Il y a quelques semaines, il était réapparu sur le site de la SPH avec ce message « Tu vois, je suis à nouveau là ! ». J'avais répondu « Dis donc, j'ai jamais reçu mon billet d'avion ! » La dernière fois qu'il m'avait écrit, c'était en ces termes : « Bravo, tu as gagné un voyage pour la Papouasie, allez bye ».
Il était sympa le marathonien mais assez déprimé. Pressé de « trouver quelqu'un », il enchaînait les plans cul et se réveillait avec la nausée. Il m'avait plusieurs fois proposé de se rencontrer mais je n'en avais pas envie. Un soir où il avait vraiment le blues, nous avions échangé longtemps et j'avais sollicité ses conseils de sportif. Quand il avait demandé « Tu ne trouves pas ça triste d'être seule ? », j'étais restée interdite. Heu, je suis censée dire quoi, là ? J'avais répondu ma vérité « Je ne suis pas seule mais célibataire. Et je ne trouve pas ça triste, non. »
Une semaine plus tard, il avait oublié mon prénom. Je discute, moi aussi, avec plusieurs personnes simultanément mais j'ai au moins la délicatesse de me rafraîchir la mémoire en parcourant nos précédents échanges. Le jour de la St Valentin, n'ayant pas lu ce billet, il avait eu le mauvais goût de m'inviter à déjeuner. Devant mon refus, ferme mais courtois, il avait fait son Caliméro « Personne n'est jamais dispo pour moi ». Je l'avais mouché « Tu devrais arrêter de te taper tout ce qui bouge, tu t'emmêles les pinceaux et tu en veux à la terre entière ».
Aujourd'hui, après une pause d'un mois, il semble plus serein et propose un verre, que j'accepte. A une station de la ligne 4, je suis tirée de ma lecture par trois africains qui chantent et jouent de la guitare sur le quai. Je connais cette voix... Je penche la tête, croise son regard. Oumar ! Merde, si je n'avais pas rendez-vous, je me serais assise à côté d'eux pour les écouter. J'espère, sans grand espoir, qu'ils soient encore là au retour.
Je retrouve E. devant l'église St Eustache, alors qu'une pluie fine et triste commence à tomber. Crâne rasé, svelte, il porte une veste en velours bleu marine. Nous entrons dans un pub. Devant ma pinte de Guinness, il dit « C'est rare une fille qui boit de la bière ». Je sais. Nous nous installons et crions un peu au-dessus de nos verres car les écrans diffusent un match de rugby. Il est beaucoup plus détendu en vrai. Il travaille beaucoup avec mon ancien employeur. Explique qu'il s'est désinscrit parce qu'il ne supportait plus « ce baisodrome », qu'il trouvait pathétique de se réveiller le matin à côté d'une inconnue. Raconte cette femme qui, « après s'être jeté l'un sur l'autre comme des bêtes », avait adopté une attitude de femme amoureuse. « Elle va arrêter de me caresser le crâne, elle n'a jamais rencontré de chauve de sa vie, ou quoi ? » s'était-il demandé en bondissant sur ses deux jambes. « Tu sais, le jour où tu m'as écrit que je devrais arrêter de papillonner parce que ça me rendait amer, tu avais tout à fait raison, c'était exactement ça », dit-il.
Plus tard, nous voici attablés devant un chiche taouk, dans la rue Montorgueil. Alors qu'il parle, les yeux humides, de ses deux petits garçons « Quand je les retrouve, on se roule par terre, on dirait un lion et ses deux lionceaux », je pense avec amusement à mon tout dernier billet. J'ai exagéré, bien sûr. Je trouve cette nouvelle génération de pères très touchante. De là à le mettre sur son CV ...
Maintenant il me demande pourquoi, d'après moi, je suis seule. « Je vais te dire ce que j'ai pensé en te voyant. Ma première impression me trompe rarement. Avec toi, j'ai l'impression qu'on n'a pas droit à l'erreur. Ils te disent quoi, tes amis ?» Faudra que je leur demande, tiens.
Nous nous séparons dans le métro. Je lui souhaite de bonnes vacances. Et reçois un sms quelques minutes plus tard « Navré de te quitter ». Puis d'autres. « Trop timide ». « J'aurais bien fait un câlin ». « Pas toi ? » J'envoie un sourire suivi de « Non. Profite bien de Lyon ».
A la station Raspail, les sièges en plastique vert céladon sont vides, et le quai silencieux. J'enverrai un message à Oumar.