Hier soir, j’ai laissé mon vélo au boulot, il tombait des cordes et surtout il faisait un vent à décorner un cocu. J’aime bien le sport mais me taper des côtes avec le vent de face, y’a des limites… Une gentille collègue m’a déposée porte d’Orléans et je me suis hâtée jusqu’au cinéma où la douce Fauvette m’attendait. La semaine dernière, je lui avais proposé de découvrir ensemble le dernier film de Sean Penn, adaptée du livre de John Krakauer et racontant l’histoire vraie de Chris Mc Candless, un étudiant de 23 ans, promis à une brillante carrière, qui décide de tout quitter et de partir vivre en ermite en Alaska.
Je tenais absolument à voir ce film. D’abord parce que j’ai beaucoup d’estime pour Sean Penn, immense acteur et homme engagé, notamment contre l’invasion de l’Irak par les troupes américaines, à une époque où l’opinion américaine y était massivement favorable. Ensuite, parce que l’histoire de Chris Mac Candless, qui abandonne une vie confortable mais dépourvue de sens pour se retrouver seul au milieu de la nature, est au cœur de mes interrogations actuelles. Il fait sienne une phrase de son auteur préféré, Henry David Thoreau : "Plutôt que l'amour, plutôt que l'argent, plutôt que la célébrité, donnez-moi la vérité". Chris envoie ses économies à Oxfam, détruit argent, papiers d’identité et carte bleue et prend la route.
Se mettre en danger pour se sentir vivant, se réaliser en surmontant des obstacles, éprouver les limites de son corps, reprendre contact avec notre animalité, celle qui nous rend humble et nous permet de vivre en harmonie avec la nature et les autres êtres vivants, à une époque où on ne cherche que facilité, confort et douceur, voilà ce qui me fait rêver alors que je vous écris, perdue dans l’immensité surchauffée d’une structure de verre, métal et béton.
Hier soir, assise dans mon fauteuil, j’ai ressenti l’ivresse de la liberté et du possible en suivant le périple de Chris, parti de Virginie, à travers les champs de blé du Dakota, sa folie invincible quand il dévale les flots tumultueux du Colorado en canoë. Les paysages sont magnifiques et écrasants de puissance, les animaux que croise Chris, devenu lui-même un animal luttant contre le froid et la faim, sont à la fois fragiles et inquiétants. Dans sa quête de lui-même, Chris rencontre des personnes abîmées, merveilleuses, bouleversées par sa détermination. Il les pousse à se surpasser, à ouvrir les yeux sur la beauté du monde et à trouver en eux un nouvel espoir.
On pourrait voir dans cette aventure tragique le caprice d’un enfant gâté vomissant le monde bourgeois qui l’a nourri. On peut aussi reconnaître qu’il questionne en nous les sources principales du mal-être occidental : le matérialisme et l’ennui.
Lorsque Chris a rendu son dernier souffle, seul dans sa camionnette, les yeux ouverts sur le ciel bleu, en pensant à ses parents « Si je courais vers vous maintenant, en souriant, verriez-vous ce que je vois ?», je n’ai pas ressenti de tristesse. Il est allé jusqu’au bout de son idéal, il a vécu en quelques mois plus de sensations, donne plus d’amour et admiré plus de merveilles que bien des hommes en une vie. Sa mort est absurde, mais pas plus que la vie.
Franchement, ça ne vous arrive pas, à vous, de vous demander si ce que vous accomplissez dans une journée a véritablement un sens ? Vous n’avez pas envie, parfois, de redevenir l’enfant que vous avez été, de retrouver ce sentiment d’invincibilité, d’avancer dans le monde sans peur ?
Moi parfois, j’ai envie de m’élancer au milieu du hall d’accueil de ma boîte et de faire le poirier, juste pour rire. De balancer mon badge d’accès à la tronche de mon big boss et de claquer la porte de la salle de réunion en criant « vous me faîtes chier, gros naze, je me casse ».De dévaler une colline en faisant des roulades, sans avoir peur de me salir ou de me faire des bleus.
Et vous, de quoi vous rêvez ?