Samedi, 8h30, le réveil sonne. Moins d’une heure plus tard, je pédale sur une des avenues les plus défoncées de Paris. Y’a des trous et des bosses tous les 10 mètres. Tacatacatac sur les pavés, je salue le lion de Belfort qui détourne le regard. Il scrute l’ouest, le con. On l’aura mal renseigné.
Quelques minutes plus tard, je suis à la cafétéria où un jeune homme en blouse blanche, bouc finement taillé, me sert une boisson chaude en m’affublant de grands « Madame ». La radio diffuse un air familier. « C’est Nova ? » demandai-je. Oui, répond-il. S’ensuit une discussion passionnée sur la musique et les inepties de certaines rubriques. Nova, c’était mieux quand ils ne parlaient pas. Jérôme, puisque c’est son prénom, me conseille FIP. Un docteur jovial vient me chercher. Je fais l’innocente « C’est moi que vous attendez, docteur ? ».
Tandis qu’une machine sophistiquée trie mes plaquettes, au chaud sous des couvertures, je visionne « 7 ans ». Un peu tordu mais pas mal, franchement. Vu sa gueule, je comprends qu’elle soit prête à l’attendre 7 ans, son taulard. Presque 2 heures après, je retourne à la cafétéria. Jérôme demande « Qu’est ce que je vous sers madame ? ». J’ai envie de lui dire d’arrêter de me servir du madame. « Une pinte de Guinness » je réponds inocemment, en détaillant la carte du menu, que je connais pourtant par cœur.
Il dissimule un sourire. « On a pas ça, c’est un hôpital, ici, Madame ». Je réponds, avec un sourire malicieux « Et alors ? C’est très bon pour la santé, la Guinness. »
Autour de la table, ceux qui sirotent un thé sourient. Jérôme regrette, pas de Guinness en stock. « Vous avez tort, Jérôme, vous devriez en parler à vos patrons, et moi je vais le mettre en suggestion sur votre livre d’or. La Guinness c’est plein de minéraux, un excellent reconstituant. A boire et à manger tout à la fois ».
Comme il insiste, je me résigne à boire un thé. Jérôme tient absolument à ce que je m’asseye. « Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié, on est bichonnés ici ». Sur ces mots, la brune chargée de l’accueil rapplique et corrobore mes propos. « Vous savez que dans les années 70, on proposait un quart de rouge ou une bière + quatre cigarettes aux donneurs ? » Je triomphe « Ah ben, vous voyez, Jérôme, que je raconte pas de conneries ! Franchement, c’est déprimant votre jus d’orange et vos biscuits, là ! Offrez-nous de la rillette, un truc qui tient au corps quoi …» La brune est super sympa. Je la connais bien. On discute, on rigole. Elle dit qu’elle est bientôt en retraite, j’aurais jamais cru.
Plus d’une demi-heure plus tard, je suis toujours là à discuter avec passion de musique. Jérôme est amateur d’afrobeat et de musiques électroniques. On détaille ensemble la relève des fistons de Fela. Il connaît l’album « Trouble Man » de Marvin, et aussi Sporto Kantes, Wax Tailor et Metronomy. Mais pas Anthony & the Johnsons. Comme j’ai quelques années d’avance sur lui, il n’a pas connu l’époque où radio Nova ne diffusait que du zouk. Ni celle où Dee Nasty passait du bon rap old school. Comme moi, il s’irrite du détournement du terme R & B pour désigner la soupe de pleureur qu’on entend sur les radios commerciales. Otis Redding ne méritait pas ça. Sur un bout de papier, Jérôme liste des labels et des noms de chanteurs que je ne connais pas. Me conseille d’aller danser un soir à la Bellevilloise.
Quand mon téléphone sonne, la voix dans mon oreille dit « Je suis à 4 stations de chez toi ». « Oh merde, chuis à la bourre », je lâche. Je chope la liste de de Jérôme au vol, au revoir tout le monde, à bientôt et je file sur mon vélo, pas trop vite quand même, faudrait pas que je fasse un malaise.