Hier j'ai dîné dans mon quartier avec un homme rencontré la semaine dernière. On avait discuté politique et religion et il avait été très courtois et intéressant, plutôt réservé. Hier, quand je l'ai vu tirer nerveusement sur sa clope en m'attendant, j'ai ressenti une soudaine appréhension. Quand il s'est retourné et qu'il a poussé un soupir de soulagement, comme s'il avait frôlé la syncope, j'ai failli rebrousser chemin. J'aurais dû. Toujours écouter ton intuition, ma petite Fiso ! Mais je suis une jeune femme polie et puis, je ne risquais pas grand-chose. Quand au lieu d'un resto tout simple, il m'a proposé un pique-nique sur le pont des Arts, j'ai flairé le plan pseudo-romantique avec vue sur la Seine et roulage de pelles en dessert. Comme il était un peu buté avec son histoire de pique-nique et qu'il n'avait pas l'air de comprendre que ça ne me branchait pas, j'ai fait mon mauvais caractère (comme je sais si bien le faire, n'est ce pas Mère Mi) surtout que le pique-nique consistait en des salades bourrées de conservateurs et baignant dans la mayo de chez Monoprix. J'ai donc fait valoir un sentiment de culpabilité insurmontable à l'idée de trahir Mère Mi qui m'a toujours interdit de bouffer des plats cuisinés en barquette plastique. C'est vrai en plus, j'en mange jamais !
Je me suis donc attablée devant un tagine rue Daguerre. Lui n'avait pas faim, il a pourtant passé le repas à me dévorer du regard avec des yeux de merlan frit. Moi qui suis pourtant pas farouche, je savais plus où me mettre et même le simple geste de suçoter bêtement mes olives vertes me donnait l'impression de tourner un porno.
Il paraît que mes yeux trahissent mes pensées. Le garçon devait être un peu bigleux car il s'est lancé : "Il est en quoi ton collier, ça va super bien avec tes beaux yeux verts". Soupir. "En céramique", je répond sur un ton qui voulait dire "Reste loin du collier". Et ben non, faut qu'y touche mes cabochons ! Après c'est "il est en quelle matière ton tee-shirt, c'est trop mignon avec tes taches de rousseur". "En coton" que je dis en haussant les yeux au ciel. Et ben, je vous le donne en mille, l'a fallu qu'y touche le tee-shirt ! J'ai fait un bond de vierge effarouchée mais ça a pas eu l'air de le refroidir. Ca l'a peut-être même échauffé, maitenant que j'y pense ....
A un moment, un tantinet excédée, je lui demande, des éclairs dans les yeux, pourquoi il me regarde comme ça. Il bafouille. Je lui fais remarquer que c'est gênant. Surtout qu'il ne parle plus, malgré mes efforts pour rechercher des sujets de conversation autres que moi, mes yeux et mes taches de rousseur. J'ai envie de lui demander si on lui a déjà parlé du langage corporel. S'il a franchement l'impression que j'ai une quelconque attirance pour lui. Je me retiens parce que quand je commence, je peux être très désagréable. On sort de table, je paie ma note "si si j'y tiens" et je récupère mon vélo, bien décidée à faire un retour maison dans la foulée. C'est là qu'il tente sa dernière carte. Il est sur son vélo, moi sur le mien, déjà prête à partir et je sens qu'il se rapproche dangereusement. Il pose sa main sur la mienne. Horreur ! Il a osé ! Soit il est pas observateur pour un sou, soit il adore les rebelles. Ben tu vas être servi mon coco ! Je saute de mon vélo comme si j'avais vu une horrible araignée velue - le seul truc qui me fasse vraiment peur - et je lui dis "non mais ho, tu me touches pas comme ça !" . Je me ressaisis, le pauvre je me dis, il tente, c'est normal, il est un peu bourin, c'est pas de sa faute ... il a compris maintenant. Mon cul, oui ! Trente secondes après, il essaie de nouveau de me saisir la main en me disant "allez Fiso, vraiment, viens on va sur le pont des Arts, c'est génial, tu verras". Mais je connais le pont des Arts, qu'est ce qu'il croit, lui ??? Là, franchement, j'ai des pulsions violentes, je lui beugle dessus que je lui ai DEJA dit que j'avais horreur qu'on me touche comme ça et que c'était vraiment un manque de respect. Du coup, je le plante là avec son vélo hollandais et je rentre à la maison retrouver Estebandido et Fred qui sont en pleine séance d'hypnose avec leur jeu vidéo. Ils m'écoutent d'une oreille distraite fulminer contre les bigleux du langage corporel. Je sais pas s'ils ont tout compris, mais ça m'a fait du bien.