemand."
Je parie sur Goethe. Partons donc à la recherche de l'institut Goethe, mais cette fois sans tricher, ce qui me vaut de prendre la façade à l'envers et de m'embarquer dans la rue Hamelin. Je feuillette "Paris méconnu", pour m'assurer de ne rien rater d'intéressant en route, et il me signale un jardin japonais à l'arrière du panthéon bouddhique, annexe du musée Guimet. Il est 17h14 et le jardin est annoncé comme fermant à 17h mais je décide de tenter ma chance et fais le tour du pâté de maisons.
"Il ferme bientôt" me dit une dame à l'accueil (chouette!). Je fonce. Le panthéon bouddhique, gratuit, est totalement désert. Je m'assieds et me rafraichis quelques instants à l'ombre de l'exigu jardin japonais, bercée par le bruit de l'eau. Le petit pavillon de bois accueille, environ 2 fois par mois et, d'après leur site, uniquement le jeudi, des cérémonies du thé (12€).
"Puis après avoir longé successivement le territoire koweïtien puis l'état de Bahreïn, tu retrouveras un général récemment rencontré, en compagnie de son ami français."
Bon, va falloir que je m'y habitue, le 16ème est l'arrondissement des ambassades. Je dépasse les ambassades mentionnées. Sur la place des États-Unis, ils sont là, comme 2 vieux potes, tels Nico et Tonnegrande, mais sans le comptoir.
"Dans le dos de cet Américain, la rue du cardinal archevêque de Paris te mettra dans la direction d'un astronome et mathématicien."
Les religieux, c'est encore moins mon fort. Mais l'astronome mathématicien, je sais ! C'est Galilée ! Je m'engouffre joyeusement dans la rue qui porte son nom et de drôles de choses sur ses façades : un drapeau du Salvador au-dessus d'un restaurant asiatique, un portrait de Galilée, une hélice ...
Je débouche sur l'avenue Kléber et mon guide me rappelle à l'ordre :
"Puis tu longeras des pays dont les capitales sont Caracas et Beyrouth."
Et merde, c'est reparti pour la chasse aux drapeaux. La vexillologie - de vexillum, nom de l'étendard dans les armées romaines - mon autre point faible. J'ai beau y avoir passé un séjour mémorable en 2004 (dommage je n'étais pas encore blogueuse), aucun souvenir du drapeau vénézuélien !
Dans la rue Cimarosa, j'en repère 2. J'avance jusqu'à eux ... raté, ce sont les ambassades d'Afrique du Sud et d'Argentine. Ah ! Un autre sur l'avenue ! Encore raté, c'est le Pérou ... Tant pis, j'abandonne et continue ma balade en bifurquant dans la rue Copernic. Ah ben tiens, la voilà l'ambassade du Vénèz' !
"Entre les deux, le bateau présent sur la façade aurait pu naviguer dans ce réservoir d'eau de la ville de Paris, dissimulé derrière ces hauts murs."
Juste avant d'atteindre la place Victor Hugo, j'avise un traiteur chinois et décide de m'offrir une douceur, pourtant sans grand intérêt gustatif, dont je raffole depuis mon adolescence : un gâteau à la crème de soja. Je mords dedans, pouah ! Ça a un vieux goût de moisi ! Je l'inspecte, repère une minuscule tache verte et le rapporte au magasin. La patronne me rembourse sans un mot d'excuse. Tant mieux, en fait j'avais plus faim que soif.
Place Victor Hugo, je ne trouve pas trace de Jeanne d'Arc.
"Cette pucelle, brûlée en 1431 par les Anglais, est considérée par certains comme une sainte. Sa statue est adossée au bâtiment dans lequel un saint est honoré. Tu seras sur la bonne route lorsque tu la croiseras."
Alors je triche et recherche sur internet l'adresse de l'ambassade du Nigéria, à laquelle on fait allusion après une énigme arithmétique incompréhensible (hé, c'est que j'ai eu 1/20 au bac, moi!)
"Dans la même voie, recherche le numéro de l'immeuble dont le chiffre des unités est le double de celui des dizaines qui est, lui-même, le double de celui des centaines. Tu passeras ainsi devant la l'emplacement de la dernière demeure de " celui qui mourut en son avenue ."
Bon, comme je n'ai pas envie de rater l'endroit où l'auteur de Notre Dame de Paris, roman qui m'effraya autant qu'il me captiva, a poussé son dernier soupir, je triche encore. Au 124, une plaque indique l'emplacement de l'hôtel où il vécut et son visage est gravé sur la façade. Une plaque de l'histoire de Paris m'apprend que l'avenue d'Eylau fut rebaptisée de son vivant, permettant à ses amis d'écrire "à Monsieur Victor Hugo, en son avenue." Le 1er juin, deux millions de personnes l'escortent en hommage funèbre et triomphal jusqu'au Panthéon, rendu, en son honneur, à sa destination de sépulture des grands hommes.
Je me demande bien qui pourrait susciter un tel hommage aujourd'hui, en tout cas pas nos hommes politiques, ça c'est sûr ...
"Un peu plus loin, tu dépasseras le pays dont Lagos est la capitale."
Bon, si je ne suis douée ni en histoire militaire, ni en vexillologie, ni en maths, les mappemondes, ça me fascine. Et fan de Fela Kuti, je sais que Lagos est la capitale du Nigéria. Je continue sur l'avenue et stoppe devant le nom d'un artisan bien connu, qui mature ses viandes, que j'ai goûtées lors d'un Fooding, pendant 2 mois. Le temps d'une photo volée de ses canons de côtes en maturation et d'une citronnade au Pain Quotidien, je continue ma route.
"Il peut être de science, de pétrole, de lumière, de mine, mais dans notre cas, il est artésien et n'en a pas l'apparence. Tu pourras probablement voir les habitants du quartier venir y chercher celle qui est peut-être une des meilleures de Paris, bien qu'elle soit à 28°."
Ça tombe bien, le puits artésien du square Lamartine était aussi un des spots à ne pas manquer de "Paris méconnu". J'aurais pu le rater si je n'avais été intriguée par un attroupement de bouteilles de plastique. Je traverse l'avenue, et oui, c'est bien le square Lamartine où les gens vienent remplir leurs bouteilles.
Comme moi, vous vous demandez : mais qu'est-ce-que c'est qu'un puits artésien ? Et bien, c'est un puits duquel l'eau jaillit spontanément, contrairement à un puits traditionnel où l'eau reste stagnante. Mon guide m'apprend l'histoire de cette petite curiosité. Le forage de cinq puits parisiens fut une des solutions imaginées pour alimenter les Parisiens en eau non contaminée, après l'épidémie de choléra qui frappa la capitale en 1832. Inauguré en 1866, le puits de Passy est le dernier puits artésien de Paris encore en activité. Foré à une profondeur de 587 mètres, il avait pour ambition d'approvisionner les riverains, mais aussi d'assurer l'irrigation du bois de Boulogne et même d'en remplir les deux lacs ! Intriguée par la mention de son goût ferrugineux, incompatible avec la frénésie avec laquelle les gens présents remplissent leurs bouteilles,et puis, hey ! Ce n'est pas si souvent que j'ai l'occasion de boire à la source, je la goûte. Elle n'est pas à 28° ou alors c'est la lourde chaleur qui me la fait trouver fraîche ... et bonne !
" Grâce à Rodin, il batifole en tenue légère avec les Muses. Va le retrouver à la fin de son avenue." Non ??? Rodin n'a quand même pas foutu le vénérable Victor à poil ? Ben si !
"Éloigne toi de cet écrivain en allant du côté du soleil artificiel qui l'éclaire la nuit. S'il est 8h45, les pointes de l'aiguille de l'horloge t'indiqueront dans quel sens tu devras parcourir cette avenue, qui porte le nom de famille peut-être le plus courant en France" (hé non, ce n'est pas Dupont, je mensuis faite avoir aussi !;-) )
Alors, je voudrais pas faire ma chieuse, mais je me demande quels paradis artificiels fréquentent les auteurs du bouquin pour nous pondre ces énigmes à la mords moi le noeud ! J'ai mis 3 plombes à comprendre le coup des 8h45, qui en plus m'aurait envoyée dans la direction opposée (ben oui, parce que si on veut prendre la bonne route, il vaut mieux, face à Totor à poil, partir vers du 15h15 ou 3 heures et quart pour les insomniaques). Tu comprends rien, cher lecteur ? Moi non plus !
"Ensuite, tu déboucheras sur une place qui sentirait bon le café si les noms de pays avaient une odeur. Mais tu en sortiras en croisant, toujours aussi vêtu, l'écrivain rencontré récemment. Il te montrera que la vision du poète n'est pas toujours très joyeuse."
La verdoyante place de Colombie était nimbée d'une jolie lumière, hier soir. Dans le lointain, on distinguait les tours de La Défense.
"Pour l'agrément de ta promenade, il sera préférable de choisir un chemin de terre bordé de verdure. À cet endroit, le 21 novembre 1783, on effectua la première ascension en montgolfière."
Ça tombe bien, j'avais naturellement abordé la place par la droite, longeant un enclos de verdure où se dresse un batiment que je devine être cette organisation pour laquelle travaille ma copine Choups (et où ma foi, je bosserais bien aussi parce qu'ils ont de sacrés avantages, le salaire n'étant pas le moindre).
" Tu longes le siège permanent de l'Organisation de coopération et de développement économique (O.C.D.E) qui est, depuis 1948, un territoire international."
Me voici dans le jardin du Ranelagh. Il fut dessiné en 1860 sur l'emplacement du Petit Ranelagh, salon de danse et haut lieu de plaisir pour Marie-Antoinette et la cour jusquà la Révolution Française. Le petit Ranelagh parisien tenait son nom de la rotonde pour concerts édifiée à Londres par Lord Ranelagh, Irlandais amateur de musique. Plus d'histoire ici.
Ranelagh, un quartier au sud de Dublin dans lequel j'ai vécu quelques mois, porte donc aussi son nom. Vous allez me croire terriblement distraite mais jusqu'ici je n'avais pas fait le lien, ou en tout cas pas consciemment, entre le Ranelagh d'ici et celui de là-bas. Que pourtant je prononçais, comme les Dublinois et à l'inverse des Parisiens, "Ranela". Depusi quelques mois, à l'instar de ma copine Choups, je me forçais à le terminer par un sonore G. Je vais donc reprendre les bonnes habitudes, puisqu'irlandais le Ranelagh est !
Le jardin est envahi de flâneurs par cette chaude journée ensoleillée. Des jeunes jouent au ping pong, ou plutôt ils s'engueulent bruyamment, s'accusant de tricherie. Tiens, des adultes ont piqué les jeux des enfants ? Ah non, c'est un espace libre de remise en forme, avec des machines comme on en trouve dans les salles de gym.
Le jardin du Ranelagh est un endroit très agréable et je m'étonne de n'être jamais venue me promener jusqu'ici. Je ne sais pas si c'est la proximité de la place de Colombie mais j'entend pas mal parler latino dans le coin. Sur un banc, je m'offre ma première pause de la journée et note quelques détails de ma balade quand ma copine Jam m'appelle.
"Tu passeras entre deux tennis bien plus petits et d'un usage différent que ceux utilisés au stade de Roland-Garros, non moin d'ici. Ensuite, dès que l'occasion se présentera, traverse celui que l'on dit clouté et qui ne comporte plus de clous depuis longtemps."
Un rapide coup d'oeil au musée Marmottan et c'est là que j'abandonne le jeu de piste. Je suis à mi-parcours, il est 20h et mine de rien, j'ai parcouru pas mal de kilomètres depuis 15h. Et puis, j'ai envie d'aller me perdre du coté de la rue du Ranelagh où le guide " Paris méconnu" signale des sites intéressants.
Je traverse la petite ceinture et débouche sur le boulevard de Beauséjour, désert. Je me dirige vers la rue du Ranelagh qui commence ici avant de me raviser et de poursuivre jusqu'à la rue de l'Assomption. De là, je rejoins la rue Mallet-Stevens, une impasse où se cache "un véritable manifeste de l'architecture moderne : des jeux de cubes blancs et lisses, des décrochés, des gradins, des tours, des jeux d'ouverture, des auvents et des terrasses. Je m'attend à découvrir à tout instant la maison futuriste du film "Mon oncle"de Jacques Tati.
Puis je continue la descente de la rue de l'Assomption qui est longue, très longue. Je traverse l'avenue Mozart et note l'adresse du Bô Zinc Café, aux tarifs inespérés dans un quartier aussi chic (plats à moins de 10€). Il est d'ailleurs bondé d'une jeunesse bruyante. Je continue ma route.
Le 16ème est l'arrondissement des ambassades, mais aussi des terrasses. Du haut de chaque immeuble et de tous les balcons s'échappent des toupets verts.
Rue Jean de La Fontaine, je tourne à droite pour aller jeter un œil au numéro 14. A posteriori, je réaliserai que c'est là que m'aurait amenée mon jeu de piste, si je l'avais continué. On y trouve le Castel Béranger, un immeuble construit par Hector Guimard entre 1897 et 1898, et qui, en remportant le premier concours de façade de la ville de Paris en 1899, rendit immédiatement célèbre son architecte.
Un immeuble étrange, alliant pierre et briques rosées, bois, fonte et acier, grès vernissé et briques émaillées. De surprenantes gargouilles métaliques vert tendre s'accrochent à sa façade. A l'époque, le plus grand nombre renomma cet édifice Art Nouveau "Castel dérangé" mais certains ne s'y trompèrent pas, comme le peintre Paul Signac qui s'y installa. Devant l'immeuble, une station Velib. Il fait doux, le soleil a disparu et je traverse la Seine, rejoins la rue Linois, celle des Entrepreneurs puis celle de l'abbé Groult, et je rentre tranquillement chez moi, alanguie et moite.
Une petite balade de 6,1 kms quand même, allongée de 14 kms à vélo aller-retour et une parenthèse à l'écart du bruit et de la fureur de ma jungle urbaine, qui me fait dire encore : Paris je t'aime !
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