Lu chez Zamomi :
"Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît car tu ne pourras pas t'égarer"
Rabbi Nahman de Braslav (1772-1811)
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Lu chez Zamomi :
"Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît car tu ne pourras pas t'égarer"
Rabbi Nahman de Braslav (1772-1811)
J'ai le nez sur mon écran. Ma quinqua m'interpelle : "Vous avez vu le beau blond derrière ?". Je tourne la tête à droite, pas de beau blond mais un black en costume dans la rue intérieure. "Ou ça?" "Non, il est pas blond ...mais il est pas mal" Je regarde mieux. Grand, élancé, très classe avec ses lunettes branchées sur le nez. L'espace d'une seconde, je crois voir un autre homme. Mais celui de mes souvenirs, s'il était au moins aussi beau, était plus massif.
J'appelle l'accueil :"C'est qui le beau black qui est dans la rue intérieure ?" Elle éclate de rire, en même temps que mes collègues. "Je ne sais pas ..." "Il vient vers toi?" "Non, il se dirige vers J." "OK, bon s'il est perdu, je peux l'accompagner dans les étages ..."
Quelques instants plus tard, mon autre quinqua m'appelle et me charrie. Confirme que le garçon était pas mal. Elle est pas très friande d'exotisme, ma quinqua. Le beau garçon a un prénom slave et travaille pour une boîte d'informatique. Tant qu'on y est, elle me donne aussi son nom et sa date de naissance. Un sagittaire ... La journée commence bien.
J'avais emmené mes baskets, espérant, malgré la chaleur, profiter de cette semaine de vacances pour courir régulièrement. Le lendemain de mon arrivée, lorsque je lui demandai où je pouvais courir, S. m'indiqua un parcours "à travers l'urbanisation", ce qui me fit un peu peur, mais en fait, les rues du quartier du Pinar, ancienne pinède, sont désertes.
Quel plaisir de courir à la fraîche, aux dernières lueurs du jour, sur les hauteurs de Torremolinos ! Après une série d'abdos et d'étirements, bouteille d'eau dans le sac en bandoulière et le beat dynamique de K-OS dans les oreilles, je tire sur moi la lourde porte de fer. Premières enjambées dans la descente qui longe la villa Nirvana puis je tourne à droite, faisant détaler un chat noir famélique et borgne, de surcroît.
Je cours sur le bitume, entre les rangées de villas luxueuses aux tons de terre, ocres et orangés, d'où pendent des grappes de pimpants bougainvillés et de chèvrefeuille odorant et frangipaniers odorants.
Peu de passants, pas de circulation ni de bruit hormis les aboiements furieux que je déclenche à chaque passage. Je m'engage, légère, dans une rue plate, dépasse le sauna Las Estrellas (qui n'est pas un sauna). Le lendemain de mon arrivée, je dis à S. : C'est cool, t'as un sauna à côté de chez toi. Il sourit : C'est pas un sauna, en tout cas, pas un sauna pour toi. Moi : Ah ? C'est un sauna gay ? Non, c'est un bordel, répond-il.
Je tourne à droite et attaque ma première côte jusqu'au chantier de résidences où une pancarte indique "Panorama del Pinar". Je longe les constructions désertes et suit la courbe qui se fait encore plus raide. La, je sens les muscles antérieurs de mes cuisses se contracter sous l'effort et dès le deuxième tour, de grosses gouttes de sueur dégoulinent le long de mes tempes, dans ma nuque et sur mon buste.
Mais voici, à droite, la calle Cueva del gato qui me permet de détendre mes muscles. Margo s'étale en lettres de fer forgé sur la facade blanche. Je vire à droite, encore une petite montée, puis j'arrive dans la calle Montana où juste après la villa Panorama, la bien nommée, la villa Rincon laisse à peine entrevoir derrière sa facade rose, de jolis escaliers arabo-andalous.
Encore une courbe à gauche, je passe devant la villa Neptuno, aux couleurs des Cyclades, puis les dernières maisons de "l'urbanisation" avant de bifurquer à droite dans un chemin de terre caillouteux, entre les oliviers. Là, mon corps se fait plus lourd et je laisse son poids me porter dans la descente, bras relâchés, épaules détendues, en prenant garde de ne pas déraper sur les cailloux.
"I'm free", chante K OS, et c'est bien ce que je ressens, un sentiment de plénitude et de liberté exacerbés par l'ivresse de l'effort et du plaisir qu'il procure. A ma gauche en contrebas, l'autoroute embouteillée déroule sa guirlande de feux rouges. Rouge aussi, le ciel carmin du soir tombant sur la Sierra Nevada. Je surplombe toute la ville de Torremolinos, ses grues, ses immeubles et droit devant moi, dans une cuvette, le bleu de la mer, frangée des lumières scintillantes de Malaga.
Brroussailles, palmiers et cactus gigantesques, grillées par le soleil, laissent passer une brise vivifiante qui rafraîchit le débardeur collé a mon corps. J'admire, émerveillée et grisée, la végétation luxuriante. Si loin et si proche de l'humanité. Le bonheur doit ressembler à ce que je ressens à cet instant-là.
Le terrain redevient plat, je traverse quelques ronces puis plutôt que de suivre le chemin de terre, tourne à droite et monte 4 à 4 des marches sommaires qui me propulsent devant la maison de S. Là, je m'arrête quelques instants, boit 2 ou 3 gorgées d'eau fraiche, en asperge mes bras puis repart pour un nouveau tour.
L'alchimiste prit en main un livre qu'avait apporté quelqu'un de la caravane. Le volume n'avait pas de couverture, mais il put cependant identifier L'auteur : Oscar Wilde. En feulletant les pages, il tomba sur une histoire qui parlait de Narcisse.
L'alchimiste connaissait la légende de Narcisse, ce beau jeune homme qui allait tous les jours contempler sa propre beauté dans l'eau d'un lac. Il était si faciné par son image qu'un jour il tomba dans le lac et s'y noya. À l'endroit où il était tombé, naquit une fleur qui fut appelée narcisse.
Mais ce n'était pas de cette manière qu' Oscar Wilde terminait l'histoire.
Il disait qu'à la mort de Narcisse, les Oréades, divinités des bois, étaient venues au bord de ce lac d'eau douce et l'avaient trouvé transformé en urne de larmes amères.
« Pourquoi pleures-tu? demandèrent les Oréades.
-Je pleure pour Narcisse, répondit le lac.
-Voilà qui ne nous étonne guère, dirent-elles alors. Nous avions beau être toutes constamment à sa poursuite dans les bois, tu étais le seul à pouvoir contempler de près sa beauté.
-Narcisse était donc beau? demanda le lac.
-Qui, mieux que toi, pouvait le savoir? répliquèrent les Oréades, surprises. C'était bien sur tes rives, tout de même, qu'il se penchait chaque jour! »
Le lac resta un moment sans rien dire. Puis :
« Je pleure pour Narcisse, mais je ne m'étais jamais aperçu qu'il était beau. Je pleure pour Narcisse parce que, chaque fois qu'il se penchait sur mes rives, je pouvais voir, au fond de ses yeux, le reflet de ma propre beauté. »
[Prologue de L"alchimiste de Paulho Coelho]