Il a eu 5 ans en juin.
Je ne l’ai même pas vu faire ses premiers pas, mon fils.
15 bougies, déjà, qu'il a soufflées sans moi. Tout ce qu’il me reste de lui, c’est une photo dans un cadre qui trône sur le meuble de mon salon, sa blondeur, son sourire qui me déchire le cœur à chaque fois que je le regarde. Et une paire de chaussons, oubliée. C’était encore un bébé quand elle est partie.
Quel con j’ai été ! Je n’ai pas vu les signes avant-coureurs de la catastrophe, le chèque de sa part du loyer qu’elle n’avait pas fait, le dernier mois, les cartons qui s’entassaient petit à petit dans l’appartement. Elle avait prétexté des affaires à renvoyer chez son frère, comment aurais-je pu imaginer qu’elle préparait son départ ? Ce n’est que le soir où un couple d’amis est venu dîner et s’est étonné : « Vous déménagez ou quoi ? » que j’ai compris. Trop tard.
Un soir je suis rentré du travail, l’appartement était silencieux et vide. Disparus, le berceau, la poussette, le lit de sa fille, les vêtements. Je n’y croyais pas. J’ai appelé, elle était chez une amie, j’ai pensé qu’elle avait besoin de réfléchir et qu’elle allait revenir. Mais elle a sifflé entre ses dents « Tu ne reverras jamais ton fils, je te préviens. Si tu tentes quoi que ce soit pour le voir, je dirai que tu bosses au noir, je dirai même que tu me frappais ! » J’ai pleuré, j’étais abasourdi, anéanti, j’ai demandé « mais pourquoi ? », elle a raccroché.
Les semaines suivantes, j’ai vécu comme un zombie. Je passais mes soirées à regarder les photos de ce bonheur perdu, n'y croyant pas encore, et mes nuits à pleurer, recroquevillé sur moi-même. J'ai cru crever de ne plus sentir leur odeur, la douceur de la peau de mon fils, celle de ses cheveux à elle sous mes doigts. J’avais froid en plein été, le silence me rendait fou. Et la journée, j'affrontais la suspicion des autres, les questions auxquelles je n’avais aucune réponse, les accusations silencieuses « Quand même, si elle est partie, y’a une raison, non ? » Moi aussi, je me disais que c'était de ma faute, j'étais un mauvais père alors je n’ai plus vu personne, j’ai pensé me foutre en l’air, j’avais tout raté, un boulot de merde, 2 histoires d’amour, 2 enfants, 2 échecs.
Avec Alice, ça avait été un coup de foudre, un vrai. J’étais en vacances et l’avais rencontrée dans un parc. Elle était assise sur un banc, discutant avec une amie, et me jetait des coups d’œil appuyés. J’avais pris mon courage à deux mains, les avait abordées, elle m’avait tout de suite demandé si j’étais marié, on ne s’était plus quittés. Un mois plus tard, elle emménageait chez moi avec sa fille.
Au début, elle ne travaillait pas mais avec mon petit salaire, je ne pouvais pas assumer le loyer et subvenir aux besoins de mon premier fils, sa fille, et nous deux. Alors, je l’avais fait embaucher dans la boîte où je travaillais.
Elle était si menue, une vraie poupée, toute fragile. Elle en avait bavé dans la vie, ne parlait plus à sa mère ni à son père. Transplantée, elle avait failli y passer à son premier accouchement. Elle voulait tout, très vite : se marier, acheter une maison, faire des enfants. Elle disait qu’elle avait peur de mourir. Moi, j’avais tellement souffert de ma première séparation que j’étais plus prudent et puis, une grossesse était risquée, je ne m’en serais jamais remis s’il lui était arrivé quelque chose.
J'avais tellement souffert de devoir me battre pour la garde de mon premier fils, je me souvenais le bureau de la juge et elles deux qui semblaient liguées contre moi, j’avais eu l’impression de passer en jugement, c’est le cas de le dire. C’est dingue, des gens qui ne connaissent rien à ta vie et décident de t’autoriser à voir le fruit de tes entrailles 1 week-end sur 2, du samedi 13 heures au dimanche 20 heures. Et mon ex qui déposait une main courante dès que j’avais 5 minutes de retard !
Mais je l’aimais tellement, Alice. Je lui avais tout raconté, la violence de mon ex, la seule fille avec laquelle j’en étais venu aux mains, elle piquait régulièrement des crises d’hystérie, m’insultait, me sautait dessus. Un soir, excédé, je lui avait collé une paire de baffes, pour la calmer. Bien sûr, elle avait déposé une main courante, j’avais eu beau expliquer qu’elle m’avait frappé, non, monsieur, vous devez garder votre sang-froid. J’étais resté pour mon fils, je me suis dit « T’as fait un gamin, tu assumes, mon vieux » et puis, je ne voulais pas faire comme mon père.
Je ne l’avais pas connu, il avait abandonné ma mère alors qu’elle était enceinte de moi, juste un mot sous la porte. Mais au bout de 6 ans, j’en avais eu marre des scènes devant le petit, il pleurait de plus en plus souvent, j’avais cessé de l’aimer, commencé à la tromper, elle aussi d’ailleurs, et je l’avais quittée.
Ma mère avait accueilli la nouvelle de ma séparation d’un « Tu ne vas pas faire comme ton père, quand même ? », j’avais serré les dents, m’étais juré que la prochaine fois serait la bonne.
Je n'avais rien caché à Alice mais après, en y repensant, j'aurais peut-être dû. Elle avait eu une drôle de réaction, m’avait dit « Si tu l’as trompée, elle, ça veut dire que tu me tromperas aussi ».
Elle était très possessive, jalouse, soupçonneuse, avait sans cesse besoin que je la rassure. Elle me reprochait de ne pas vouloir m’engager avec elle, de ne pas lui donner de preuves d’amour. J’ai tenu trois ans, arguant qu’on avait le temps, et que c’était risqué pour elle, puis j'ai cédé et lui ai offert la plus belle des déclarations : un enfant.
C’était dur, je bossais comme un dingue, trois boulots à la fois, je ne sortais plus, j’étais claqué, mais le soir, lorsqu’elle se réfugiait entre mes bras et posait sa tête contre mon torse, lorsque je caressais son corps gracile d’adolescente, j’étais le plus heureux des hommes.
Et puis ce soir terrible où ma vie s’est écroulée, comme un château de cartes.
Nous devions partir en vacances ensemble deux mois plus tard, j’avais insisté, viens, on va tout reprendre à zéro, mais elle avait refusé, il y avait de la haine dans sa voix, j’étais parti seul, ce furent les pires vacances de ma vie, partout des familles, des enfants insouciants, de l’amour, de la joie. Derrière mes lunettes de soleil, sur la plage, je pleurais en regardant les enfants faire des châteux de sable.
Un soir, j’avais croisé un ancien copain de l’école, il faisait du sport à côté de chez moi, je m’étais inscrit avec lui, et le sport m’avait sorti du gouffre dans lequel je m’enfonçais. Je rencontrais de nouvelles têtes, commençait à peine à me faire à l’idée que je l’avais perdue pour de bon. A Noël, j’avais acheté des cadeaux pour les enfants et laissé un message sur son répondeur « J’ai acheté des cadeaux pour le petit, tu peux venir les chercher si tu veux ». Silence.
Et puis, 3 semaines plus tard, elle est en larmes au bout du fil, veut qu’on recommence, qu’on quitte Paris. Dans quel état j’étais ce soir-là ! Cette voix que j’avais tant espérée entendre, elle prononçait de nouveau mon prénom, disait « nous ». J’avais tellement souffert, j’étais à la fois fou de joie et de peur, j’avais quand même trouvé la force de dire « Ok, je veux bien qu’on se revoie mais je veux des réponses à mes questions ». Elle s’était braquée, m’avait répondu « Je vois bien que ça sert à rien » et m’avait raccroché au nez, de nouveau. Et je n’avais plus jamais eu de nouvelles.
Rares sont les personnes qui comprennent pourquoi je ne me bats pas pour ce fils qui est mien. Je ne veux pas me retrouver sur le banc des accusés, de nouveau. Je ne le supporterai pas. Et puis, ce gamin, je ne suis rien pour lui. J’ai tout raté, ses premiers pas, ses premiers mots, je ne l’ai pas vu grandir. Il paraît qu’elle me fait passer pour mort. Et je débarquerais, du jour au lendemain, en lui demandant de m'appeler Papa ?
Alors j’attends. Qu’il grandisse, qu’il essaie un jour, peut-être, de me retrouver. En espérant qu’il ne fasse pas comme moi qui n’ai jamais cherché la trace de mon propre père, acceptant la version de ma mère comme étant la vérité.
Il y a 3 ans, j’ai rencontré une fille. On était bien ensemble mais elle voulait un enfant, bien sûr. Elle avait prévenu "Si tu ne changes pas d'avis, je te quitterai", et elle est partie. Qu’on ne me parle plus d’enfant. A chaque fois, leur arrivée a signé la fin de mes histoires d'amour.
Putain, si j’avais su, à 25 ans, que j’aurais cette vie-là, qu'à 35 ans je serais seul, et père de deux garçons que je ne vois pas, ou à peine ! Et dire qu’ado, j’ai critiqué ma mère qui avait eu 3 enfants de 3 hommes différents ! Je ne méritais pas ça. Je n’aspirais qu’à la stabilité, j'étais un homme loyal, bosseur. J’aurais tellement voulu être comme ma sœur. Elle a toujours été mon modèle, a tout réussi, ses études, sa vie amoureuse. Ca fait 15 ans qu'elle est avec son mec. Moi, j’ai tout foiré, les études, et ma vie.
Alors aujourd’hui, quand on me demande si j’ai des enfants, je répond « Oui, un fils ». Personne ne remarque, à l'instant où je prononce ces mots, que mes yeux se mouillent.
Le petit ange blond sur la commode, c’est une épine que personne ne voit, plantée si profond dans ma chair qu’elle me fait saigner à chaque pas.
(jé réitère l'expérience déjà tentée là)