Il n'y a pas de crise du leadership. Il n'y a que des leaders en crise.
Pourquoi ai-je sorti de mes étagères ce livre prêté il y a plusieurs années par mon ami JM et que je n'avais jamais lu ? Sans doute parce qu'aujourd'hui, après 4 années dans une PME détenue par un financier, évidemment principal actionnaire, je suis à même de comprendre le sens du discours de son auteur, Rémi Tremblay, alors PDG de la filiale canadienne d'Adecco.
4ème de couverture :
Les patrons sont les nouveaux fous du roi. Leur souverain ? L'actionnaire, cet être inconscient et cupide qui exige que ses actions montent en flèche. Pour le satisfaire, les fous licencient, fusionnent, rationalisent, centralisent et décentralisent (...)
Dans les fous du roi, Rémi Tremblay lance un cri du coeur. Ses cibles : la tyrannie de l'actionnaire, le manque d'éthique, les patrons qui se servent au lieu de servir. Son rêve : éveiller les consciences, rétablir la confiance, rapprocher les leaders de leurs valeurs profondes.
Réflexion sur le pouvoir, cet ouvrage troublant place le lecteur face à ses propres comportements. Après tout, nous sommes tous les fous d'un roi. Que seriez-vous prêts à faire pour un bon mot de votre patron, de vos parents, de votre professeur ? Lire ce livre, c'est prendre un risque, celui d'affronter ses peurs pour tenter de s'en libérer.
Imaginez le carnage quand votre patron est en plus actionnaire ... En écoutant mon nouveau PDG cette semaine, la raison évidente de la mort annoncée de mon ex-société (que je sens venir depuis janvier 2012 très exactement) m'est apparue comme une évidence : comment une société dont le coeur de métier est l'humain (gestion des RH) peut-elle être détenue par un financier dont la seule préoccupation est de faire de l'argent ? Comment ses salariés, majoritairement animés par le sens du service client, peuvent-ils s'épanouir et être heureux dans un tel climat, où leurs préoccupations sont à l'opposé de celles de leur PDG ?
J'ai relévé, dans le livre de Rémi Tremblay, quelques passages qui ont fait cruellement écho :
"C'est fou ce qu'on tolère. Les jeux de pouvoir, notamment. On commence par les tolérer, puis on finit par y participer. Parce qu'on veut se protéger. Chose certaine, l'effritement de la confiance s'opère graduellement, insensiblement. Je l'ai observé dans mon organisation. J'ai vu les employés se protéger toujours davantage les uns des autres. Pour moi, le plus bel exemple de méfiance, ce sont les copies conformes, que je déteste souverainement (...) Pourquoi me mêler à cela ? La réponse est simple : parce que celui qui envoie le courriel n'a pas confiance en celui à qui il l'adresse. ET parce qu'il veut lui faire peur en m'informant de leur échange."
Dans mon ex-société, ma boss refusait que nous la mettions en copie de nos échanges avec d'autres services. Certains d'entre nous insistions, voulant l'obliger à jouer son rôle : être au courant de ce qu'on nous demandait de faire, à nous ses collaborateurs. Et surtout intervenir lorsque la teneur ou le ton des échanges était inappropriés et/ou irrespectueux. Ce n'était même pas une question de confiance; c'était, en ce qui me concerne, un refus de recevoir des ordres d'autres qu'elle, et surtout de cette façon-là. Quand j'étais manager, je n'ai jamais accepté que qui que ce soit d'autre que mes responsables donne des consignes à mes collaborateurs. Et de la même façon, je respecte ma hiérarchie et je ne double pas par la droite (référence au billet à venir).
" A l'été 99, j'étais en détresse. Cette détresse n'a pas débuté du jour au lendemain. Elle s'est installée petit à petit. J'ai commencé par ressentir de moins en moins de plaisir. Un conquérant, d'ailleurs, ne connaît que le plaisir, jamais le bonheur. Le plaisir, c'est physique, c'est instinctif. Tromper sa femme procure du plaisir, pas du bonheur. Obtenir une promotion en écrabouillant un collègue procure du plaisir, pas du bonheur. Atteindre des objectifs financiers en licenciant des employés procure du plaisir, pas du bonheur."
Je suis certaine que mes copains adultères ou repentis pourraient témoigner de la misère morale et affective dans laquelle ils se trouvent ou se sont trouvés. En écrabouillant un collègue ou en tentant de le faire, on n'est même pas garantis d'obtenir la promotion recherchée. En revanche, je sais ce qu'on y perd : le respect des autres, ceux qui n'ont pas de pouvoir mais des valeurs et de la lucidité. Quand aux licenciements pour obtenir des résultats financiers, mes ex-collègues sont hélas en plein dedans : 6 licenciements annoncés il y a 15 jours, dont 1 qui est un pur règlement de compte, et l'annonce récente d'une baisse des salaires décidée de façon unilatérale et à durée illimitée. Les salariés paient les erreurs de gestion et de stratégie de leur dirigeants. En revanche, la femme du PDG, elle, emploi fictif notoire et un des meilleurs salaires de la boîte, fait toujours partie des effectifs ... Et j'entend des gens essayer de me convaincre que c'est normal. On marche sur la tête.
" Une amie m'a raconté que dans son entreprise, la DRH conseille aux gestionnaires de congédier un employé en cinq minutes, le vendredi à 17h. On appelle ça "terminer un employé". Quelle expression épouvantable !
Pensez un peu à la douleur de ces personnes à qui on cache les véritables raisons de leur départ, ou encore à qui on ne dit rien. A qui on montre simplement la porte, par manque de courage."
J'ai vécu ça, en live, dans le groupe de grande distribution dans lequel j'ai travailé pendant 6 ans. J'ai vu, outre des assistantes en larmes et des patrons qui se mettaient la loi Evin au cul et fumaient sous le nez de ces mêmes assistantes, parfois enceintes, des responsables de service hagards et incrédules, escortés par la sécurité jusqu'à leur voiture. L'un d'entre eux, avec lequel je m'étais liée d'amitié, a fini en dépression nerveuse après s'être fait chasser de cette façon et n'a plus répondu à mes mails.
Pour aller plus loin :
Des interviews de Rémi Tremblay dans les magazines Le Manager Urbain, En Quête