Après quelques heures de repos, je retrouve Mohammed devant l’hôtel. Il m’emmène à la recherche d’un hammam dans la médina. « Tomate ici, tomate ici, dit-il en se pinçant les pommettes, et après tu vas bien dormir ». Pour le moment, j'essaie surtout de ne pas me casser la gueule dans les ruelles glissantes.
Dans une cour, une femme nous attend et nous ouvre sa porte. Aïcha a la peau noire comme l’ébène et des dents du bonheur qui étincellent dans son large sourire. Elle me fait assoir sur la banquette couverte de tissus, qu’elle a changés pour moi, dit-elle, et s’excuse de n’avoir pas eu le temps de me cuisiner quelque chose.
« Tu veux aller au hammam ? Je vais t’emmener ». J’ai ramené mon gant de gommage de Paris mais je n’ai ni savon ni shampoing. Sur un stand, nous achetons du savon noir à l’huile d’argan et un shampoing à la papaye et huile d’argan. 24 drh pour un pot de savon à l’huile d’argan, soit 2€50 … « A dans une heure trente », dit Mohammed.
Aïcha pousse la porte d’une maison sur laquelle sont peintes des lettres en arabe. Dans une petite pièce, des femmes me dévisagent avec une curiosité bienveillante et la gommeuse m’indique la marche à suivre. Mon irruption dans la salle carrelée de blanc ne passe pas inaperçue; là, c’est clair, je suis l’attraction. On me fait des ourires et des signes, on me savonne le dos, me frotte comme un nourrisson et me déverse des seaux d’eau sur la tête et le corps. Le confort est rudimentaire sur le carrelage blanc mais l’ambiance conviviale. Certaines font des étirements. Une autre femme, Khadija, me tend un pot pour que je me badigeonne le corps de henné. Elle a décidé de m’appeler Sophia et s’amuse à crier mon prénom. En quittant la pièce, les femmes m’envoient un baiser.
Le foulard jaune réapparaît dans l'embrasure de la porte. Aïcha est de retour, il est l’heure de se rhabiller. Visiblement, il est hors de question que je reparte jambes nues dans la petite robe dans laquelle je suis venue. « Tu vas attraper froid » dit Aïcha. Et là, je me retrouve en quelques minutes dans la peau de Nastassja Kinski dans « Harem ». Aïcha me tend un pantalon blanc estampillé « lovely little pig », je ne peux pas m’empêcher de rigoler, et elles avec. La vieille femme très gentille qui a communiqué avec moi par signes dans le hammam m’aide à l’enfiler, puis on me couvre d’une veste en molleton blanc. Enfin, Aïcha applique sur mes cheveux un triangle de coton blanc qu’elle noue sur mon front, puis un foulard couleur caramel. Je me trouve très belle en orientale, il ne manque plus que le khol. « Une vraie femme marocaine » dit Aïcha, visiblement très satisfaite. Les jeunes filles proposent de me prendre en photo et après avoir frôlé l’incident diplomatique, je salue tout le monde d’un baiser envoyé du bout des doigts. A l’extérieur, Mohammed, hilare, est bluffé par la transformation. A un carrefour, Aïcha m’embrasse. « Mais et le pantalon ? La veste ? Les foulards ?». « Tu les gardes. Cadeau. Et quand tu reviens à Casablanca, tu viens chez moi »
« On ne voit plus que je suis une française, hein ? » je demande à Mohammed. « Si, si, on le voit à tes yeux. Mais peut-être que tu as raison, car certaines filles maintenant portent des faux yeux. Alors, peut-être qu’on croit que tu es marocaine ». A y bien réfléchir, le trench années 50 à carreaux noirs et blancs de Mamie Coco trahit sans doute mes origines.
Mohammed s'est arrêté devant une autre porte. Une jeune fille à la peau claire nous ouvre et m'embrasse chaleureusement puis elle nous fait entrer dans un salon couvert de zellige, et assoir sur des banquettes de tissu rouge. Un petit garçon d’environ 6-7 ans me dévisage avec curiosité, il s’appelle Omar. Il ne parle pas français, alors pour l’amuser, j’ai l’idée de sortir mon téléphone et de faire défiler les photos sous ses yeux, seulement il ne veut plus lâcher l’appareil et tapote sur l’écran tactile comme un forcené.
Quelques instants plus tard, Mohammed s’avance dans la pièce, soutenant une femme que je devine encore jeune mais courbée en deux. Elle s’assied à côté de moi, c’est la maîtresse de maison. Elle ne parle pas français, alors Mohammed traduit : elle a eu un accident cérébral, sa fille vient d’accoucher, elle est désolée car tout est rangé pour préparer la fête du mouton qui aura lieu dans moins de 2 semaines. Nous mangeons tous ensemble autour d’un plat de poulet. Mohammed fait répéter à Omar l’alphabet français et m’apprend à écrire mon prénom en arabe. La maîtresse de maison me propose de dormir là et se désole que je reparte en France avant la fête du mouton, à laquelle elle m’aurait conviée. Nous quittons la maisonnée et Mohammed propose un dernier thé à la terrasse de l’Excelsior mais excessivement détendue par le hammam, je baille aux corneilles et ne tiens plus debout.
Je suis un peu triste de n’avoir pas pu dire au revoir à K. et aux autres personnes de la Sqala, où je pensais retourner pour ma dernière soirée à Casa. Mais je suis trop fatiguée et il est minuit trente alors je note l’adresse mail de Mohammed, qui a résolu de se mettre à l’internet, et m’enfonce sous la couette. Quelle journée bien remplie !