Il y a 2 jours, je dînais chez mon amie Esperanza, momentanément célibataire et sans enfants. Après avoir évoqué la soirée de samedi dernier et le concert des Starloozes, je lui racontai mes récentes retrouvailles, sur un site internet, avec d’anciens camarades de classe.
Après un garçon dont je ne suis même pas sûre que nous ayons partagé la même classe à Châteaudun, tranche de ma vie que j’ai raconté là, ce sont mes amis d’Allemagne qui réapparaissent soudain.
Mon enfance dans le camp militaire de Münsingen, au cœur d'une forêt du Jura souabe, est une des plus belles périodes de ma vie, surtout en raison du cadre exceptionnel dans lequel je grandissais et de mon immersion, après la Nouvelle-Calédonie, en pays étranger, ce qui allait constituer le terreau de mon goût pour la différence. Difficile aussi parce que c’est là, entre 7 et 13 ans, que ma personnalité s’est construite.
En lisant une note de Lancelot, je me suis souvenue aussi de la cruauté des enfants entre eux. Des blessures que j'ai infligées plus que de celles que j’aurais subie, parce qu’étant gamine, j’étais assez meneuse et rarement chahutée. Sauf pendant la courte période où j’ai porté des lunettes et qu’on m’appelait «serpent à sonnettes ». Je reparlerai dans un prochain billet de ces mots et gestes qu’on regrette encore, des années après.
A Münsingen, ma suprématie résidait dans le fait que j’avais réussi à faire gober aux gosses de la cité-cadres que je n’étais pas la fille de mes parents mais un être venu d’ailleurs aux supers pouvoirs. Comment ? Il faudrait le leur demander mais je crois me souvenir que la raison principale de cette adoration venait de mes bras. Figurez-vous que depuis toujours, j’ai un super pouvoir que je dois à ma très grande souplesse : j’arrive à passer mes bras joints au-dessus de ma tête et jusqu’aux fesses sans plier les coudes. Vous suivez ? Sinon, c’est pas grave, je fais des démo sur demande ;)
Ma souplesse me permettait donc de m’enrouler et me contorsionner comme personne, et quand il fallait se faufiler dans une ouverture étroite ou aller explorer un bunker au fin fond de la forêt, j’étais toujours volontaire. Je me la pétais grave, quoi. Sur ce plan-là, je n’ai pas beaucoup changé.
Téméraire, casse-cou, souvent perchée dans les arbres ou à me battre avec les garçons qui nous fouettaient les fesses à coups de branches (les salauds !), je rendais le mythe de Super Sophie plus crédible en courant au ralenti avec le bruit de fond, comme Super Jaimie. Trop marrant quand j’y repense !
Notre occupation favorite était la construction de cabanes et les bagarres avec les petits allemands auxquels je dois une partie de mon vocabulaire. Je sais au moins dire « grosse merde » et « trou du cul » dans cette langue. Pour les cabanes, on avait de quoi faire, en pleine forêt.
Notre cité-cadres avait la forme d’un U et se trouvait sur une petite butte. Nous étions des FFA (Forces Françaises en Allemagne) et à ce titre, les voitures de nos parents avaient des plaques bleues.
D’un côté de la cité, en contrebas, le camp militaire, son foyer, son cinéma, l’économat, l’école primaire où allait mon petit frère, le mess des « souzoff’ », le vaguemestre, la chapelle et les baraquements dans lesquels s’entassaient les bidasses. Une ville dans la ville où langue et argent étaient français. De l’autre côté, dans un bois qui nous paraissait immense, se dressait le château du colonel, lieu hautement mystérieux que nous n’étions autorisés à investir qu’à Pâques pour y chercher des œufs. Et puis, en contrebas, la caserne de gendarmerie et l’école primaire.
J’ai eu 2 maîtres d’école qui faisait la classe dans la même salle aux CE1, CE2, CM1 et CM2. L’un d’eux, M. Masson, un moustachu tonitruant qui fumait la pipe, était adepte du coup de pied au cul. Il en mettait de violents à sa fille, G., j’en garde un souvenir horrifié, et nous on se prenait souvent des claques. Ensuite, il y eut M. Gonin qui fut beaucoup moins impulsif.
L’hiver était ma saison préférée. Je descendais en luge à travers le bois et sous un mètre de neige, le toit de notre école se chargeait de stalactites. A la récré, on faisait des glissades sur la glace de la cour et on se battait à coups de boules de neige. Le soir, après l’école, on se laissait tomber en arrière dans la neige et on restait là de longues minutes à regarder le ciel blanc résonnant du coassement de nombreux corbeaux noirs. On n’avait pas froid dans nos combinaisons et bottes fourrées. Moi, j’avais une paire de bottes en poil de vache dont j’étais très fière. Les flocons de neige glacée fondaient doucement sur nos visages. Aujourd’hui, ces oiseaux que d’autres trouvent laids et lugubres m’évoquent immanquablement d’heureux souvenirs. Je me souviens aussi qu’on avait construit un igloo avec des boîtes en bois, à l’arrière de l’école. L’odeur associée à cette époque est, outre celle de la pipe, celle de l’encre qu’utilisait les maîtres pour imprimer des feuilles.
La première à m’avoir contactée, c’est Nathalie Je ne sais pas quels souvenirs elle a de cette période. Moi je me souviens que même si on était copines, notre groupe d’enfants n’était pas gentil avec elle. Nathalie était un peu « bouboule » comme on dit et elle était la proie de moqueries cruelles. C’était une gamine réservée qui par moments entrait dans des accès de violence dont j’ai fait les frais, un soir après l’école. Elle m’a mis un coup de rondin et je suis rentrée chez moi avec un bel œuf sur le front. J’ai failli m’en reprendre une quand ma mère m’a traînée chez la sienne pour lui faire constater l’étendue des dégâts et qu’elle a appris que Nathalie m’avait castagnée parce que je me moquais d’elle, avec d’autres. C’est peut-être cet épisode qui a fait qu’aujourd’hui, je supporte mal qu’on se moque du physique de quelqu’un.
Nathalie se souvient, comme moi, de cette anecdote. Il y en a une autre qu’elle a peut-être oubliée. Elle avait trouvé dans la poubelle familiale une BD porno appartenant à son père. Format livre de poche, c’était une Gulliver au féminin, avec tout ce qu’il faut là où il faut - comme dirait Tonnegrande -, qui se faisait attraper et ligoter au sol par une bande de lilliputiens pervers. Un de mes premiers grands émois sexuels, on devait avoir 10 ans.
Après Nathalie, la « mafia de Münsingen » se recompose lentement.
Catherine, dont le nom m’est bien connu mais le visage oublié, m’envoie un mail où elle reparle de nos parties de saut à l’élastique et de marelle et aussi d’un petit blond dont nous aurions toutes les 2 été amoureuses. Le petit blond, je m’en souviens très bien, il avait un nom exotique venu de l’Est, mais pas de souvenir d’avoir été amoureuse de lui. Tiens, justement, je retrouve le petit blond en question, qui habite dans mon département et confirme « Non, non, à Münsingen, c’est moi qui étais amoureux de toi ».
Ah bon ? Faut croire que mon incapacité à voir qu’un garçon s’intéresse à moi ne date pas d’hier …
A suivre …