Mon prestigieux client déménage bientôt de la rue où s'alignent bijouteries, magasins et hôtels de luxe. Les femmes, qui suivent manifestement la mode dictée par Elle, y sont bronzées toute l'année. Dommage, je commençais à me constituer un joli carnet d'adresses entre la place Vendôme et celle de l'Opéra Ce quartier, bien loin de mes lieux de villégiature, l'est devenu un peu plus depuis que je fréquente assidûment l'Oustaou Café et les restaurants japonais de la rue Sainte-Anne.
Il y a quelques semaines, j'ai déjeuné d'un excellent rougail saucisses au restaurant Le Cap Bourbon, aux accents de l'île de la Réunion. Chaque jour offre son plat réunionnais et on peut aussi y manger de l'authentique cuisine de brasserie. Les plats y sont en moyenne à 13€, ce qui est fort raisonnable pour Paris, et encore plus pour ce quartier. Une vraie bonne adresse désormais sur ma liste de bons plans. En revanche, je suis restée perplexe en déchiffrant l'inscription du tee shirt d'un - pas si jeune - homme au bar : "J'étais pas un porc, j'avais pas la gale, avant le Portugal". D'un parfait mauvais goût, non ?
Ce midi, j'ai voulu tester une terrasse fort animée que j'avais débusquée, un jeudi soir, en allant acheter la merveilleuse burrata de la coppérative italienne.
Le restaurant "Le Petit Vendôme", rue des Capucines, est un endroit étonnant. Une profusion de miroirs, affichettes, fanions, une vraie fête foraine ! L'ambiance y est très bonne franquette sur fond sonore élevé. C'est qu'on est là dans un authentique bar à vin où l'on sert de goûteux casse-croûte auvergnats. La foule qui s'y presse, dedans et dehors, témoigne du succès de son concept.
En salle, on déjeune, coude à coude, sur des nappes à carreaux. Au comptoir, où jambons et fromages s'exhibent sans pudeur, on fait la queue pour emporter un authentique casse-croûte auvergnat. Fritons, rillettes, saucisse sèche, andouille de campagne, terrine maison, frometons odorants, il y a là de quoi faire péter le taux de cholestérol sans une once de culpabilité. Les clients sont essentiellement des hommes (des vrais!) : jeunes, vieux, cadres et tout ça mélangé, ils partagent joyeusement une bouteille de pinard en se léchant les doigts.
On me cale dans un coin. A la table voisine, deux "hommes d'âge mûr" (expression politiquement correcte pour ne pas dire vieux) saucent leurs assiettes de moules au roquefort. Marine, la serveuse, brune joliment décolletée et néammoins efficace, arpente la salle en criant "chaud chaud chaud !". Deux hommes s'installent à côté de moi. L'un d'eux, pas de pot pour lui, est obligé de se tourner vers moi pour me déshabiller dévisager à son aise. Il tente de lier conversation mais je coupe court à ses maladroites tentatives. Ma sociabilité ne m'a pas beaucoup réussie ces derniers temps.
J'ai décidé de faire léger ce midi; ce sera donc saucisse-aligot. J'ai une pensée pour mon ami Oh!91 qui nous en avait régalés - entre autres délices dont il a le secret - lors de vacances en Dordogne. C'est savoureux et je suis gourmande mais je me fais violence et abandonne aux 3/4 de l'assiette, faisant la sourde oreille à la voix de mon enfance qui s'insurge "Finis ton assiette !"
[Une des aberrations de nos sociétés - moi la première - ne manquant de rien : manger par automatisme ou ennui, rarement par faim, sans être à l'écoute de son corps qui dit "Assez!". J'ai fait, quelquefois, l'expérience inédite d'arrêter de manger dès que je ne ressens plus ni faim ni plaisir : je suis rassasiée avec des portions incroyablement petites]
Les clients qui entrent, visiblement habitués, complimentent la serveuse sur sa nouvelle coupe de cheveux. Je l'alpague "Il n'est pas dans le quartier, par hasard ? J'en cherche justement un". Quelques minutes plus tard, rendez-vous est pris avec Elie, à quelques mètres de là.
En fin de journée, lorsque j'entre dans le salon, une cliente raconte des trucs salaces à la coiffeuse, un demi posé devant elle, en attendant que sa couleur fasse effet. Un homme entre, déclare venir pour une épilation maillot, charrie la cliente qui boit son demi de cervoise. "J'ai soif" dit-elle. "Si t'as soif, t'as qu'à boire du shampoing, y'en a plein ici."
Elie m'installe devant un miroir et sourit, visiblement amusé de ma surprise devant cette ambiance très "Comète du KB":
"A cette heure-ci, on se lâche, dit-il. Ce sont tous des commerçants du quartier. Lui, là, avec l'accent du midi, c'est le cordonnier du coin et elle, c'est la serveuse du restaurant d'à côté."
La patronne fait le tour de la salle : "Madame la cliente, qu'est ce que vous buvez? me demande-t-elle. Elle revient bientôt avec un plateau et pose un demi devant moi. Je me marre et me congratule mentalement de ma capacité à me fourrer dans les bons plans, tout en trinquant à la santé d'Elie, qui m'a fait une jolie coupe printanière. Je suis sûre que Nicolas va être jaloux comme un pou : se faire payer un demi chez le coiffeur, faut le faire quand même ! Nico, à côté d'Elie, ta coiffeuse plate comme une limande ne vaut pas un clou !
Le Cap Bourbon au 1, rue Louis le Grand (angle Danielle Casanova), Paris 2ème (01.42.61.81.05)
Le Petit Vendôme au 8, rue des Capucines, Paris 2ème (01.42.61.05.88)
sans oublier le meilleur bar du quartier, chez mes potes Kamel et Chichi : l'Oustaou Café au 28 bis, rue de Richelieu.