J'ouvre les yeux à 9h52. Le soleil baigne ma chambre à travers la lucarne.
Je saute dans mes baskets, cajole Tarkan puis marche jusqu'au bout de larue, d'où l'on contemple le superbe point de vue sur la Sierra Nevada, l'Alhambra et en contrebas, la ville de Grenade.
Mon terrain de jogging est immense mais escarpé. J'abandonne après 15 minutes de course qui me laisseront de cruelles courbatures.
Vers 11 heures, après avoir passé la puerta Cruz de piedra, arcade de pierre indiquée la veille par B., je descends à travers le quartier gitan d'Albayzin, là où Grenade est née. Au détour d'une ruelle, j'entends des voix d'enfants qui scandent quelque chose. "Ils mettent du coeur à l'apprentissage de leurs leçons", me dis-je avant de tomber nez à nez avec un groupe bariolé où je reconnais Spiderman, Maya l'abeille et un gamin casqué qui ressemble à Force Bleue. "Eso es carnaval", c'est ça qu'ils crient joyeusement.
Je tourne à droite dans San Gregorio Alto, débouche sur la placeta Carniceros, tourne à droite dans Agua jusqu'à la Plaza Larga où se tient un marché de vêtements.
B. m'y a recommandé la patisserie Pasteles qui jouxte une très belle maison transformée en glacier. La pâtisserie Pasteles date de 1928, c'est écrit sur sa façade (l'âge de mamie Coco, dis donc!)
J'y entre, m'installe mais ils ne servent pas de churros con chocolate et moi, c'est ça que je veux. Je reviens sur mes pas jusqu'à la placeta Carniceros et m'installe au comptoir. Mmm ! Une bonne tasse de chocolat épais et des churros tout chauds !
Maintenant rassasiée, je redescends vers la Plaza Larga. Dans un renfoncement, un brun chevelu chante - divinement - du reggae, accroché à sa guitare. La mélodie me trottera dans la tête pendant longtemps. Je traverse la place et me dirige vers le nord. Des carreaux de céramique étincelants dans le soleil me font promettre de revenir très vite pour d'autres churros. Sur la plaza Salvador, je lis, au-dessus d'une maison, les vers empreints de nostalgie du poète né là.
Je descends la cuesta del Chapiz que de courageux cyclistes grimpent, jusqu'au rio Darro que je traverse sur le pont du roi Chico. Après m'être engagée pa erreur sur un chemin "qui part dans la cambrousse" (dixit B.), je grimpe la côte ardue de los Chinos. A 13h30, me voilà devant le guichet, à 13h50, j'entre dans l'Alhambra.
Je file d'abord jusqu'au palais Nasride, construit par les successeurs de Mohamed ibn Yousouf ibn Nasr, fondateur de la dynastie nasride, car je dois y être à 14 heures précises.
Je ne vais pa vous décrire le palais, je ferais un simple copié-collé de mon guide touristique. Le flot de touristes m'empêche d'imaginer la vie au temps des émirs, les chuchotements, le silence seulement caressé par le murmure cristallin de quelque fontaine. La Cour des Lions est en réfection et je ne peux accéder à la salle où aurait été perpetré l'assasinat de la famille Abencerraj, après que l'émir eut découvert sa favorite en compagnie de son chef, dans le jardin de la sultane.
Alors que j'admire les plafonds délicatement sculptés de la Sala de Dos Hermanas, un des gardiens m'invite à découvrir celui d'une niche Nous discutons, je le retrouverai plusieurs fois le long de mon parcours. Plus loin, il m'entraîne dans une des salles des bains. du palais de Comares Il a un accent fort, je m'accroche pour le comprendre.
A la sortie des palais, j'engage la conversation avec une gardienne, autour de banalités. Je remonte vers le palais Carlos V et retrouve mon gardien aux cils de faon. "Vas visiter l'Alcazaba et ensuite, tu vas au Generalife".
J'entre dans le palais Carlos V, érigé après la destruction d'une aile du palais Nansride - quel drame - puis dans l"église Santa Maria de la Alhambra, construite sur l'emplacement de l'ancienne mosquée de l'Alhambra.
A l'Alcazaba, la citadelle d'où émergea l'Alhambra, je m'offre une somnolence au soleil, face à la tour où les Espagnols plantèrent les drapeaux de la reconquête chrétienne, et suis prise d'une profonde mélancolie qui ne me quittera plus jusqu'au soir. J'imagine l'émir Boabdil abandonnant sa forteresse aux mains de chrétiens qui renièrent leur parole.
Je parcours rapidement les jardins désséchés du Generalife, qui doivent être bien plus beaux au printemps et prends le bus n°30 qui descend en ville. Là, dans un salon de thé glacial, je trouve le sourire lumineux de ma filleule et aussi celui de Wildcat, mon amie italienne. Leur chaleur adoucit un peu ma tristesse.
Vers 21h, mon téléphone sonne, B. me donne rendez-vous sous 20 minutes, dans un bar, la Corrala del Carbon. Nous y buvons un peu de vin puis il m'entraîne dans un bar, où nous partageons une assiette de poissons frits en nous remémorant les circonstances qui nous ont amenés jusque là (merci WajDi).
De retour à la maison, nous discutons encore devant une infusion. Je lui dis ma tristesse entre les murs de la Alhambra. Il n'est pas surpris. "Pour beaucoup d'arabes, la Alhambra, c'est le paradis perdu". La reddition de Boabdil a sonné le glas de l'apogée arabo-musulmane et le débur de sa décadence. Une légende dit même que les souverains musulmans ont voulu contruire, avec la Alhambra, le paradis sur terre et que Dieu, pour empêcher ce blasphème, aurait donné la ville aux chrétiens.
Je montre les photos prises et évoque les vers de Carrasco. "Grenade est une ville de poètes" confirme B.
Nous parlons aussi de ce que sont les origines, de ces parcours uniques, ces parfums de l'enfance qui font qu"on se sent d'ailleurs. B. est provencal, a grandi dans un univers fortement imprégné des influences tunisiennes et s'est installé ici il y a 20 ans. "Je n'arrive pas à dire que la France est mon pays" conclut-il avant que nous n'allions nous coucher.
Corrala del Carbon, calle Maria Pineda 8 (958223810)