Le temps est humide, une sorte de bruine flotte dans l’air mais dans mes oreilles, Micky Green chante « Oh » et me donne envie de me rouler dans les herbes hautes.
Devant l’arrêt, trois bus se suivent. Les gens entassés dedans, la buée sur les vitres me dissuadent d’y monter, je marche précautionneusement sur mes talons jusqu’au tramway en prenant garde de ne pas glisser sur le sol mouillé.
Les yeux fixés au sol, guettant les dangers qui pourraient me faire trébucher, je remarque les nombreuses tâches grisâtres, restes de chewing-gum dissous sur le trottoir. Un troupeau de ruminants, c’est bien ça.
En attendant que mon feu passe au vert, je me dis que j’aimerais bien qu’un homme m’invite à boire un café, juste pour le plaisir de faire le bureau buissonier. M’asseoir à une terrasse, regarder les gens se presser vers le futile, parler de tout et de rien, répondre que je m’appelle Charlotte, je suis sûre qu’il me croirait, et lui souhaiter une bonne journée. Dans moins d’un mois, je vais m’en faire de ces matinées paresse, ici, là et ailleurs, par exemple avec elle, ma jolie luciole, qui marchait avec moi hier soir dans les rues et déversait ses éclats de rire enchanteurs dans mon oreille, ‘round about midnight.
Bizarrement, mes congénères ne font pas trop la gueule aujourd’hui. J’en croise même un, rondouillard dans son costume cravate d’une banalité à pleurer – costard gris, chemise bleue – qui se marre tout seul et ça me fait rire.
Dans le tramway, au milieu des visages moroses, un type, yeux fermés, lunettes fines et cheveux longs blonds noués en queue de cheval basse, remue la tête, s’appuyant d’une jambe sur l’autre. Tout son corps danse, il semble déconnecté. J’aime bien danser sur place, moi aussi. Je jurerais qu’il écoute du hard-rock. Une femme considère avec curiosité ma "trompette" argentée, accrochée à la bandoulière de mon sac. Le soir, d'ailleurs, je la rangerai à regret dans ce même sac, sur les conseils d'une collègue qui trouve que "sans le vélo qui va avec, on dirait une folle".
Sur les maréchaux, des feuilles mortes jonchent les pistes cyclables, un homme en short moulant court, bras nus. J’ai jamais compris comment on pouvait prendre du plaisir à faire un footing sur les maréchaux aux heures de pointe.
Entassés dans le bus, attendant le départ, je rêve en fixant une flaque dans laquelle le vert du néon de la pharmacie clignote, on dirait un arbre de Noël. J’essaie de bouger, de récupérer mon périmètre de sécurité, je marche sur la basket de mon voisin à droite et mon sac de sport à gauche empêche tout mouvement.
Vers midi, je file sur mon vélo et sous un superbe soleil, je longe les quais.
Le Batofar, quai de la Gare, la maison RATP, le pont Charles de Gaulle, l’horloge de la gare de Lyon, un restaurant mexicain, le sourire de deux amis, je suis bien, je les aime.