Ce midi, en soupirant, je pensais « Faudrait que je me calme là ». Et puis, je me suis posé la question : « Ai-je envie de me calmer ? ». La réponse est non.
J’ai envie d’aller au conflit et de lui dire qu’il commence sérieusement à me gonfler. C'est la saison.
Je sais qu’il le faut, d'ailleurs, parce que maintenant, dès qu’il débarque dans mon bureau ou que je vois son nom apparaître sur mon téléphone, je me raidis, je serre les dents et que mon agacement est de plus en plus perceptible, quand je ne le fusille pas du regard.
Ca fait un moment que ça monte. Je l’aimais bien pourtant, quand il est arrivé. Et de fait, il est plutôt sympa. Il me faisait sourire, en réunion, dans son jean ajusté, ses santiags et sa chemise ouverte sur chaînes en or qui brillent, à la Pacino. Il ne lui manquait pas grand-chose pour être élégant, à côté de mon big boss, bien plus jeune mais bourré de tics, et tout raide dans son costard à rayures.
Sa première grave erreur, ça a été d’essayer de se la jouer paternaliste avec moi. Je n’aime pas ça en général, je ne l’accepte pas du tout dans le travail, et encore moins d’un homme qui est mon boss et pourrait presque être mon père. Il m’a dit un truc un jour, et là, je me suis promis « toi mon coco, je vais te la faire ravaler, celle-là ».
Une de ses vérités préférées, c’est « dans une meute, il y a toujours un dominant ». Sous-entendu, lui, bien sûr. La première fois qu’il nous l’a servie à table, j’ai grincé des dents. Meute, dominant, s’il se considère comme un animal, moi non.
La rupture est venue le jour où il a fait un méga coup de vice à un de mes jeunes collaborateurs. Mon collab’ est venu me voir, paniqué. Il se voyait déjà viré. Comme je suis très rancunière, j’ai résolu le problème à ma façon.
Ensuite, j’ai commencé à boycotter les déjeuners parce qu’il avait choisi comme bouffon du roi un collègue que j’aime beaucoup mais qui n’a pas de répondant. L’entendre, lui, charrier un mec dévoué et compétent sur le ton du « T’es un peu con, mon garçon » parce qu’il est calme et plutôt rêveur, et voir les autres glousser comme des groupies dès que le chef balançait une vanne, ça me faisait pas rire et je me retenais même difficilement de les envoyer chier à sa place. Y’a des moments où je me fais vraiment violence.
Et là, depuis quelques semaines, je ne fais même plus semblant. J’en ai marre de sa mauvaise foi, de ses ronds de jambe, que ce soit toujours nous qui avons mal compris et jamais lui qui s’est planté. Il a des méthodes de dressage à la militaire que je ne supporte pas.
Donc ça va péter. De toute façon, j’ai décidé de refuser la mascarade de l’entretien d’évaluation annuelle cette année. Je ne suis plus à ça près …