A 14h, nous nous garons de nouveau Gustav Schwab strabe. Je sonne à la porte et quelques instants plus tard, Beate nous ouvre. Elle n'a pas changé si ce n'est quelques rides autour de ses yeux et je l'aurais reconnue sans peine. Sur la table nous attendent un assortiment de pâtisseries et 2 thermos remplis de thé et café. Boug' se laisse tenter par une Forêt-Noire et une part de tarte à la rhubarbe, et moi par de la Sachertorte et tarte à la rhubarbe.
Robert nous rejoint et nous échangeons nos souvenirs en français car Beate parle un français quasi-parfait ; elle ne pratique pourtant que très rarement. Elle a laissé une gamine, elle retrouve une femme et nous faisons maintenant connaissance, d'adulte à adulte. J'apprends que Beate n'est pas du tout une münsinger mais qu'elle est originaire de Fribourg, en Forêt-Noire, à quelques kilomètres de la France, ce qui explique sa culture très francophile. Beate s'enquiert de nos projets de visite dans la région. J'ai pensé à Bad Urach et Tubingen, une jolie ville étudiante. Elle propose de nous emmener jusqu'au château du Lichtenstein en empruntant la vallée de la Lauter, un affluent du Danube. Le château du Lichtenstein était un des sites favoris de ma mère, que j'ai plusieurs fois visité avec elle, enfant, et un incontournable pour tous nos visiteurs français.
Nous partons dans la voiture de Beate. Le temps est nuageux et il fait très froid. Nous quittons Munsingen et la première halte se fait peu après, dans un sous-bois où Beate nous fait découvrir des fleurettes délicates et typiques de la région : des « garçons » et « jeunes filles » et aussi une espèce rare et protégée, une sorte de clochette blanche. Nous reprenons la voiture et poursuivons jusqu'à Offenhausen, à la Lauterquelle, la source de la Lauter, dans un site bucolique à souhait. Beate nous en apprend plus sur cette pierre crayeuse que nous avons aperçue à maintes reprises depuis notre arrivée.
Il s'agit d'une pierre calcaire que l'on trouve de Seeburg à Bad Urach, une pierre poreuse, très belle mais qui n'est plus très utilisée pour les constructions. La voiture serpente à travers la végétation hivernale et je contemple les forêts de majestueux sapins de mon enfance, ceux-là même dont les larges branches ployaient sous la neige. Celle-ci était encore présente il y a peu et Beate confirme que les bourgeons n'apparaissent qu'en mai. Il y a des chemins de randonnée partout à flanc de colline et des bancs pour que les promeneurs puissent faire halte. J'aime beaucoup cette proximité qu'ont les Allemands avec la nature.
Peu après, Beate prend la direction du Schloss Lichtenstein et m'apprend que schloss signifie à la fois dire « serrure » et « château ». Elle gare la voiture sur un parking et le magnifique château du Lichtenstein se découpe dans le ciel. Construit au 14ème siècle, complété au 18ème, fortement endommagé par des tirs des Alliés à la fin de la 2ème guerre mondiale, il se dresse sur un pic rocheux à 250 mètres au-dessus de la vallée.
De là-haut on a une vue à couper le souffle sur les montagnes du Jura souabe et jusqu'à Reutlingen.
Un guide nous entraîne bientôt sur le pont-levis. Nous suivons la visite sur un document en français. D'abord la salle des armes où l'on trouve une armure d'adolescent. Ensuite la chapelle à la magnifique voûte bleue nuit, dont une niche est illuminée de rouge lorsqu'elle le soleil la frappe de ses rayons puis la chambre royale. Nous entrons ensuite dans une pièce en saillie où se trouve les masques mortuaires de plusieurs personnages illustres, parmi lesquels Napoléon 1er et Goethe.
La pièce qui m'impressionne le plus est sans nul doute la salle des chasseurs , toute sculptée de bois, avec sa chaire d'où un orateur racontait le retour de chasse. On y trouve aussi une immense flûte à champagne - à sa taille, soit 1m93 - offert à son époux, le duc Wilhelm, par la princesse Theodolinde Leuchtenberg, petite fille de Joséphine de Beauharnais. Notre dépliant dit qu'il fallait 3 bouteilles de champagne pour remplir cette immense flûte et 3 hommes pour la boire : le premier tenait le verre, le deuxième buvait et le troisième tenait celui qui buvait. Rien ne dit dans quel état finissait le trio ...
Des inscriptions tantôt chevaleresques « Servir tous les dames mais mourir pour une seule » (en français approximatif dans le texte), tantôt humoristiques « Plus de gens se sont noyés dans la bière et dans le vin que dans le Danube et le Rhin » sont peintes sur les murs.
Il est 18h30 lorsque nous remercions notre guide. Beate nous dépose chez elle et nous repartons immédiatement dans notre Mégane. En effet, ce soir, c'est détente : j'emmène Boug' se réchauffer dans les thermes de Bad Urach (Urach les Bains).
A 19h20, nous nous plongeons avec délice dans le bassin immense à 28° où nous massons nos lombaires sur de puissants jets. Un bassin surmonté de volutes de vapeur nous attire dehors et nous plongeons maintenant avec ravissement dans un bassin extérieur à 34°C où se prélassent d'autres nageurs. Là, en contemplant le ciel couleur d'encre, les montagnes alentour et les moineaux qui pépient joyeusement dans le soir tombant, je me dis que j'ai vraiment, vraiment beaucoup de chance.
Il est 21h20 quand toutes alanguies, nous regagnons la voiture et tentons, en vain, de trouver un restaurant qui servirait encore à manger autour de la Marktplatz d'Urach, bordée de maisons à colombages. Quelques minutes après 22h30, nous voici attablées devant un thé rooibos, racontant notre soirée à Beate et comment, descendant au sauna des thermes, Boug' a lâchement rebroussé chemin en apercevant de jolies paires de fesses d'hommes. Beate rit et nous conte à son tour la mésaventure d'une de ses amies qui s'était le plus naturellement du monde foutue à poil dans un sauna anglais, provoquant une vague d'indignation. Nous avons ensuite échangé des expériences culinaires où il est question d'escargots et de grenouilles et aussi d'une tradition bavaroise qui m'a laissé rêveuse : la pause de 11 heures où l'on déguste un Bretzel accompagné d'une bière, de radis et parfois d'une weiss wurst (saucisse blanche, en fait un boudin blanc) trempée dans de la moutarde sucrée.
En nous souhaitant bonne nuit, Beate promet : demain, Boug' mangera son premier bretzel !