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2yeux2oreilles - Page 13

  • Une oreille

    Sur un banc, au soleil, face à l'Elysée. L'homme aux lunettes noires dit :
    - Tu vois, les moments qu'on a vécus, être allongés l'un contre l'autre, à se donner de la tendresse, sans sexe obligatoire, c'est de ca que je rêve. Tenir une femme dans mes bras, la même chaque nuit.
    Mais je suis un gros queutard, tout ce qui m'intéresse, c'est savoir quel goût à l'autre. Et plus ça résiste, plus c'est intéressant. Une fois que j'ai gouté, je passe à autre chose.

    Dans un restaurant japonais, l'homme au crâne lisse dit :
    - Je souffre tellement de ma solitude. Chaque année, à mon anniversaire, je me dis "Encore un anniversaire seul, mais c'est le dernier.". Et l'année suivante, j'ai vieilli, seul. J'essaie de me battre contre ma déprime chronique. Je ressens de la colère et de l'injustice. Tu crois que se révolter ça veut dire qu'on a encore de l'espoir ?

    Un instant, elle a senti la tristesse et l'angoisse envahir sa gorge. Ils ont failli lui foutre le cafard. Tu crois que devenir spectateur, c'est s'être résigné ?

  • Gégé aux hormones

    Ce midi, au restaurant coréen, débat autour de l’engouement pour le tofu, ce truc insipide et spongieux. Gégé, le dandy de mon équipe, un brun viril et ultra stylé, proche de la cinquantaine et amateur d’hommes : « On ne sait plus quoi bouffer ! Ça fait 10 ans que je ne bois que du lait de soja et j’ai appris récemment que c’était bourré d’œstrogènes ! Résultat, je dois avoir le taux d’œstrogènes d’une femme enceinte »

    Eclats de rires autour de la table. « Fais gaffe, Gégé, si tu continues tu vas devoir t’acheter un soutif ! »

    Cet après-midi, sur le plateau, un homme passe, me fait un signe de la main. Gégé se tourne vers moi : « Tu es là depuis 8 mois et tu connais plus de monde que moi ici ! »

    «  Qu’est-ce que tu veux, Gégé … Toi tu as les œstrogènes, moi j’ai le décolleté ! »

  • Marbre à l'âme

    Quand je t’ai vu débouler sur notre plateau et t’installer en face de moi, j’ai cru que j’allais faire une attaque cardiaque. Je ne suis déjà pas connue pour être lymphatique mais là je suis clairement devenue agitée. Comment allais-je passer 7 heures avec toi à portée de mains ?

    [Blink, blink à ma copine « Petits cailloux »  qui m’a fait pleurer de rire hier quand, suspendue à mes lèvres, elle a sorti « Tu aurais dû lui dire : en missionnaire ça ne va pas être possible chéri, passes derrière ! ». Hors contexte, c’est moins drôle mais notre ¼ d’heure de fou-rire a réussi à perturber le patron de Toritcho qui, hilare au-dessus de ses sushis, a demandé « Qu’est ce qui est si drôle ? »]

    Après avoir repris ma respiration, l’atmosphère s’est chargée d’électricité. J’ai eu l’impression que tu étais nerveux aussi. Tu gigotais sur ton siège, comme moi, et nous nous sommes raclés la gorge à tour de rôle pendant une heure, c’était drôle. Habituellement très déconneuse, je n’ai pas sorti un son de toute la matinée. Et surtout je n’ai rien branlé de la journée, incapable de me concentrer. J’ai béni le ciel que mon inséparable pote ait eu la bonne idée d’être malade ce jour-là. A notre habitude, il aurait balancé des conneries, m’aurait charriée. Ton irruption dans notre périmètre  et mon mutisme obstiné aurait sans nul doute éveillé la curiosité de ce garçon très observateur.

    J’ai envoyé un sms à la jolie A., seule à être dans la confidence : « Oh putain, je ne vais pas réussir à bosser aujourd’hui, il y a BQ qui est venu s’installer en face de moi !! ».

    Je n’allais pas louper une si belle occasion de t’observer, à la dérobée. J’ai détaillé la chemise rose qui moulait ton torse musclé, tes mains libres de tout anneau, les fins bracelets de tissu autour de ton poignet gauche. J’ai remarqué que ta bouteille d’eau portait la marque Dia ; c’est donc là que j’irai désormais faire mes courses, en espérant t’y croiser (vu que ça fait 10 ans que nous habitons le même quartier, et que je ne t’y ai jamais vu, c’est mal barré). Parfois ton regard croisait le mien et s’y attardait juste assez longtemps pour que mon trouble augmente. Je n’avais jamais été assez proche pour remarquer à quel point tu avais de magnifiques yeux noisette.

    Toute la matinée j’ai eu chaud, froid, soif, envie de pisser … Je ne tenais pas en place et me levais souvent pour me rafraîchir les idées à défaut du reste. A un moment, j’ai remis ma veste, tu m’as regardée, as froncé les sourcils et chuchoté « Ça va ? ». Ton attention m’a littéralement fait fondre. J’ai failli t’envoyer un message « Arrête de me regarder avec ce regard caressant, malheureux innocent, je vais te sauter dessus ! »

    J’ai envoyé un sms à mon frère. J’avais besoin de partager mes émotions. « Respiration ventrale pour maitriser ses émotions» a-t-il répondu, pragmatique. « Si je fais de la respiration ventrale, j’explose les boutons de mon fut’, dans le genre femme fatale, on fait mieux ». « Lol, reste naturelle » a-t-il conclu. Naturelle, j’étais loin de l’être …

    Au retour du déjeuner, tu as lancé un « Tu es bien silencieuse … » J’ai osé un culotté « Moi ? Toujours ! » (Mon cul, oui !). « Ah bon, je ne savais pas » as-tu répondu avant de disparaitre en réunion et de me laisser reprendre mes esprits.

    Le lendemain matin, tu avais repris ta place et on a passé 1 heure à se titiller sur la messagerie instantanée (quelle belle invention, discrète, silencieuse, tout !) Je peux me tromper mais il y a des signes qui ne trompent pas. Reste à savoir comment on va réussir à passer le cap des échanges virtuels.  

  • Déjà vendredi ?

    Lundi, à l'heure du déjeuner, j'économise un ticket resto et claque 120 euros : coup de foudre pour une paire d'escarpins "Noir miroir". Visiblement, ça fait mal aux n'yeux, comme dirait ma petite soeur et je m'aveugle toute seule. Le soir, j'envoie un message à l'homme de marbre, sans réponse à ce jour.

    Mardi soir, après un verre en terrrasse du Habemus, une adresse à retenir où les serveuses sont joviales, nous nous attablons Au Mesturet. Elle retient un haut le coeur en me voyant décortiquer ma tête de veau. Y'a un seul truc qui nous sépare : elle n'aime pas la viande, ma copine de Carême (facile, pour elle !). Le service y est toujours aussi charmant, c'est une constante, et nos voisins de table, aussi. Un peu grise ou grisée, je chope le serveur, au vol "Vous, je vous sens bien". Il est médusé et je me gausse. Sur le retour, rue de Richelieu, je claque une bise à Kamel qui nous offre un shot vodka-cerise griotte et je me couche avec le noyau en travers de la gorge.

    Mercredi soir, j'annule la soirée moules chez moi, officiellement parce que j'ai quitté le boulot trop tard, officieusement parce qu'en pénurie de chaussures, je file chercher mon bonheur chez Mi-Prix. Et là, le choc, un véritable drame pour toutes les amoureuses des escarpins, talons et bottes stylées : Mi-Prix a fermé !!! Je piétine, incrédule, devant la boutique vide où j'ai acheté, depuis 20 ans, tant de chaussures et chapeaux. Je n'en suis toujours pas remise.
    Vers 20 heures je rejoins, dans ma tenue de canari des années 50 (je me comprends) et mes escarpins noir miroir, 2 quadras sexys en terrasse du Physalis. Ma mémoire me fait défaut et je me demande si j'ai déjà fait un billet sur le Physalis, que je fréquente depuis des années. Je fouillerai les archives et corrigerai cette injustice, le cas échéant.

    Le lendemain matin, lever 5h30, taxi à 5h45, train à 6h19, arrivée 9h21 dans l'odeur des pins et sous le soleil d'Aix. Le soir, je jette mon ordi et file dans les rues étroites du centre d'Aix, jusqu'à la bruyante place Ramus où j'attend Oh! et sa mère, en terrasse de Hue cocotte ! "Excellent choix, je m'y suis déjà régalé" avait répondu mon ami parisien quand je lui avais communiqué le lieu du rendez-vous. Si à Paris, c'est déjà l'automne, Aix a des parfums de juin. Les filles sont en short dos-nu et la nuit douce. Après une cocotte au cabillaud, un dessert patate douce-chocolat et une incursion dans la tarte aux figues d'Arlette, je m'endors, calée dans mes oreillers, devant Les nuits pourpres.

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    Ce matin, corde à sauter et baskets restent dans mon sac de voyage (le principal, c'est de se laisser des portes ouvertes, non?). Je convaincs mon collègue de petit-déjeuner aux Gourmandises Aixoises, recommandée par ma pétillante taxiwoman de la semaine dernière. Le midi, on y retourne et on commande la même chose : une cuisse de canard lentilles suivie d'une verrine de mousse de coco à la mangue. Trois abeilles (ou guêpes) me tournent autour pendant tout le repas et bouche bée (ça vaut mieux), j'assiste soudain à un remake de "Minuscule", que je regarde souvent avec ma nièce adorée : une abeille se pose sur mon plat et repart en zigzaguant, lestée d'une lentille qu'elle tient entre ses pattes ! Nan mais sérieux, où va-t-on ??? J'aurais voulu filmer la voleuse pour montrer à la petite J. que Minuscule, ça existe en vrai !
    (Bon, vous savez bien que je suis restée une grande gamine ..)

    Ce soir, pas de pot, mon collègue m'avait promis une bière sauf que nous sommes dans deux rames différentes et incommunicantes (est-ce que ça se dit ? tant pis, je tente).
    Je me retrouve à côté d'un papa au regard ravageur, aux biceps bronzés, absolument craquant avec son bébé blond dans les bras. J'ai envie de dire au papa, qui est bien trop jeune pour moi mais que je coincerais bien entre 2 wagons "Arrêtes de me sourire comme ça, je ne suis qu'une pauvre petite chose fragile et y'a ta meuf en face". Elle, orteils vernis de rouge, plongé dans son ordinateur, ne lève pas les yeux de tout le trajet (l'inconsciente !), lui embrasse son fils et le couve amoureusement du regard.
    Le bébé s'appelle Arthur et il lance des cris stridents pour que je le regarde, et je le regarde en souriant bêtement. Je me connais, je suis en train de basculer dans le gagatage aigu, alors je déménage près de la fenêtre et loin de son putain de sex symbol de père. Arthur me scrute tout penaud (comment ça je projette?), genre "Ben, tu me laisses ?" alors je lui fais coucou, et son père me sourit (arrêtes, toi !) et je me revois il y a quelques années, dans mon tailleur vert à boutons dorés, quand du fond de l'avion, je faisais des grimaces aux bébés dans le dos de leurs parents.  

    A la descente du train, après que je me sois sifflé une Grim' toute seule au bar (c'est le weekend, merde !), ils sont tous les 3 là, sur le quai et le papa se tourne vers moi "Vous avez pensé à votre sac ? Il y avait un sac, en haut". J'ai envie de répondre "Tu peux arrêter d'être irrésisitible ?" mais je le remercie, oui, oui, j'ai bien mon ordinateur, me penche sur le bébé endormi et monte dans le tramway où je chante. Mon voisin me regarde, je sais qu'il pense que je ne m'entends pas chanter du Absynthe Minded et que j'aurais grave honte si je savais. Ca me fait rire.

  • L'homme de marbre

    Au départ je ne t'aimais pas, comme tous les hommes que j'ai passionément aimés. Et puis, à la faveur d'une réunion, j'ai découvert un homme réservé mais bien plus sympathique que ne le laissait supposer ton visage fermé.

    J'ai cru sentir que l'intérêt était partagé. Les occasions de communiquer étaient rares mais les regards appuyés. Un soir, tu as proposé de me déposer et sur la route, je t'ai fait rire. Quelque chose chez toi me donne des élans de tendresse mais tu m'impressionnes tellement que tu me paralyses.

    Tu es parti en vacances, moi aussi. Je guettais ton retour pour te lancer "Hey ! Tu es là ! Alors, racontes !"

    Heureusement, j'ai su et je n'ai pas fait ce qui aurait été une gaffe magistrale. Et lorsque tu as surgi au bureau, je n'ai même pas pu te regarder. J'ai fui ton regard pendant plusieurs heures. Je n'aime pas les formules de condoléances, je les trouve tellement creuses. Quand j'ai enfin osé te saluer, d'un pudique mouvement de tête, tu avais l'air tellement malheureux que j'ai eu envie de te prendre dans mes bras.

    Tu ne sais pas que je sais mais voilà, je sais. Ne voulant pas être intrusive, encore moins remuer le couteua dans la plaie, j'avais décidé de faire comme si je ne savais pas mais c'est impossible. Je devrais alors jouer la légèreté et ce serait tellement indécent, presque cruel.

    T'imaginer à quelques rues de moi, peut-être solitaire, toi aussi, et enfermé dans ton malheur,, ça me fend le coeur. Je voudrais t'envoyer un message, te dire "Si tu as besoin d'un sourire, d'une présence, d'un café, je suis là". Tout simplement. Je pense à toi.