Ca fait 4 ans que je travaille dans le même service que L. Il a mon âge. Il rêvait de s'engager dans l'armée et mon vécu de fille de militaire nous a donné une certaine complicité.
Sous ses airs bourrus, il est d'une grande sensibilité. En couple depuis plus de 10 années, il avait 3 petites filles. Lors mon arrivée dans ma boîte, j'ai appris que sa dernière était atteinte d'une leucémie. Un jour, L. m'a dit : "Je n'ai qu'une hâte au boulot : rentrer chez moi retrouver ma femme et mes filles; c'est toute ma vie". Moi le coeur d'artichaut, j'ai trouvé ça très émouvant. C'est un homme droit, sincère, loyal, déconneur aussi mais jamais ambigu. Il y a 2 ans à mon retour du Vénézuela, j'ai appris que sa petite dernière était décédée. J'ai été impressionnée par sa dignité. Quelques mois plus tard, il épousait sa compagne. Il nous a annoncé son mariage en disant "Je pense qu'on a connu la pire épreuve qu'un couple puisse connaître."
Depusi le départ de ma boss - qui n'appréciait pas mon entente avec les services techniques - et le déménagement de notre siège social, nous sommes devenus plus proches et solidaires que jamais. Je m'entend très bien avec les 2 collaborateurs de L., surtout mon compatriote chtimi O. Le matin, je pose mes affaires dans mon bureau et je file direct dans le bureau de L. boire un café avec eux. Ils me charrient sur mes décolletés et mes bottes et font leurs machos à 2 balles "Alors, il vient ce café?" Le midi, on s'appelle pour aller manger. Je pense qu'ils m'ont prise un peu sous leur protection car je suis la seule fille du service. Et surtout, avec ma promotion en septembre, je suis maintenant au même niveau que L.
Pourquoi je parle de L. aujourd'hui en particulier? Parce que la semaine dernière, il a fait quelque chose qui m'a durablement touchée. Mercredi dernier, c'était l'arrivée de notre nouveau responsable, celui qui va désormais piloter nos 3 pôles, le mien, celui de L. et celui de P. Entre parenthèses, je le sens bien le nouveau responsable. La cinquantaine, le regard franc, une bonne expérience des services généraux. Le jour de son arrivée, il m'invite à présenter mon service et veut savoir comment je m'entend avec ses autres collaborateurs. Lorsqu'il me demande où j'en suis sur un dossier particulier, dossier qu'on m'a balancé en septembre et que j'ai mal géré car il ne relève pas de mes compétences, je devine qu'il a été "briefé" sur mon cas par "Big boss". Je lui explique au passage le contexte de ma promotion.
Le lendemain, L. me dit "Alors, t'as vu le chef?". Je lui répond "Oui, il m'a demandé de me présenter, et comment on s'entendait tous les 3, et quels problèmes j'avais dans mon équipe." Il me dit "Ouais, moi aussi, je lui dit qu'on se mettait sur la gueule tous les jours, lol. Au fait, je lui ai parlé de toi." Moi : "Comment ça parlé de moi?" Lui "Ben oui, je lui ai dit que t'avais eu une promotion en septembre, mais que ni ton contrat, ni ton salaire, ni ton statut n'avaient été revus en conséquence". Moi, bouche bée, je n'ai pu bafouiller qu'un "Merci L. mais pourquoi t'as fait ça ?" Lui :"Parce que je trouve ça dégueulasse."
Le jour même, mon nouveau boss déboulait dans mon bureau, s'asseyait en face de moi et me disait "Tu sais, "Michoko", s'il y a bien une chose que je ne supporte pas, c'est l'injustice."
Voilà, je ne m'en suis toujours pas remise. Dans le monde de chacals dans lequel nous évioluons, où chacun n'a pour but que de tirer la couverture à lui et de s'assurer les faveurs de la hiérarchie, le geste de L. m'a touchée à un point que vous n'imaginez pas. J'en parle à tout le monde depuis, famille et amis. Ca fait du bien et en même temps, je ne pense pas que ce soit un hasard. Ce n'est que le retour de ce que je diffuse autour de moi : l'ambition mais pas l'arrivisme, la justice, la sincérité.
"What goes around comes around", they say ...