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2yeux2oreilles - Page 43

  • Chez Quine, ça défourraille !

    Vendredi soir, je prends le train, arrivée prévue à 20h10. Je m'assoupis, la faute à une pinte de Leffe bue avec les collègues à la gare Saint-Lazare, associée à un petit déficit de sommeil.

    20h15, je me réveille, en pleine campagne, toute vert tendre sours le soleil couchant. Un message de Quine sur mon répondeur : "Ton train est arrivé mais je te trouve pas dans la gare, t'es où ?"
    Je l'appelle "Ben non, je suis pas arrivée, je suis en plein campagne, là".

    Le wagon est désert à l'exception d'une jeune homme endormi que je réveille, malgré moi, prise d'un affreux doute. Il ne sait pas non plus où on est mais c'est sûr, on se trouve dans le bon train car il va au même endroit que moi.
    - Tu as fait plusieurs arrêts ?" demande Quine, toujours en ligne.
    - Ah oui, pleins d'arrêts.
    - Bon, ben cherches pas, t'as pas pris le direct mais l'omnibus, tu arrives dans 30 minutes."
    Je suis confuse mais elle est cool, Quine, tout la fait rire.
    En attendant je réponds au sms de la jolie brune avec laquelle j'ai diné la veille et la mène en bateau, lui faisant croire que j'ai pris le train pour Bruxelles.
    A l'arrivée, Quine, hilare, m'emmène au resto et on mange une énorme salade bressanne au poulet grillé et crème de Maroilles, une tuerie craquante et copieuse.

    Chez mon amie Quine, la météo maussade nous a contraintes (tu parles !) à passer le week-end lovées sur son canapé, à refaire le monde, entre rires et confidences. J'avais ramené Paddy Casey, mon chouchou irlandais, et Michael Kiwanuka, les deux CD que j'écoute en boucle en ce moment. Et samedi soir, après un concert de clarinette, une question : quel DVD va-t-on regarder ? Quoiiii ? Tu ne l'as jamais vu ???? Ah ben alors, "Les tontons flingueurs" !

    J'avais déjà, il y a peu, découvert "Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages" et ri devant la délicieuse petite peste qu'incarnait alors Marlène Jobert, une des plus charmantes frimousses du cinéma français.
    Et voilà que, une boule de poils répondant à l'étrange sobriquet de Plume sur les genoux, un Nespresso dans la main, je découvrai le savoureux argot des Tontons flingueurs, ses expressions cultissimes, ses scènes d'anthologie, Francis Blanche et une brochette d'acteurs entrés dans la légende. Une phrase qui résonne, familière, quelques instants à fouiller mes souvenirs et une énigme résolue, l'origine d'une publication sur le mur de Deftones : "J'connais une polonaise qu'en prenait au p'tit déjeuner".

    Après le film, on a embrayé sur les suppléments que Quine n'avait pas eu le loisir de visionner et ceux-là valent autant d'être vus que le film.
    La Cuisine des Tontons, ce sont les secrets de tournage, où j'ai appris que la dernière scène du film fut tournée à l'église Saint-Germain de Charonne, devant laquelle, en route pour le collège, je passais chaque matin à l'époque où j'habitais le quartier Saint-Blaise. Des interviews, celles de Jean Lefebvre, Costa Gavras, Robert Hossein.

    Une autre partie décrypte les multiples références faites dans le film à une époque que je n'ai pas connue : l'homme du XXème siècle, l'argot utilisé dans le film et, si j'en connaissais pas mal, l'apprentissage de nouveaux termes : le velours, décambuter, baccara etc.

    Un chouette site recense quelques savoureux extraits : ici et un autre, l'intégralité des dialogues du film .

    Et puis, après le dico des Tontons, "Le fantaisiste pop", un documentaire passionnant sur un inconnu de nous, Michel Magne, romantique farfelu, qui se suicida à 54 ans dans une chambre d'hôtel de Cergy-Pontoise. Un génie, auteur des B.O. de plusieurs classiques français, ami de Jean Yanne, propriétaire d'un studio d'enregistrement très couru, le château d'Hérouville, et qui eut des idées aussi loufoques et percutantes que de diffuser un discours d'Hitler à l'envers, "pour lui faire ravaler ses paroles".

    Et moi, à la prochaine visite à la médiathèque de ma ville, je vais filer tout droit à la lettre A comme Audiard.

  • Building

    aff.building.quadri150dpi-e03cbf62.pngMercredi dernier, alléchée par les critiques élogieuses et profitant de la générosité d'un blogueur perdu de vue et retrouvé chez Nicolas, j'ai franchi, avec Boug', les portes du théâtre Mouffetard pour découvrir Building, pièce de Léonore Confino.
    Détail non négligeable : la salle du théâtre Mouffetard est très agréable et on y est très bien assis, même quand on n'a pas la chance, comme nous, d'être au deuxième rang.

    Building, c'est une journée au contact des employés de la société Consulting Conseil. Des employés névrosés qui pètent les plombs et se ramassent, à l'image des pigeons qui s'écrasent régulièrement sur les baies vitrées de leur immeuble.

    J'ai beaucoup ri et parfois jaune, j'ai été bluffée par l'audace de l'auteure qu est aussi sur scène, l'énergie des comédiens, leurs chorégraphies toniques, leurs corps dégingandés. J'ai regretté que la pièce s'arrête le 30 juin car j'avais déjà fait la liste de ceux et celles qui se délecteraient de cet humour caustique. Les comédiens sont tous très bons, on ne s'ennuie pas une seconde et je vais surveiller de près l'agenda théâtre de Léonore Confino.

    Et puis, après le spectacle, comme il faisait chaud, on s'est offert des glaces qu'on a dégustées devant la fontaine de la place Monge et je n'ai pas réussi, malgré tous mes efforts, à transformer le compteur EDF en poubelle.

  • Georges

    J’ai de nouveau sollicité les services d’un taxi-moto. Ca faisait longtemps.

    Lundi matin, mes contacts habituels n’étant pas disponibles, c’est un nouveau qui fumait sa clope en m’attendant en bas de chez moi. Et tandis qu’il nouait le lien de mon casque et remontait le zip de la parka, j’ai pensé « Dans ma vie, j’ai raté un truc : sortir avec un motard ».

    Georges, puisque c’est son prénom, est très sympa, comme les 2 pilotes que j’ai rencontrés jusque là. On a profité des bouchons pour faire connaissance et parler un peu boulot, un peu perso. Je l'ai charrié le premier soir : "Y'a pas de chocolat pour la route ?"

    Il a répondu "On peut faire".

    Et hier soir, pour notre dernier trajet ensemble, il a ouvert son top case et m’a tendu un paquet de Bounty. Le kif.   

  • L'ascenseur

    Je poursuis mes petites expériences comportementales et relationnelles avec mes sources inépuisables d'observation : les habitants de ma jungle urbaine ...

    Un matin de cette semaine, je me poste devant la cabine d'ascenseur sur le quai de la ligne 14. Un grand métis, musique sur les oreilles, s'y trouve déjà ainsi qu'une femme dans la cinquantaine, cheveux courts et clairsemés. Une silhouette toute de noir vêtue se glisse à côté de moi. Amusée, j'observe le manège de celle que j'ai remarquée quelques jours plus tôt et à laquelle je ne parviens pas à attribuer une tranche d'âge : fine et fluette, elle a la tenue vestimentaire d'une très jeune fille et le visage d'une quadra. Je l'ai surnommée "la préposée à l'ascenseur" tant elle semble s'être attribué une mission. Elle se rue sur la porte et garde le doigt appuyé sur le bouton, les yeux levés guettant la descente de la lourde cabine, la main sur la hanche, jusqu'à ce que celui-ci s'ouvre enfin devant nous. Ce contrôle du bouton d'appel de l'ascenseur semble être d'une importance vitale pour elle. Nous montons et la porte, sensible au moindre mouvement, se ferme sans anicroche sur nous quatre.

    A l'étage suivant, nous voilà stoppés dans notre élan. Un jeune asiatique, tenant à la main un vélo pliant, se tient devant la porte ouverte. La femme aux cheveux courts ne semble pas décidée à lui laisser de l'espace mais le jeune homme avance et elle se plaque contre la vitre en secouant la tête d'un air désapprobateur. Les minutes qui suivent sont assez amusantes car le jeune homme, lui tournant le dos, ne le voit pas mais la femme le fusille du regard en continuant de secouer la tête, visiblement excédée.

    Au niveau -2, damned ! on s'arrête encore ! Cette fois, c'est une femme et un homme rondouillard qui entreprennent d'investir l'ascenseur, maintenant plein comme un oeuf. Et ce à quoi nous avions miraculeusement échappé jusque là arrive : la porte de l'ascenseur reste obstinément ouverte et sonne sans discontinuer. On laisse échapper des soupirs étouffés, une agitation à peine perceptible se fait sentir et j'invite les deux derniers arrivants à s'écarter de la porte pour qu'elle se ferme. Notre petit groupe se resserre en un bloc compact mais rien n'y fait, la porte sonne toujours. Une dame qui attend la prochaine fournée à l'extérieur signale, compatissante : "C'est le sac de la dame qui bloque".
    La quinqua ennemie des vélos pliants perd alors tout contrôle d'elle-même et glapit "Moi je vais descendre, là, c'est pas possible, j'en peux plus !" Elle semble au bord de l'apoplexie.

    Elle est incroyable cette femme, elle est en train de se fabriquer un ulcère, ma parole ! Je me retiens de répliquer vertement "Ah non, vous allez pas nous faire chier à faire bouger tout le monde pour sortir, maintenant que vous êtes là, vous y restez !" mais je souris et dis calmement "Respirez, détendez-vous, c'est vendredi, ça va bien se passer". Elle réplique "Oui mais je suis pressée moi !"
    "On est tous pressés mais il y a vraiment des choses bien plus graves dans la vie"

    Et là, sans doute mû par la tournure dramatique que prend notre équipée, le papy rondouillard balance une grande tape dans le dos de la vieille au sac qui, soudain projetée en avant, manque atterrir dans mon décolleté. Elle se tourne vers lui, furieuse, et lève le poing. Et là, j'éclate de rire devant cette scène surréaliste, suivis par tout le groupe à l'exception des deux vieilles.
    Ça y est, la cabine se met enfin en branle mais moi je n'arrive pas à réprimer un fou-rire nerveux. Profitant de la complicité indulgente du métis et de la préposée à l'ascenseur qui me sourient, je lâche "Ma parole, c'est trop drôle, on se croirait dans un sketch des Monthy Python !" Le métis éclate d'un rire franc, suivis par quelques autres.

    Enfin arrivés à l'air libre, le vieux rondouillard demande "C'est bien ici qu'on descend ?" Je réponds "Ah oui, c'est ici, et je pense qu'on va tous jaillir de l'ascenseur tellement on en a ras-le-bol d'être coincés là !"
    Et c'est un groupe hilare qui se sépare en se souhaitant une bonne journée, sourire aux lèvres. Je suis ravie d'avoir joué, une fois de plus, à renverser une situation en la faisant glisser de la colère vers le rire.

    Rejoignant le quai de mon train, je me remémore les paroles de Laurent. L'émotion, c'est ce que nous faisons d'une situation. Et être libre, c'est vivre ce qu'on a envie de vivre. J'ai choisi.

  • Dans un village de Paris : mémoires

    Il y a quelques mois, un homme avec lequel j'avais échangé quelques mails sur un site de rencontres m'avait fixé rendez-vous. Il faisait commerce de vins rue de Vouillé, non loin du quartier de ma jeunesse et c'est là que je le retrouvai, à l'heure de la fermeture.

    Après dégustation d'un bon rouge, il propose de dîner dans un restaurant de ses habitudes. Chemin faisant, nous évoquons ce quartier, si empreint de la présence d'un de ses illustres habitants, Georges Brassens. Atteignant le bas de la rue Brancion, je mentionne ce bistrot mythique et privé, dans lequel je rêve d'entrer.


    "Ce sont des amis, on y va, si tu veux !" s'écrie R.

    Quelques minutes plus tard, il frappe à la porte, on ouvre et je pénètre dans ce temple de la boxe, que m'avait décrit mon père. L'éclairage est tamisée et la salle sombre laisse entrevoir de nombreux visages qui scrutent ceux des nouveaux arrivants, à la recherche d'un ami. Sur les murs, de grands miroirs piquetés disputent la place à des dizaines de photos d'acteurs, boxeurs et affiches noir et blanc vantant leurs exploits.   
    A une des tables, un homme au visage rond se tourne vers nous et serre la main à mon compagnon.
    "Installez-vous" dit-il, poussant quelques chaises. Je devine qu'il s'agit du fils de Walczak.
    A ma gauche, sur la banquette, un homme blond à lunettes me sourit franchement et me sert un coup de rouge.

    Ce soir, trois hommes vont rendre hommage à Eddy Mitchell. Le visage du chanteur m'est assez familier, R. me donne son nom, il s'agit de Béjo, compagnon de Renaud et Bashung. En attendant les premières notes, R. me présente à JL comme étant une enfant du quartier. Je parle de mon père, copain du sien disparu il y a déjà de longues années. Mon Pap's et JL ont exactement le même âge et JL est certain de l'avoir croisé.

    J'ai fait la connaissance de mon voisin de gauche, un ami de Renaud, et déjà abondamment trinqué quand le concert commence. Je redécouvre le répertoire de Eddy, parfaitement interprété par Béjo en imaginant Brassens, Piaf, Cerdan et Brel sous le même plafond que moi, il y a des années, à l'époque où les abattoirs étaient encore là.

    Accrochés tout en haut d'un pilier central, des chaussures et gants de boxe prennent la poussière. Face à moi, Lino Ventura, Edith Piaf, Belmondo et bien sûr, Brassens qui pose avec ses chats témoigne de l'incroyable rendez-vous que fut le bar de Walczak, et de l'atmosphère encore si particulière qu'y entretient son fils qui n'a rien changé au décor surrané du père.

    Lorsque je referme la porte sur la devanture jaune vif, c'est après avoir promis de ramener mon père, si j'arrive à le convaincre de venir à Paris.

    Depuis, je suis retournée 2 fois chez Walczak. Un midi ensoleillé de mai, où mon coeur était lourd et en demande de chaleur humaine, j'ai garé mon vélo pour déjeuner avec JL d'une délicieuse entrecôte. Une nouvelle photo ornait le mur, celle de Belmondo aux cheveux blancs, venu peu auparavant parler avec JL de son père.
    "Tu fais partie de la famille", m'a -t-il dit, tout en se plaignant que la veille, un groupe de 20 l'avait planté 30 minutes avant leur réservation :
    "Qu'est ce qu'ils ont à me casser les couilles, ils ont qu'à aller chez Hippopotamus" avait râlé JL dans un franc-parler qui plante le personnage.

    Chez Walczak, on se délecte d'anecdotes croustillantes et de soirées arrosées, toujours sous le signe de l'amitié. On y croise un Michel Bouquet, arrivé là par hasard, qui après s'être inquiété que tout le monde se serve dans son pinard, repart en lâchant "Je n'ai jamais mangé dans un bordel pareil mais qu'est-ce-que je me suis éclaté !"

    Hier soir, c'est en comité très restreint, pour cause de match de foot et météo humide, que j'y ai écouté, avec mon frère, un concert donné par Serge, grand gaillard basque au regard bleu et Martine, petit piaf à la voix cristalline.
    "J'ai commencé ma vie à 51 ans, quand j'ai rencontré ma femme" nous confie Serge qui s'est installé, entre deux morceaux, à notre table.
    Un peu plus tard, un homme entre, au physique de Hugues Aufray en plus jeune (je trouve que Hugues Aufray est un vieillard absolument magnifique). Je le dissuade de s'installer seul au bar et désigne une chaise à notre table.  Une heure plus tard, il a pris ses aises, chante avec nous "Les copains d'abord" et déclare être au paradis.

    Je sais désormais où aller quand j'ai envie de me sentir comme à la maison, en moins seule : chez Chichi et Kamel, à l'Oustaou, ou chez JL, au bar des Sportifs Réunis.