Il y a quelques jours, j'ai été invitée à une soirée d'anniversaire dans un pub irlandais à Châtelet. La personne qui fêtait son anniversaire, que j'appellera ici "mon pote", a volontairement omis de me prévenir de la présence d'une femme (que j'appellerai la lionne) qui me déteste historiquement, bien que je ne l'aie jamais rencontrée.
Heureusement, dans le groupe, il y a le petit frère que j'aime beaucoup et un de ses amis, un type assez bluffant qui a déclenché chez la lionne au moins autant d'hostilité que moi. Comme elle n'a pas osé s'attaquer frontalement à moi, il a morflé pour nous deux.
Je ne suis pas très à l'aise devant ma pinte de Guinesse, c'est un fait, car la lionne, assise en face de moi, en fait des tonnes. A six autour d'une table, difficile de faire abstraction de sa présence d'autant plus qu'elle parle trop et trop fort, et rit trop et trop fort. J'observe mon pote en me disant que décidément, on a les amours qu'on mérite.
Comme elle a visiblement de la hargne à évacuer, elle s'attaque à mon voisin de droite (le type bluffant), un Congolais qui se fait traiter en moins de cinq minutes de faux africain vendu aux "babtous" (suivez mon regard). Il se marre et la laisse libre de lui coller les étiquettes qu'elle veut. J'admire son stoïcisme. Le pote qui fête son anniversaire proteste et s'offusque qu'on utilise le terme "babtou" devant moi. Je le tranquillise : ça me passe au-dessus.
Je me fais royalement chier, le mot est faible, et puisque la courtoisie n'est plus de mise, je décide d'ignorer la lionne, bien que je n'ai qu'une envie : lui demander de fermer sa grande gueule. Elle continue de me provoquer par des allusions à peine masquées. En apparence impassible, je garde l'oeil rivé sur l'écran, face à moi, qui retransmet un match de foot.
Mon apparent détachement agace, il faut croire. La meilleure amie de la lionne, sous prétexte de vouloir entrer en contact avec moi, me pose une question tout à fait inopportune et voulue déstabilisante. Elle rebondit contre le mur que je suis devenue et se fait mal. Après l'angélisme, elle revient à la charge et tente la culpabilisation pour obtenir une autre réponse que celle que je lui ai donnée. Elle m'accuse de lui avoir prêté de mauvaises intentions et d'avoir fermé la porte au dialogue.
"Si j'avais été fermée, je t'aurais dit d'aller te faire foutre.
- Non, tu ne m'aurais pas dit ça parce que tu ne me connais pas.
- Ah si je t'assure. Ne pas te connaître n'est pas le genre de choses qui m'arrête, bien au contraire. Si tu veux dialoguer, poses-moi n'importe quelle autre question, j'y répondrai. Ou pas."
En fin de soirée et malgré ma faim, je décide de ne pas les suivre au restaurant. Les meilleures plaisanteries sont aussi les plus courtes, surtout lorsqu'elles ne font rire personne. La meilleure amie de la lionne, déjà mise à mal par mes réponses, se prend, en privé, une leçon de morale par mon pote et finit en larmes.
Ils me déposent chez moi et je remercie le pote du frère d'avoir été mon allié mental, ce qui le fait rire. J'ai tenu le coup mais une fois la porte fermée, éprouvée par la méchanceté gratuite et les tensions que j'ai vécues, les larmes ne sont pas loin.
Le lendemain matin, je me réveille tôt, toujours contrariée, me rejouant la soirée en boucle. Seul mon frère, passé prendre un café, me permettra de mettre des mots sur mes sentiments. La colère envers le pote qui m'a mise dans cette situation inconfortable se mélange à une colère contre moi-même. La bouille de mon petit plumeau atomique, que je garde pour la journée, et un déjeuner avec un ami cher achèveront de me changer les idées.
Depuis, j'ai réfléchi à cette désagréable expérience. Cette soirée catastrophique ne m'a rien apporté, sinon l'occasion d'éprouver ma capacité à ne pas réagir, ce qui représente un gros effort pour moi. Seule l'amie a essuyé quelques plâtres mais elle l'avait bien cherché.
Pourtant, si j'ai opté pour le silence afin d'éviter la confrontation qui aurait été violente, je n'ai pas pratiqué la communication non-violente : tout dans mon attitude était message de fermeture. Dans ce bras de fer avec la lionne, qui m'a fait rester un temps qui me semblait suffisant pour que l'honneur soit sauf, j'ai oublié de me poser la question qui devrait rythmer mes choix désormais et m'éviter bien des souffrances : est-ce que j'ai envie de vivre ça ?
Il faudra que je réfléchisse sérieusement, un de ces jours, à la raison qui me pousse à m'infliger de telles épreuves alors que ma liberté me permet de me lever, de saluer l'assemblée et de rentrer chez moi.