C'est une brasserie parisienne, à l'heure du déjeuner. La journée est froide mais le soleil radieux.
Des couples, des enfants, du bruit, celui des conversations, des couverts qui s'entrechoquent, de la machine à café qui brassent des espressos crémeux (espressis mais ça sonne bizarre, non ?). Sur une table minuscule cerclée de fer, une jeune femme lit le Parisien.
Une bonne demi-heure plus tard, elle est rejointe par une brune aux cheveux auburn, bouclés. Celle-ci porte un manteau couleur crème et des gants assortis à son écharpe mauve. Elles s'embrassent et se racontent leur semaine. Au fur et à mesure que les banalités font place aux confidences, elles baissent le ton. A une table voisine, une autre jeune femme a déplié le journal délaissé. Elle ne peut s'empêcher de tendre l'oreille, intriguée par les chuchotements et les éclats de rire.
"Hier soir, j'ai regardé "Sex & the city"
"J'adore la blonde, Samantha, elle me fait mourir de rire"
"Moi aussi"
"Tu sais ce que j'ai répondu cette année quand on m'a demandé ce qu'on pouvait me souhaiter pour 2009 ? Un appartement plus grand ? Une augmentation ? Non. J'ai répondu « Un bon coup de bite, ça me ferait du bien".
Sa copine éclate de rire. Elles rient un long moment et s'essuient même les yeux.
La brune continue :
"Cette année, faut que ça bouge. J'ai 30 balais, bordel ! Il faut que ce soit moi qui provoque les choses, sinon ma vie va stagner. Les hommes me matent mais pas plus que ça. Je dois dégager un truc qui empêche les hommes de m'aborder. Je dois leur mettre des vents involontairement".
Sa copine acquiesce. "Faut faire comme la blonde de Sex & the City. Y aller franco. Arrêter de jouer les mijaurées. De quoi tu as peur en fait?"
"Je crois que j'ai peur de me prendre un râteau."
Elle parle de ce type qu'elle croisait dans le bus, régulièrement. Ils se regardaient par dessus leur bouquin. Un soir, il est descendu à la même station de bus qu'elle. Il l'a doublée, s'est arrêté à un distributeur en regardant derrière lui. Elle a senti qu'il l'attendait mais en passant à côté de lui, elle a regardé dans la direction opposée et continué son chemin, espérant qu’il la suive et l’aborde. Elle l'a guetté les jours suivants mais ne l'a jamais revu.
Le ton de son amie se fait plus sérieux, et même affirmé :
"Et alors ? Même si tu prends un râteau, est-ce que tu vas en mourir ? C'est le quotidien des hommes, de se prendre des râteaux. Ils y sont résignés depuis leur enfance, est-ce que ça les empêche de continuer à essayer ? Et nous, on est là à minauder "Heu, peut-être, je vais réfléchir ».
Mets-toi à leur place. Les mecs en ont marre de toujours devoir faire le premier pas face à des mijaurées qui regardent ailleurs genre « je t'ai pas vu » alors que ça fait un quart d'heure qu'elles rougissent dès que leurs regards se croisent. Ils se prennent pas la tête, les mecs. Tu veux pas ? Et ta copine, elle veut peut-être » ?
La brune est devenue pensive.
"T’as raison. J'ai repéré des chacals au boulot. Des mecs qui tirent des nanas. Faut que j'attaque. Soit je continue à vivre avec mon auréole sur la tête, soit je deviens visible."
Les éclats de rire continuent.
Elle soupire "Ça me pompe l'air. Je sais pas minauder. C'est pas moi, ça. Mais c'est ce qu'il faut que je fasse. Je suis chaude comme la braise, en ce moment. C'est quand même trop con, je prends soin de mon corps, je fais des massages et personne n’en profite. Je vais mettre un jean ultra moulant, battre des cils et apprendre à tortiller du cul dans les couloirs. J’en vois pleins qui font ça et ça marche".
Sa copine dit "Faut laisser parler notre côté masculin. Tu vois, entre nous, on le fait et ça nous fait rire. Ben il faut l'assumer avec les hommes ».
La brune continue :
"Cette nuit, j'ai entendu ma voisine baiser à 2 heures du matin. Ahhh, ahhhh ... je me suis dit "Putain, je suis cernée, quel cauchemar". J'ai failli crier "Ta gueule, salope!".
Elles rient de plus belle. Le temps d’un café, d’une bise au patron et les voilà parties.
La jeune femme à la table voisine replie son journal et réfléchit quelques instants avant de se lever à son tour. Que peut-on faire d’autre que d’écouter les conversations alentour lorsqu’on déjeune seule ?